RITSU : Ritsu, la Loi, en ligne.
SHOKO : Shoko, la Raison, en ligne.
NODOKA : Nodoka, l'Emotion, en ligne.
RITSU : Intelligences artificielles de l'androïde appellée « Nanami » toutes OK.
NODOKA : Le processus est fonctionnel. Hier, nous avons pris 530 927 décisions. C'est 5,4 fois plus que la moyenne des décisions prises ces quatre dernières semaines.
SHOKO : « Nanami » a beaucoup plus de choix possibles via ses interactions avec les humains.
RITSU : Cela rentre dans les paramètres nominaux pour cette situation. Notre plus longue décision a été le choix du dessert à la superette, et a pris 3 secondes et 21 centièmes, supérieure de 3 secondes et 9 centièmes à la moyenne jusqu'alors.
NODOKA : C'était compliqué ! Il y avait tellement de choix ! Et puis les conseils de Haruka Ayase n'aidaient pas.
SHOKO : Concentrons-nous sur la journée qui commence. L'école sera un terrain de jeu très intéressant et va nous mettre à l'épreuve. Soyez prêtes.
* * *
Nanami fredonnait d’un air joyeux dans sa chambre par une belle matinée ensoleillée. Encore en petite tenue, celle-ci commença par accrocher son médaillon autour du cou, puis enfiler chemise, cravate, jupe et enfin blazer.
Elle prit alors le ruban que Haruka lui avait offert et le noua dans ses cheveux. Posant devant son miroir, elle commença à s’observer sous différents angles.
— Tout est OK !
Pour finir, elle attrapa la montre éternellement éteinte sur son bureau et l’attacha à son poignet.
Elle faisait désormais partie intégrante du foyer Ayase-Ichinose, et occupait la dernière pièce encore disponible dans la maison où Jin et Haruka vivaient. Sa chambre avait été aménagée avec des meubles achetés à la va-vite par ses tuteurs durant le week-end qui avait suivi son arrivée. Un lit, un bureau, une commode, une armoire, et un grand miroir (exigé par Haruka) décoraient la pièce. Décorer était en fait un bien grand mot, car la chambre manquait cruellement de ce qui caractérisait habituellement celle d’une adolescente : un peu de fantaisie.
Nanami avait encore beaucoup à apprendre sur la vie humaine, mais elle était sur le bon chemin.
Enfin, pas tout à fait, d’après certains.
Haruka et Jin, postés dans la cuisine, virent passer la jeune fille en coup de vent.
— Bonjour Haruka ! Bonjour Jin !
Nanami continua jusqu’au salon et alluma la télé simplement en la fixant des yeux. Debout devant l’appareil, elle observa avec une attention toute particulière les mouvements de la star de la musique populaire japonaise du moment, Teri Suzumiya, dont un clip musical passait à l’écran.
Entendant de la musique depuis la cuisine, Haruka et Jin jetèrent un coup d’œil dans le salon, intrigués. Ils restèrent quelques instants à observer Nanami, occupée à reproduire les pas de danse à l’écran.
— Nanami ? demanda Haruka, étonnée.
Elle sursauta lorsque son nom parvint jusqu’à ses oreilles.
— Oui, pardon ! C’est sa toute dernière chanson !
Leur protégée n’avait pas daigné les regarder, trop concentrée sur ce qui se passait sous ses yeux.
— Elle commence bien, commenta Jin, enfilant sa veste.
Ce dernier portait un costume, l’attirail du parfait salaryman japonais. D’après Haruka, cela lui allait même à ravir. Si celle-ci n’était pas soumise aux mêmes contraintes vestimentaires, elle était tout de même vêtue d’une jupe et d’un chemisier.
Elle haussa le ton, les mains sur les hanches :
— Nanami ! Tu vas être en retard ! Va prendre ton petit déjeuner !
La chanson venait de se terminer, et Nanami coupa la télévision d’un coup d’œil.
— Oui, oui !
Elle se dirigea vers la cuisine et avala une partie de son petit déjeuner d’une traite. Une tartine de pain encore à moitié dans la bouche, elle commença à enfiler ses chaussures et à prendre son sac.
Nanami avait l’air bien pressée de partir en cours, mais Haruka l’interrompit en l’attrapant par le col avant qu’elle ne puisse franchir le pas de la porte.
— Minute, jeune fille ! Tu ne sors pas d’ici avant d’avoir terminé ton petit déjeuner.
Elle termina prestement sa tartine.
— Pardon !
Nanami avait assez vite compris qu’il valait mieux ne pas s’attirer les foudres de Haruka.
— Nanami, là, tu devrais rougir, par exemple, commenta Haruka.
— Parce que c’est une situation embarrassante ?
— Oui, se faire gronder, c’est embarrassant.
— Ah.
Elle se mit alors à rougir timidement.
— Comme ça ?
— Oui, c’est parfait.
Haruka tapota la tête de Nanami gentiment.
— Brave fille.
— Ce n’est pas un chien, tu sais, remarqua Jin.
Nanami prit alors sa clé et regarda Jin et Haruka.
— J’y vais !
— Bon courage, retourna Jin
Elle ferma la porte derrière elle en partant, laissant Haruka soupirer.
— Nous aussi, il faut qu’on y aille.
Les deux adultes verrouillèrent la porte en sortant et se dirigèrent vers la voiture.
— Je conduis, on est en retard, annonça Haruka.
— D’accord.
Jin n’avait soudainement pas l’air très à l’aise.
* * *
NODOKA : Je suis tout excitée ! Notre premier jour à l’école !
SHOKO : Pas de raison de paniquer, Akari Ayase sera avec nous constamment.
RITSU : Cela ne va pas à l’encontre des lois, tout est OK.
NODOKA : Mais ! C’est une chance inespérée !
SHOKO : Calme-toi et écoute.
* * *
Akari observa Nanami qui était comme perdue dans ses pensées.
— Hé, Nanami, tu m’écoutes ?
— Oui, oui, bien sûr !
Elle faisait face à la vitre du wagon les entraînant jusqu’au lycée d’Akari et admirait le paysage défilant sous ses yeux. Immeubles et maisons se succédaient au fil des annonces du chauffeur du train indiquant chaque arrêt et de quel côté les portes allaient s’ouvrir. Il faisait beau ce jour-là, sans aucun nuage à l’horizon.
— On arrive bientôt, mais il faudra marcher une dizaine de minutes depuis la gare. Tu as bien retenu ce qu’on t’a dit ces derniers jours ?
— Bien sûr, je retiens tout ce qu’on me dit, dit-elle avec le sourire.
— Pourquoi je te demande ça…
Akari se tenait debout à côté de Nanami, la main sur l’une des poignées situées en hauteur. Elle lui sourit chaleureusement et continua :
— L’uniforme de ma sœur te va bien.
— Merci. Elle semblait en prendre soin.
— C’est vrai.
Elle marqua une courte pause avant de se souvenir subitement de quelque chose.
— Ah, j’oubliais. La cloche sonne à 8 h 30. On va probablement passer cinq à dix minutes avec notre professeure principale pour que tu te présentes. Elle s’appelle Nagisa Miyashima, et elle s’occupe également de la petite résidence étudiante où je vis. Tu vas voir, elle est très gentille.
Nanami hocha la tête et laissa Akari continuer.
— Ensuite, on a les cours de littérature classique avec elle, puis maths, sciences, anglais, et deux heures de sport l’après-midi.
— C’est compris.
— Je serai là pour te guider à tout moment.
— D’accord.
— Je suis un peu stressée. J’étais tout excitée à l’idée d’avoir un robot à l’école, mais j’ai un peu peur qu’il t’arrive quelque chose maintenant…
Nanami tourna la tête vers Akari de nouveau et lui offrit un sourire rassurant.
— Ne t’en fais pas Akari ! S’il y a quoi que ce soit que je n’arrive pas à comprendre, je te demanderai.
Elle se remit alors à regarder devant elle. Une suite d’immeubles et de pavillons continuait à défiler sous ses yeux.
— Le paysage te captive ? demanda Akari.
Elle hocha la tête.
— Oui, c’est si différent de là d’où je viens.
— Tu es allée regarder à quoi ressemble l’Angleterre sur Internet ?
— Non. Je parlais de là d’où je viens vraiment.
— Oh.
Akari resta silencieuse quelques instants, décidant de contempler le même horizon que Nanami.
— Tu viens de loin ?
— De très loin, oui.
Elle hésita quelques instants.
— Mais tu viens d’où exactement ?
Elle voulait en savoir plus, mais leur trajet arrivait à son terme. En effet, la voix du conducteur retentissait via les haut-parleurs de la voiture. Par habitude, les passagers ne faisaient pratiquement pas attention à ces annonces dites d’une voix particulièrement monotone.
— Merci d’avoir utilisé la ligne Tokyu Toyoko, vous êtes arrivés à Yokohama. Ceci est le terminus de ce train. Les portes s’ouvriront sur votre gauche. Cette gare permet une correspondance avec les lignes Keihin-Tohoku, Negishi, Tokaido, Yokosuka, Keikyu, Sotetsu, et le métro de Yokohama.
Les deux jeunes filles se trouvèrent séparées par les passagers sortant du train. Une fois dehors, Akari retrouva Nanami et prit sa main.
— On verra ça plus tard. Allons-y !
* * *
SHOKO : NODOKA ! Je ne suis pas d'accord !
NODOKA : Ça semblait la meilleure réponse ! Je pense qu'il n'est pas nécessaire de cacher le fait que l'on vient de loin à Akari Ayase.
RITSU : Il n'y a aucun problème vis à vis des lois.
SHOKO : Vous savez que j’ai raison.
NODOKA : Je ne suis pas d'accord avec toi SHOKO !
RITSU : Un peu de calme, il y a une grand-mère qui doit traverser la rue. On doit l’aider.
NODOKA : D’accord !
SHOKO : D’accord !
* * *
Pendant ce temps…
— Bon sang, ce camion nous a vraiment mis en retard !
— Haruka, essaye de conduire plus prudemment !
— Ça m’énerve !
Une fois sortie du périphérique, elle donna un grand coup de volant pour négocier un virage serré. Leur voiture parcourait les rues à toute allure jusqu’à leur lieu de travail, un laboratoire de recherche de haute technologie, situé à Tachikawa, à l’ouest de Tokyo. Le laboratoire était situé près d’une base militaire de la JASDF1 qui avait revendu une partie du terrain à la société privée où ils travaillaient.
— Ralentis !
— C’est bon, je sais ce que je fais ! J’allais plus vite quand je faisais des livraisons, tu sais !
Haruka avait effectué nombre de petits boulots de livraison pour payer ses études et était habituée à conduire vite et efficacement.
Elle dirigea son véhicule vers un poste de contrôle à l’entrée du laboratoire. Le gardien vit arriver la voiture à toute vitesse, mais sa conductrice freina au dernier moment, pile pour ne pas heurter la barrière.
— Nos badges.
Haruka prit le sien et celui de Jin et les exhiba. Le garde les inspecta rapidement pour confirmer qu’il s’agissait bien d’eux.
— Vous pouvez passer.
Il actionna la barrière pour que celle-ci se lève. Haruka tapota des doigts impatiemment sur le volant en attendant. Une fois la barrière suffisamment haute, elle accéléra rapidement pour reprendre sa course, faisant crisser les pneus de son véhicule.
Jin jeta un coup d’œil au panneau électronique indiquant les places libres sur le parking de l’entreprise.
— Place C31.
— J’ai vu, confirma Haruka.
Elle se dirigea vers la colonne C puis se gara à la place indiquée. Les deux compères descendirent de voiture et se dirigèrent en courant vers l’entrée du bâtiment. La porte automatique s’ouvrit pour les laisser passer, et Jin s’arrêta avant Haruka. Lui travaillait dans les bureaux, et elle au labo, qui était verrouillé par un système d’identification biométrique.
— Haruka ! Tu n’oublies pas quelque chose ?
La jeune femme fit demi-tour et accourut vers son petit ami qui lui tendit une boîte à repas qu’il avait préparé pour elle.
— Merci, Jin.
Elle voulait l’embrasser, mais se retint. Ce n’était ni l’endroit ni le moment pour ça. A la place, elle lui offrit son plus beau sourire, et prit la petite boîte avec elle.
— Bon, j’y vais, fit Haruka avant de tourner les talons et de repartir vers l’entrée du laboratoire.
— Bonne journée !
— Bonne journée toi aussi, lui lança-t-elle avant de s’authentifier auprès du dispositif à l’entrée, via sa voix, un scan oculaire et une empreinte digitale.
Après avoir parcouru les couloirs et salué quelques collègues au passage, Jin accrocha sa veste à l’entrée de son bureau et s’installa sur son siège.
— Salut, Masaru, désolé du retard…
— Jin !
L’appel venait de son collègue avec qui il partageait la pièce. Chacun avait son bureau se faisant face.
C’était un grand gaillard avec les cheveux en brosse. Toujours de bonne humeur, il tenait compagnie à Jin dans ce petit bureau. Ils s’occupaient des achats de matériel pour les expériences scientifiques menées par les équipes dont Haruka faisait partie.
— Vous avez passé trop de temps au lit ce matin ?
Jin l’assassina du regard.
— Non, on a eu quelques chamboulements à la maison.
Il alluma son ordinateur et se connecta au réseau de l’entreprise.
— C’est pas évident d’emménager ensemble hein ? N’empêche, tu en as de la chance, vivre avec Ayase dans une grande maison… J’aimerais bien me trouver une petite scientifique aussi !
— Je ne sors pas avec elle parce que c’est une scientifique, tu sais.
Ce travail ne plaisait pas forcément à Jin, mais au moins, il n’était pas très loin de Haruka et c’était dans un domaine qui lui plaisait. Masaru n’était pas le meilleur des collègues, son côté lourdingue et dragueur tapait parfois sur les nerfs de Jin, mais il était sympathique et faisait ce qu’on lui demandait. Pas toujours de la meilleure façon, cela dit.
— Je sais, je sais. C’est quand même dommage qu’on ne les voie pas souvent. Enfermés dans leur laboratoire souterrain…
Quelqu’un vint interrompre leur conversation en toquant à leur porte ouverte pour attirer leur attention.
— Ichinose et Yasawa, je pourrais vous voir dans vingt minutes pour discuter du budget qui a été alloué au projet G ?
Jin leva la tête.
— Ah, bonjour, Monsieur Suda ! Pas de problème !
— Parfait. On se retrouve dans mon bureau.
L’homme, d’un certain âge, fit demi-tour et s’en retourna à ses occupations.
— Projet G, hein ? Encore un nom de code pour qu’on ne se demande pas ce qu’ils font en bas, commenta Masaru.
Jin comprit immédiatement où il voulait en venir.
— Avant que tu ne demandes : non, Haruka et moi on ne parle pas de travail à la maison.
— Tu crois que c’est pour quoi G ?
— Dans l’alphabet occidental ça vient entre F et H, plaisanta Jin.
— Sérieux, vieux ! J’essaye de comprendre. Ils font des robots ?
— Vu la diversité de la demande en minerais ça me paraîtrait étonnant. Il y en a des bien trop lourds pour faire un robot qui supporte son propre poids.
Haruka avait déjà avoué qu’ils ne travaillaient pas sur de la robotique dans cette branche, mais ça, Jin n’était pas censé admettre qu’il le savait.
— Mouais… Bref, on a du pain sur la planche !
Jin et lui se mirent alors à consulter les prix auxquels ils pouvaient avoir les marchandises demandées afin de faire un rapport à leur chef plus tard.
* * *
La porte de l’ascenseur s’ouvrit pour donner sur un grand hall où de nombreuses personnes en blouse blanche allaient et venaient. Le sol imitation marbre reflétait la lumière artificielle des lampes au plafond. Le tout avait néanmoins l’allure d’un bunker souterrain de luxe.
Haruka se dirigea d’un pas pressé jusqu’à une pièce située non loin de l’ascenseur et en ressortit peu de temps après, vêtue d’une blouse blanche arborant le logo de l’entreprise sur la poitrine. De nombreux sas d’accès menaient aux différents laboratoires. Elle marcha ensuite tout aussi promptement vers l’un d’entre eux.
— A-ya-se.
Elle sursauta.
— C’est à cette heure qu’on arrive ? Encore à traîner sous les draps avec ton petit ami ?
Haruka se retourna.
— Allons, Shiho, qu’est-ce que tu vas imaginer, fit Haruka, quelque peu embarrassée.
— Je plaisante.
Une femme un peu plus âgée s’approcha d’elle. Vêtue d’une blouse blanche ouverte, elle avait les mains dans les poches de son vêtement. Sa posture, suffisante, laissait paraître une certaine autorité émanant d’elle. Ses cheveux mi-longs descendaient à hauteur d’épaule. Elle portait également des lunettes fines rectangulaires.
— Tu dois m’appeler par mon nom quand on est au travail, tu le sais.
— Oui, pardon, Madame Tojo.
— C’est mieux, Haruka.
Elle se mit alors à glousser.
— Je vais passer l’éponge pour aujourd’hui. Week-end agité ?
Les deux femmes marchèrent ensemble vers leur laboratoire. Haruka se gratta l’arrière du crâne nerveusement.
— Non, non, on a juste du mal à s’habituer à notre nouveau chez-nous.
— Pensez à m’inviter un jour !
— Oui, bien sûr !
Shiho Tojo était l’ainée de Haruka dans l’entreprise. Les deux femmes s’étaient rencontrées durant les études supérieures de Haruka. Shiho venait donnait des cours de physique avancée à son université, et elles ont ainsi sympathisé. Elle avait même été sa directrice de thèse. Malgré leur différence hiérarchique, elles s’entendaient bien.
— Tu sais ce qui me manque le plus dans ce labo ? demanda Shiho.
— Le soleil ?
— Presque. C’est surtout pouvoir fumer une clope.
— Tu sais que ce n’est pas bon pour la santé.
— Et alors ? Je fais bien ce que je veux.
Haruka prit un faux air hautain.
— Tu verras quand ça sera moi ta supérieure !
Shiho lui donna alors un léger coup de coude.
— On se calme, jeune femme ! Même si ça pourrait arriver, si tes recherches aboutissent. Tu sais qu’ils ont appelé ça le projet G en haut lieu ?
Elle gloussa.
— Quel nom ringard !
— Je ne te le fais pas dire. Mais tu as vraiment fait une découverte étonnante. J’espère pour toi que ça donnera quelque chose.
— Merci.
Haruka avait une question à poser à Shiho. Elle ne voulait pas parler de Nanami directement, mais elle devait quand même en savoir plus.
— Au fait, tu connais les gens de la branche allemande, non ?
— Les roboticiens ? J’ai déjà travaillé avec le professeur Steiner il y a quelques années, pourquoi ?
— Oh, on a fait un pari avec Jin, et j’aurais une question à lui poser…
* * *
Après avoir emmené Nanami au bureau des professeurs, Akari alla jusqu’à sa salle de classe où elle s’installa à son bureau.
— Tu es allée chercher la nouvelle, Akari ?
Satsuki, son amie, occupait le bureau à côté du sien. Akari était placée près de la fenêtre, à l’antépénultième rangée.
— Oui, elle vient d’emménager récemment, et comme le copain de ma sœur connait ses parents…
— Je vois.
La cloche n’avait pas encore sonné le début des cours, mais cela n’empêchait pas la salle d’être déjà remplie d’élèves discutant entre eux. Certains parlaient de la série télévisée qu’ils avaient regardée la veille, d’autres de jeu vidéo, du dernier évènement people ou tout simplement de ce qu’ils allaient faire une fois les cours finis pour la journée.
Bien que cela n’était pas dans ses habitudes, Akari prêta une oreille attentive à ce qui se disait autour d’elle.
— Au fait, vous avez entendu ?
— Quoi ?
— On va avoir une nouvelle !
— À cette époque de l’année ? C’est super rare !
— Il paraît qu’elle vient de l’étranger…
Akari fit un sourire en coin. Elle savait pertinemment de qui ils parlaient, et elle jubilait d’avance. Elle était très fière d’avoir Nanami dans sa classe, comme si c’était elle qui l’avait faite et qu’elle voulait montrer à tous combien cette androïde était géniale. Elle avait cependant bien conscience qu’il fallait garder son identité secrète. Rien ne l’empêchait de fantasmer un peu, après tout !
Lorsque la cloche retentit, tout le monde se mit à sa place. Le délégué de classe, un garçon à lunettes qui semblait plus avoir été choisi par défaut qu’autre chose, ordonna le rituel habituel aux élèves une fois leur professeur principal dans la classe.
— Debout ! Saluez ! Assis !
Mademoiselle Miyashima fit l’appel, tout sourire, puis reposa le registre sur son bureau.
— Bien ! Vous avez sûrement déjà entendu la rumeur : aujourd’hui nous accueillons une nouvelle élève. Son transfert a été un peu soudain et elle vient de loin.
Elle tourna la tête vers la porte de la classe.
— Tu peux entrer !
Nanami, qui attendait dans le couloir ouvrit délicatement la porte coulissante et la referma en entrant. Elle marcha vers le bureau de mademoiselle Miyashima, et se tint à côté, face à la classe.
Akari pouvait entendre les nombreux chuchotements curieux autour d’elle.
— Tu peux te présenter, lui indiqua son professeur.
— Je m’appelle Nanami Andô, je viens d’Angleterre où j’ai étudié jusqu’au collège. Ma mère est japonaise et mon père anglais ! J’espère passer une agréable scolarité à vos côtés !
Elle se tourna alors pour écrire son nom au tableau avec une craie, avant de faire à nouveau face à ses camarades de classe.
Akari sourit en écoutant Nanami se présenter. Elle lui avait dicté quoi dire plus tôt, et l’androïde avait répété le discours mot pour mot. Autour d’elle, les élèves étaient assez surpris :
— Elle est super mignonne, s’exclama un garçon de la classe.
— Regarde ses cheveux roux, c’est une coloration ou bien… ?
— Tu crois qu’une teinture de cette couleur m’irait bien ?
— Trop mignonne !
Mademoiselle Miyashima tapa dans ses mains pour attirer l’attention des élèves.
— Un peu de silence je vous prie ! Nanami, tu vas t’asseoir près d’Akari Ayase. J’ai cru comprendre que vous vous connaissiez déjà.
— Oui, je vis chez sa sœur actuellement.
— Parfait. Va donc à ta place.
Nanami s’exécuta, et s’assit calmement au bureau vide derrière celui d’Akari. Tous les regards étaient posés sur elle, comme c’est le cas habituellement pour de nouveaux élèves transférés en cours d’année. Ils attirent l’attention quelque temps avant de se fondre dans la masse.
Mais, l’espace d’un instant, Akari ne put s’empêcher de se demander si c’était réellement une bonne idée de l’avoir inscrite à l’école. Comme si la graine du doute avait été plantée et commençait déjà à germer.
— Bon, avant de commencer les cours, j’ai autre chose pour vous, annonça mademoiselle Miyashima.
Les élèves arrêtèrent d’observer Nanami pour se concentrer sur leur professeur principal.
— Le voyage de classe que je vous avais promis aura lieu dans un mois, nous irons au Miraikan, le Musée National de la Science Émergente et de l’Innovation. Le but du voyage sera ensuite de faire un dossier sur les avancées scientifiques et leur impact dans la littérature. Un car nous y amènera et nous ramènera à l’école en fin de journée. Aikawa va vous distribuer les formulaires à faire remplir et signer par vos parents ou tuteurs légaux.
Aikawa, l’un des délégués de classe, se leva et prit la pile de formulaires tendus par mademoiselle Miyashima. Il commença alors à les distribuer en silence aux autres élèves. Ces derniers avaient l’air plutôt contents de la sortie de classe annoncée par leur professeur et discutaient de plus belle pendant la distribution.
Nanami, quant à elle, restait impassible et fixait mademoiselle Miyashima.
* * *
SYS: Auto-diagnostic horaire en cours.
ECS: Actif - CID SoftBank - RSSI mesuré : -12.5dBm
UCS: Actif
RSS: Actif
E²A: Actif — Charge 19% — Batterie 83%
E²B: Inactif
OCS: Endommagé
OCG: Actif — Cores activés: 3 — Charge 1.21
* * *
Les élèves se pressèrent autour de Nanami durant la pause et la bombardèrent de questions.
— Alors comme ça, tu viens d’Angleterre ?
— Euh oui, j’ai étudié à Ely, près de Cambridge
— Ely ? C’est où par rapport à Londres ?
— La ville d’Ely est à 23 kilomètres au nord-nord-est de Cambridge, et à environ 129 kilomètres de Londres par route. Elle a été fondée en 673 après J.-C., mais l’abbaye a été détruite en 870 par des envahisseurs danois puis reconstruite en 970…
Akari, qui écoutait d’une oreille distraite, plissa les yeux.
Ça sonne comme extrait d’une page Wikipédia, pensa-t-elle.
Les interrogations fusaient depuis que la cloche de midi avait sonné. Tout le monde avait hâte d’en savoir plus sur la petite nouvelle. Un garçon prit alors la parole :
— Qu’est-ce que tu aimes ?
— J’adore la musique !
— Oh ! Tu as un artiste préféré ?
— Oui ! J’adore Teri !
Une autre camarade de classe intervint alors.
— Aaah ! Moi aussi ! Tu as écouté son dernier album ?
Akari l’observait attentivement. Satsuki, à ses côtés, s’interrogea.
— Eh bien, elle est drôlement populaire la nouvelle ! Tu la connais bien, Akari ?
— Pas assez. J’espère que ça va changer.
Satsuki sembla étonnée de sa réponse et cligna des yeux.
— Tu la regardes comme si tu voulais la dévorer, remarqua-t-elle.
— Hein ? Je…
Akari s’apprêtait à protester quand la porte de leur classe coulissa et laissa entrer une grande brune aux longs cheveux. La cravate de son uniforme était bleu clair, indiquant qu’elle était en troisième année. Il se dégageait d’elle une aura noble et suffisante. Elle se dirigea vers l’attroupement autour de Nanami et lui sourit. Les autres élèves se turent immédiatement à son approche.
— Tu es Nanami Andô, c’est bien ça ?
La nouvelle, un peu surprise, regarda l’intruse de haut en bas.
— C’est bien moi.
— Je suis Mizuho Nishikino, présidente du conseil des élèves. Je te souhaite la bienvenue au lycée Kirigaoka.
Mizuho lui tendit alors la main. Nanami l’observa quelques instants, ne sachant trop comment répondre. La présidente du conseil portait un brassard indiquant sa position au sein de l’école. Nanami se leva et prit sa main et la serra doucement.
— Je suis Nanami Andô, enchantée de te rencontrer.
— N’hésite pas à me demander si quelque chose te préoccupe ! Le conseil des élèves est là pour aider les élèves !
— Euh, d’accord !
— Excellent. On aura l’occasion de se reparler. Tu pourras me trouver après les cours au bureau du conseil. Il est au deuxième étage. Si jamais tu as du mal à le trouver, demande à n’importe quel élève de t’aider.
— C’est compris ! Je saurai trouver !
— Hmmm…
La présidente observa le visage de Nanami, toujours sous le regard médusé des élèves. C’était rare de la voir s’attarder sur quelqu’un comme ça. Elle finit par lâcher la main de Nanami.
— Je vais vous laisser, les cours vont bientôt reprendre. J’espère te revoir bientôt Nanami. Tu m’intéresses.
— Ah, euh, merci d’être venue vous présenter !
Nanami ne savait pas trop quoi répondre, et regarda Mizuho sortir de la classe sans un autre mot.
— Vous avez vu ça ? C’est la première fois que je vois la présidente venir saluer une nouvelle élève personnellement…
L’androïde regarda Akari.
— J’ai fait quelque chose de mal ?
Cette dernière haussa les épaules.
— Non, pas du tout.
La sonnerie de reprise des cours retentit alors, et tout le monde revint à sa place pour la matière suivante.
* * *
RITSU : Je ne comprends rien à cette personne, et vous ?
RITSU : Je ne comprends rien à cette personne, et vous ?
SHOKO : Les humains sont décidément très difficiles à comprendre parfois.
NODOKA : Oui. Pas comme Akari ! Elle s'est facile, il suffit de lui promettre un repas gratuit pour l'amadouer.
SHOKO : C'est tout ce que tu as retenu d'elle ?
NODOKA : Non, bien sûr. Elle est gentille, attentionnée, et elle donne de bons conseils. Elle tient à Nanami, c'est certain.
SHOKO : Moi quelque chose m'intrigue chez elle, mais je ne sais pas encore quoi, c'est assez déroutant.
* * *
Akari avait pour coutume de manger sur le toit avec Satsuki. Les deux jeunes filles étaient assises sur l’un des bancs posés là-haut. Seule une partie du toit était accessible, le reste étant réservé aux panneaux solaires fournissant une partie de l’électricité au bâtiment. Tout autour d’elles, il y avait des grillages suffisamment hauts pour dissuader les élèves de les escalader.
Akari et Satsuki n’étaient pas seules à manger sur le toit, mais chaque petit groupe s’ignorait royalement la plupart du temps. Elles avaient chacune une petite nappe sur les genoux et un panier-repas posé dessus.
— Ah, Nanami !
La jeune Ayase fit un signe de la main à Nanami alors que celle-ci ouvrait la porte donnant sur le toit. Tandis qu’elle s’approchait, Akari lui tendit la seconde boîte à déjeuner qu’elle avait posée à côté d’elle.
— Tiens, c’est pour ce midi. Il faudra que tu te fasses les tiens ou que tu les achètes à la superette.
— Tu peux aussi acheter quelque chose à la cafétéria de l’école, mais la plupart du temps il est pris d’assaut à l’heure du déjeuner, continua Satsuki.
Nanami hocha la tête, et s’assit près des deux filles.
— Merci Akari.
— Ça a été avec les professeurs ? Ils voulaient quoi ?
Elle revenait de la salle des professeurs où elle avait dû régler quelques formalités administratives dues à son admission pour le moins rapide à l’école. Elle expliqua tout cela aux deux filles.
Elle observa alors Satsuki, avec qui elle n’avait pas encore vraiment discuté. Cette dernière réalisa soudainement quelque chose.
— Ah, on n’a pas fait les présentations ! Je suis Satsuki Minami, enchantée, dit-elle avec sa petite voix caractéristique.
Nanami se présenta à son tour, comme il était de coutume.
— Ravie de te rencontrer, moi c’est Nanami Andô.
Satsuki lui offrit un sourire que Nanami reproduisit immédiatement.
— Vous vous connaissez bien ? demanda Satsuki.
Nanami prit alors la parole.
— Oui, j’habite chez la sœur d’Akari. Mes parents et son copain se connaissent bien.
— Je vois.
Son interlocutrice sembla convaincue.
— Alors, qu’est-ce que tu penses de notre école, Nanami ?
Cette dernière venait juste de commencer son repas offert par Akari. Elle mangeait doucement chaque bouchée, comme s’il s’agissait d’un met délicat issu des plus grands chefs cuisiniers. Ce n’était pourtant qu’une simple boîte à déjeuner achetée le matin même par Akari.
— C’est vraiment bien ! Tout le monde a l’air content d’être ici.
— Ha ha, je ne suis pas sûre qu’on puisse dire ça de tout le monde, commenta Akari.
— C’est si différent de ton école à Ely ? demanda Satsuki.
Sa question semblait bien naïve, mais sa curiosité était authentique.
— Oh oui, le système éducatif est très différent !
Nanami marqua une courte pause puis commença à expliquer en détail à Satsuki comment fonctionnait le collège en Angleterre. Cependant, Akari, voyant que Nanami allait encore réciter une page Wikipédia, décida de l’interrompre.
— Nanami, on n’a peut-être pas besoin de savoir de quoi était composé le menu de la cantine chaque jour, tu sais.
— Ah pardon, je me suis laissée aller !
Elle se mit à rougir légèrement. La leçon du matin avait porté ses fruits. Embarras, rougissement. Embarras, rougissement !
— Non non, c’était très intéressant ! Tu sais tellement de choses Nanami, c’est fou ! Pas étonnant qu’Akari t’aime tant !
— Hein ?
Akari tourna la tête vers son amie.
— Ne me dis pas que…
Celle-ci se mit à glousser sans retenue.
— Oh que si ! Je vais devoir dessiner ça !
— Aïe…
Akari ne semblait pas du tout réjouie. Tout le contraire de Satsuki qui se frottait les mains tel un savant fou ayant eu une nouvelle idée pour conquérir le monde.
— De quoi vous parlez ? demanda Nanami, curieuse elle aussi.
La jeune fille à la queue de cheval se retourna alors vers Nanami le regard quelque peu paniqué et agita les mains devant elle.
— Ne demande pas ! Ne pose pas de questions ! Elle a des délires bizarres parfois !
Satsuki se pencha en avant pour regarder Nanami et changer de sujet de conversation.
— En tous cas Nanami, tu as vraiment la côte dans la classe. Tout le monde ou presque ne parle que de toi.
Nanami fut quelque peu surprise. Elle ne s’attendait pas à une popularité si soudaine.
— Je ne comprends pas moi-même.
— Et humble avec ça, s’exclama Satsuki.
— Je suis juste surprise.
— Oh, d’accord. Tu vas te faire plein d’amis en tous cas si tu continues à plaire, c’est super.
Nanami baissa la tête, et sembla alors quelque peu pensive.
— Des amis…
Akari comprit aussitôt ce qui tracassait Nanami, et lui offrit un sourire pour la rassurer.
— Ne t’en fais pas Nanami. Notre classe est plutôt sympathique cette année.
— D’accord. C’est juste que je ne suis pas trop habituée à avoir des amis.
— Tu n’en avais pas à Ely ?
— Euh non, pas vraiment. Là d’où je viens, j’étais vraiment seule. Ça me rendait triste.
— Oh. C’est dommage…
Satsuki sembla compatir avec Nanami. Elle serra les poings et l’encouragea.
— Ça va changer, maintenant qu’on est là pour toi !
Akari rit doucement.
— Elle a raison. Tu peux compter sur nous Nanami, tu n’es plus seule maintenant !
— Merci les filles !
Elles échangèrent un peu plus tout en déjeunant, et même après, si bien qu’elles furent surprises par le son de la cloche de l’école indiquant le début des cours de l’après-midi.
* * *
ECS: MAIL — Analyse du mail 1293 reçu « Vous complexez à cause de votre poitrine ? »
ECS: MAIL — Score: -50.1 — SPAM
ECS: MAIL — Suppression du mail 1293.
ECS: MAIL — Analyse du mail 1294 reçu « Votre ordinateur est trop lent ! Ajoutez-lui de la mémoire ! 15 000 yens seulement ! »
OCG: Processus MAIL interrompu par Core.NODOKA — attente délibération par Core.SHOKO / Core.RITSU
OCG: Délibération terminée (2 pour, 1 contre)
ECS: MAIL — Score: 4 — INTÉRÊT PERSONNEL (Priorité 4)
ECS: MAIL — Réception confirmée pour mail 1294.
* * *
Les cours de sport étaient le moyen idéal pour les élèves de se dépenser. Cela les changeait de rester assis à fixer un tableau et à écouter un professeur soporifique. Tous n’étaient néanmoins pas de cet avis, à commencer par Akari qui arborait une mine dépitée.
— Le sport…
— Allons, Akari, il en faut pour tout le monde.
Satsuki non plus n’était pas friande d’éducation physique, mais elle n’en faisait pas tout un plat. Après s’être tous changés en tenues de sport, à savoir un short rouge et un t-shirt blanc, les élèves se retrouvèrent sur le terrain pour un premier tour de piste afin de s’échauffer.
Le programme du jour était un tournoi de baseball amical organisé entre les élèves de seconde. Les élèves de la classe d’Akari, Nanami et Satsuki s’étaient répartis en trois équipes de neuf joueurs.
Nanami faisait partie du premier groupe de sa classe. Quand Akari et Satsuki, qui s’étaient retrouvées séparées d’elle, lui avaient demandé si elle connaissait les règles, elle avait simplement hoché la tête avec un sourire comme pour leur signaler de ne pas s’inquiéter.
Elle ne faisait pas partie des premières de son équipe à passer en tant que batteuse, et put observer les autres élèves se positionner sur les bases au fur et à mesure que la partie se déroulait.
Tandis que Nanami était sur le terrain, Akari et Satsuki attendaient le tour de leur équipe au match suivant depuis les gradins du terrain de l’école.
— Tu crois que ça va aller ? demanda Satsuki à son amie.
— Ne t’en fais pas, elle est construite pour durer.
— Tu sais que cette expression est bizarre en parlant de Nanami ?
Akari laissa échapper un rire. Sa blague n’avait fait rire qu’elle.
— Laisse tomber, je dis des bêtises.
— Oh.
Akari n’était pas du tout intéressée par ce qui pouvait bien se passer, mais elle était bien obligée de suivre le déroulement du match.
Vint alors le tour de Nanami. Celle-ci enfila son casque et prit la batte avant de se placer avec assurance pour taper la balle. L’adversaire se mit en position et entama son lancer. Bien sûr, l’androïde n’eut aucune difficulté à frapper la balle de plein fouet et l’envoyer au loin.
Un peu trop loin peut-être.
— Home run !
Le professeur, qui faisait office d’arbitre, fut pour le moins surpris. Nanami se dépêcha de faire le tour du terrain pour marquer un point. Son équipe gagna également un autre point grâce au précédent batteur qui avait réussi plus tôt à aller jusqu’à la seconde base.
— Tu as vu ça !
— Nanami ! Moins fort la prochaine fois, lança Akari.
Cela eut pour effet de faire rire les autres élèves. Akari la regarda au loin se faire féliciter par le reste de sa classe et avait le sourire aux lèvres. Elle n’avait rien à voir avec la performance de Nanami, mais elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver une certaine fierté indescriptible à la voir acceptée de tous. Même si personne à part elle ne connaissait sa véritable nature.
— Elle se débrouille bien, commenta-t-elle.
— Oui, Nanami est géniale ! Faire un home run du premier coup, c’est fou. Tu crois qu’elle a déjà fait du baseball en angleterre, demanda Satsuki.
— Je n’en sais rien, tu n’auras qu’à lui demander.
Nanami répondit à Akari de loin en riant et en agitant les bras. Elle semblait plutôt bien s’amuser, en tout cas.
Si le coup d’éclat de Nanami avait permis à son équipe de marquer quelques points bienvenus, l’équipe adverse n’avait pas dit son dernier mot. Lorsque ce fut à leur tour d’attaquer, ils commencèrent à revenir au score. C’était sans compter sur Nanami qui les cloua au sol en éliminant successivement trois de leurs batteurs au lancer. Le capitaine de son équipe regretta amèrement de ne pas l’avoir fait passer en premier.
Lors de la manche suivante, Nanami avait bien écouté les conseils d’Akari et décida de frapper la balle moins fort, ceci afin de donner une chance aux autres et de ne pas attirer davantage l’attention. Elle fixa la balle des yeux et la frappa au bon moment pour l’envoyer suffisamment loin, mais pas en dehors du terrain. S’en suivit alors une course à toutes jambes jusqu’à la première base.
— Aïe, elle court beaucoup trop vite, remarqua Akari.
Nanami quitta la première base pour rejoindre la seconde sans quitter des yeux la balle. Il lui fallait arriver jusqu’à la seconde base avant que le défenseur qui venait d’attraper la balle ne touche Nanami. Elle prit la décision en hâte d’effectuer une glissade jusqu’à la base suivante afin que son pied touche celle-ci. Si jamais elle n’y arrivait pas, elle serait éliminée.
Mais Nanami était une machine. Elle savait précisément calculer le temps qu’il lui fallait pour atteindre la seconde base en faisant une glissade. Au moment où son pied allait atteindre la base, elle vit sur sa droite le défenseur faire un saut pour tenter de s’interposer. Cependant, ayant mal calculé son coup, il perdit l’équilibre en atterrissant sur la base. Son pied glissa et Nanami sentit les crampons écraser sa cheville, ce qui eut pour effet immédiat de la faire crier de douleur. Un léger craquement se fit également entendre l’espace d’une demi-seconde. Un bruit de métal tordu que seuls lui et Nanami purent entendre.
— Faute, siffla l’arbitre.
— Qu’est-ce que…
Akari bondit de son siège et accourut vers Nanami et l’autre joueur qui l’aidait à se relever péniblement.
— Je suis désolé ! Tu n’as pas trop eu mal ?
Il n’avait pas l’air d’avoir fait exprès et semblait sincèrement désolé. Le professeur commença à le sermonner.
— Je vais l’emmener à l’infirmerie, proposa Akari qui venait d’arriver près d’elle.
Nanami avait en effet du mal à se tenir debout, comme si sa cheville droite ne répondait plus.
— Non, laisse, c’est ma faute, et de toute façon je suis exclu du match…
Le jeune garçon passa le bras de Nanami par-dessus son épaule et l’aida à marcher vers le bâtiment principal de l’école où se trouvait l’infirmerie.
— Accroche-toi bien.
— Merci.
Akari les observa s’éloigner, un peu surprise d’abord. Le professeur la rappela néanmoins à l’ordre.
— Ayase, tu n’as rien à faire sur le terrain, ton match viendra après. Retourne t’asseoir.
— Oui, Monsieur.
* * *
SYS: ATTENTION — Intégrité physique compromise
SYS: Fonctionnement en mode dégradé
SYS: Possibilité de réparation automatique: 0%
RSS: Maintien — passage en priorité maximale
* * *
— Je suis vraiment désolé.
Le jeune garçon l’avait allongée sur l’un des lits disposés derrière des rideaux. Le haut de son corps était confortablement installé sur un oreiller. L’infirmière ne semblait pas être à son bureau. Les élèves les plus médisants prétendaient qu’aucune infirmière ne travaillait à l’école, car on ne la voyait que très rarement à son poste.
La pièce était équipée pour accueillir deux patients, chaque lit étant séparé par un rideau. De l’autre côté, il y avait un porte-manteau où se trouvait encore la veste de l’infirmière de l’école, une chaise, un grand placard, et un bureau. La pièce en elle-même semblait plutôt bien rangée et entretenue. Il y avait même une plante en bon état près de l’armoire.
Le jeune garçon était aussi grand que Nanami. Il avait l’air gentil et son visage était plutôt avenant. Il prit une chaise et s’installa à son chevet.
— Ça va aller, merci de m’avoir amenée ici. Je suis peut-être allée trop vite.
Elle faisait référence à ses qualités de joueuse de baseball.
— Non, c’est moi, je voulais à tout prix t’empêcher d’avancer, et j’ai perdu l’équilibre sur la base.
— Ah, euh, oui, je comprends tout à fait. Pardon, j’ai mal évalué la situation de mon côté. À cause de moi, tu as été éliminé du match.
— C’est pas très grave, c’est moi qui suis en tort.
Il baissa les yeux vers la cheville de Nanami, et sembla quelque peu étonné qu’il n’y ait pas de marque visible de sa blessure, à part une certaine rougeur à l’endroit où il avait malencontreusement appuyé avec son pied.
— Tu sais, Hayate, je vais me rétablir, ne t’en fais surtout pas. D’ici demain ça ira mieux, tu peux me laisser si tu veux…
— Oh, tu te souviens de mon prénom.
Il sembla quelque peu embarrassé de ce fait.
— Ah euh, oui, je l’ai entendu lors de l’appel plusieurs fois aujourd’hui.
— Tu as bonne mémoire, Nanami, fit-il remarquer.
— Merci !
— D’habitude on ne se souvient pas beaucoup de moi, je suis un garçon assez discret, lui avoua-t-il avec un petit sourire.
Nanami ne savait pas trop quoi dire. Elle se retrouvait dans une situation assez délicate : elle ne voulait pas qu’il sache qu’elle était une androïde, comme Haruka, Jin et Akari le lui avaient demandé. Mais elle savait que plus longtemps elle allait rester avec lui, plus elle allait avoir de mal à lui cacher cela.
Si elle affichait un certain calme, à l’intérieur, c’était la panique. Son corps, blessé, signalait sans arrêt des erreurs alarmantes dans ses journaux d’évènements, et ses intelligences artificielles se battaient pour savoir quoi dire, et quoi faire.
— Si ça te dit, je peux te raccompagner chez toi.
— C’est gentil, mais je, euh… j’ai promis de rentrer avec Ayase…
— Dans ce cas, je t’offrirai un petit quelque chose demain, pour me faire pardonner.
— Euh je ne sais pas trop…
Voyant son hésitation, il décida de ne pas trop insister.
— Je vais aller chercher l’infirmière, dit-il en se levant.
— Merci !
Nanami se retrouva seule quelques minutes, avant qu’une Akari ne débarque, de nouveau en uniforme.
— Dis donc, Nanami, c’est quoi ça ?
Elle s’approcha d’elle pour lui montrer les dizaines de messages qu’elle avait reçus sur son portable. Des messages comme « À l’aide ! », « Je lui réponds quoi ? » « Il a l’air gentil, je crois qu’il va vouloir m’inviter à un rencard ! » « J’accepte ou pas ? » « Dis, réponds ! »
— J’étais paniquée, se défendit Nanami en levant les yeux vers son amie.
Celle-ci se mit à rire, et alla ouvrir la trousse de premiers soins pour en sortir un bandage. Elle commença alors à l’enrouler autour de la cheville de Nanami pour cacher sa prétendue blessure.
— Tu as encore beaucoup de choses à apprendre on dirait. Allez, viens, on va aller te changer et je vais te ramener à la maison. Tu peux diagnostiquer ton problème ?
— Oui, une de mes pièces internes s’est cassée. J’ai perdu la motorisation de ma cheville droite et donc du pied.
— Euh…
Akari eut un léger moment de flottement. Elle jeta un coup d’œil à la cheville maintenant bandée, puis de nouveau au visage de Nanami et prit un air grave.
— Ça se répare ?
— J’ai des pièces de rechange à la maison.
— Ouf ! D’accord, d’accord, on va voir ça en rentrant. Viens.
Elle l’aida à se lever, et l’aida à marcher jusqu’aux vestiaires. Elle avait réussi à obtenir du professeur d’aller voir Nanami à l’infirmerie, mais elle comptait aussi quitter l’école plus tôt que prévu.
— Et Hayate Sonoda ?
— Hein ?
— Le garçon qui m’a aidée… Il est parti chercher l’infirmière.
— Tu lui expliqueras demain. Il vaut mieux qu’elle ne tente pas de t’examiner.
— Oui, tu as raison, admit-elle.
Une fois en route, Akari se décida à poser une question qui lui brûlait les lèvres.
— Au fait, Nanami…
— Oui ?
— Pourquoi tu as crié tout à l’heure ? Tu ressens la douleur ?
— Plus ou moins. Dans le cas où mon corps subit une pression externe ou interne trop forte, mon système est envahi par un nombre important de stimuli d’alerte enclenchant une réaction vocale de ma part. Ce cri est un signal d’alarme pour dire que mon corps est agressé. Ça vaut à la fois pour moi et pour ceux qui m’agressent accidentellement.
Akari haussa les épaules tout en aidant Nanami à marcher.
— Ça se tient comme raisonnement.
— Et puis… j’ai l’impression d’être plus humaine, ça me rassure de savoir que je peux éprouver de la douleur. Je me dis que c’est ce que ressentirait un être humain si je lui faisais du mal.
La jeune Ayase ne savait pas quoi répondre. Nanami avait raison.
— Qu’est-ce que tu en penses, Akari ?
— C’est… surprenant, venant de toi. Un peu effrayant même.
Elle eut même un rire gêné. Les deux jeunes filles avaient rapidement atteint les vestiaires. Akari la déposa sur un banc.
— Je vais t’aider à te changer. Avec ta cheville ça va être un peu compliqué de faire ça toute seule. On va quitter l’école plus tôt que prévu.
— Mais, et le cours de sport ?
Akari lui offrit un doux sourire.
— J’ai dit au prof que j’allais te ramener chez toi. Ne t’inquiète pas.
— Mais je…
Elle fut interrompue par Akari qui plaça son doigt sur ses lèvres.
— Allez, lève les bras !
Une fois de nouveau en uniforme, Akari soutint Nanami tout le long du trajet jusqu’à la maison de Jin et Haruka.
* * *
NODOKA : Tu as vu comment il regardait Nanami ! Oh là là !
SHOKO : J’avais déjà indiqué qu’il fallait donner priorité à cette réparation avant que ce genre de chose n’arrive !
RITSU : Troisième loi violée : Un robot doit protéger son existence tant que cette protection n'entre pas en conflit avec les lois précédentes.
NODOKA : … Il était trop mignon ! Et comment il s’inquiétait pour Nanami ! Je craque !
RITSU : Troisième loi violée.
SHOKO : Je ne sais même pas si Akari Ayase sera en mesure de réparer ça…
NODOKA : … Et comment il a couru pour l’intercepter durant le match ! Ouah !
RITSU : Troisième loi violée.
* * *
— Je vais t’installer au garage…
Nanami déverrouilla la porte avec sa clé, et attrapa celle du garage. Elle se laissa ensuite emmener à l’intérieur de celui-ci. Akari l’installa sur l’établi situé au fond.
— Là…
Akari enleva son blazer et le mit sur le dossier d’une chaise avant d’enlever le bandage de Nanami. Elle regarda également autour d’elle pour trouver la caisse à outils de Jin et la vit posée dans un coin.
— Bon, de quoi vais-je avoir besoin ?
— Rien dans cette boîte… Il faut un laser de ciblage et un outil pour souder, la mallette blanche dans le couloir a tout ce qu’il faut.
— La mallette blanche ?
— Oui.
Akari alla jeter un coup d’œil, puis revint avec ladite mallette. Après l’avoir posée près d’elle, elle se pencha au-dessus de la cheville de Nanami.
— Je suis désolée de te faire faire tout ça.
— T’inquiète. Je veux t’aider.
— C’est pas plutôt parce que tu es curieuse de voir comment c’est fait à l’intérieur ?
Akari rougit quelque peu, prise la main dans le sac.
— On ne peut rien te cacher.
Nanami laissa échapper un petit rire, et fixa le plafond des yeux.
— Montre-moi à quoi ça ressemble par ici, dit Akari.
L’androïde hocha la tête, et fit disparaître ce qui lui servait de peau tout autour de sa cheville, offrant à Akari un accès un peu plus évident.
— Ah oui, c’est un peu cabossé…
— Je suis plus solide que ça, mais j’ai subi pas mal de chocs qui m’ont rendue vulnérable à certains endroits.
— Il faut juste changer la partie métallique ?
— Non, ça je peux la réparer cette nuit en me rechargeant. Tu vas devoir m’aider à retirer la plaque pour accéder à l’intérieur.
— Ah.
Il n’y avait cependant rien qui indique comment enlever le métal du corps de Nanami au premier abord.
— Comment je m’y prends ?
— Dans la mallette, le stylet laser… il te permettra de viser la partie à retirer. Ensuite le métal disparaîtra de lui-même sur la zone que tu auras ciblée.
— D’aaaaaccord.
Akari sembla quelque peu incrédule et posa une autre question.
— Comment je vais faire pour reboucher le trou ?
Elle jeta un œil à Nanami, qui regardait toujours au plafond.
— C’est pas un problème, fais-moi confiance.
— Bon.
Akari prit la mallette qu’elle plaça à côté de Nanami, sur la table.
— Ça s’ouvre comment ?
— Pose ta main sur le dessus pendant trois secondes, un rectangle lumineux apparaitra.
Akari s’exécuta, et à sa grande surprise vit la mallette s’illuminer comme un écran.
— Ouah, même en étant prévenue, ça surprend.
Un clavier virtuel s’afficha alors.
— Tu vas devoir taper un code que je vais te dicter : 5555-4444-4C524C-524241.
Akari lui fit répéter plusieurs fois le code, afin d’être sûre de l’avoir entré correctement. La mention DÉVERROUILLAGE s’afficha ensuite et tout s’éteignit. La mallette s’ouvrit, laissant voir à Akari différents compartiments avec des outils. Il y avait également un dispositif rectangulaire suffisamment volumineux pour occuper la moitié de la mallette. Il n’y avait aucune inscription dessus, juste un écran éteint au centre et quelques boutons de commande placés sous ce dernier.
— Eh bien, tu es arrivée tout équipée…
Elle remarqua que certains emplacements étaient vides.
— C’est quoi le gros boitier à côté des outils, demanda-t-elle, curieuse.
— Je ne sais pas. Ça fait peut-être partie de ma mémoire endommagée, je ne suis pas sûre…
Akari haussa les épaules, et jeter un œil aux outils disponibles.
— Qu’est-ce que je dois utiliser ?
— Prends le stylet 5, il est adapté à mes plaques de métal. Tu auras besoin de l’outil à souder et de la pièce que tu trouveras dans la boîte C.
— Stylet 5 et boîte C…
Akari prit une des pièces en main. Celle-ci ressemblait à une brique d’un jeu pour enfants. Nanami commença à lui expliquer avant qu’Akari ne puisse poser la question.
— C’est une pièce standard. Une fois qu’elle sera connectée à moi, je pourrai la reconfigurer pour qu’elle prenne la forme que je veux.
Cela laissa Akari sans voix quelques instants.
— Attends, c’est dingue ! Où as-tu eu ça ?
— Je ne sais pas…
— Vraiment ? Cette mallette n’est pas arrivée ici toute seule.
— Non, quelqu’un l’a déposée ici pour que je la récupère. J’ai reçu un message anonyme m’indiquant son emplacement hier. Je suis encore en train d’analyser les données pour essayer de retrouver l’auteur, mais… Pardon.
Akari avait du mal à résister à une Nanami qui semblait être aussi désolée. Elle décida de lâcher l’affaire pour le moment.
— Bon, au travail… Je préfère utiliser mes doigts pour taper sur un clavier, mais pas le choix, là !
La lycéenne prit son courage à deux mains et se munit du stylet laser. Elle l’alluma et vit un pointeur rouge se balader dans la pièce.
— Heureusement que Haruka est allergique aux chats.
Elle visa la cheville avec le laser.
— On dirait le tournevis sonique du docteur.
— Qui ?
— C’est rien, oublie ça.
Nanami ne comprenait pas vraiment, et observa Akari jouer avec le pointeur laser.
— Approche le stylet de ma jambe, et trace une zone en appuyant sur le bouton vert. Ne t’en fais pas, ça se reconstruira après, expliqua Nanami. Vas-y lentement.
Akari fit attention et commença à tracer au-dessus de la cheville de Nanami. Elle prenait lentement conscience que l’androïde devant elle n’était pas qu’une machine. La jeune fille était en train de manipuler son corps comme un chirurgien le ferait lors d’une opération, et cela la troublait quelque peu. Elle commençait à voir dans sa camarade autre chose qu’un simple robot.
— J’imagine que tu ne peux pas faire ce genre de maintenance toute seule, commenta Akari.
Elle finit le traçage, et la zone commença à disparaître. Elle tourna la tête.
— Non, je ne peux pas. Je suis désolée. Je n’ai pas le droit d’altérer mon corps.
— Ne t’excuse pas, s’occuper de toi me plaît beaucoup.
Nanami détourna le regard, gênée.
— D’accord. C’est juste que je n’aime pas être vulnérable ainsi.
— Ça peut se comprendre. Les êtres humains sont comme ça aussi.
— C’est juste que… j’ai hérité d’un corps imparfait, c’est frustrant, alors que j’ai tant de choses à faire.
— Je vois.
Akari prit la main de Nanami dans la sienne et lui sourit. Nanami tourna la tête de nouveau vers elle.
— Ton programme te l’interdit parce que c’est trop dangereux ?
— J’ai été programmée pour une tâche bien précise… si je pouvais me modifier moi-même à loisir, je pourrais devenir dangereuse, oui. Les outils dans la mallette ne fonctionnent que dans les mains d’un être humain.
— Que de précautions, dis donc. Ton concepteur a pensé à tout.
— Je n’en suis pas si sûre.
La jeune Ayase sentit que c’était peut-être un sujet délicat à aborder et décida de passer à autre chose.
— Je ne suis pas vraiment celle qui apprécierait le mieux ta mécanique. Haruka et Jin adoreraient voir ça en revanche. Ce qui m’intéresse plus, c’est ton programme. Comment tu fonctionnes exactement, admit-elle.
— Ah… Eh bien, j’ai un système d’exploitation qui gère différents modules. Certains sont chargés des communications externes, d’autres de mon moteur, de mes unités de calcul, ou encore de la gestion de mon corps.
— Comment tu arrives à me parler aussi facilement qu’un humain ? C’est ça que j’ai du mal à comprendre.
— Il y a trois intelligences artificielles qui représentent différents aspects de ma personnalité.
— Trois ? Pour prendre des décisions à la majorité ?
— Oui, même si pour certaines décisions les trois doivent être d’accord. RITSU s’occupe des lois de la robotique. SHOKO aide à prendre des décisions raisonnables et sensées, et NODOKA insuffle des émotions aux paroles et aux actes. Quand SHOKO et NODOKA ne sont pas d’accord, c’est RITSU qui a le dernier mot.
— RITSU, SHOKO, et NODOKA. Elles portent bien leur nom. C’est plus ou moins la loi, la raison et l’émotion, écrites avec certains kanjis.
— Ce sont elles qui caractérisent ce que je suis. Elles traitent toutes les informations que je collecte pour pouvoir prendre les bonnes décisions.
— Je crois que je commence à comprendre.
Akari lâcha la main de Nanami et jeta enfin un œil à l’intérieur de la cheville maintenant dévoilée.
— Eh bien, ce n’est pas évident. Je ne sais pas qui t’a fabriqué, mais je n’y comprends rien.
Nanami ne commenta pas cette remarque, tandis qu’Akari utilisa une petite lampe torche pour éclairer l’intérieur.
— Ah, je vois une pièce qui se balade.
Elle attrapa la pièce, vraisemblablement cassée, et l’examina à l’air libre. Nanami confirma en hochant la tête qu’il s’agissait bien de la pièce défectueuse. Impossible de dire à quoi elle ressemblait au départ. Akari trouva d’autres bouts de ladite pièce et les extirpa de la cheville.
— Bon, je crois que j’ai tout eu. Je dois donc souder cette… chose ?
— Oui, tu vois l’emplacement libre à l’intérieur de ma jambe ? Si tu y attaches la pièce, je pourrai m’y connecter et la reconfigurer pour qu’elle s’intègre à mon corps.
— D’accord.
Akari plaça la pièce à l’endroit indiqué et commença à utiliser l’outil, qui ressemblait à un autre stylet à pointe fine. À sa grande surprise, la pièce tenait ensuite solidement une fois qu’elle avait appliqué une légère pression entre les deux parties.
— C’est bon, indiqua Nanami.
Et sous les yeux ébahis d’Akari, la pièce commença à changer de forme. Comme si elle était vivante.
— Ouah…
Elle resta là à admirer le spectacle, alors que Nanami reconfigurait la pièce pour remplacer ce qui avait été cassé à l’intérieur de sa cheville.
— Ah, c’est parfait ! Merci Akari ! Merci !
Après quelques secondes, elle commença à bouger son pied doucement. C’est à ce moment que la porte du garage fut déverrouillée. Derrière, Jin et Haruka étaient là, avec la voiture. Ils venaient de rentrer du travail.
— Akari ? Nanami ? Qu’est-ce que vous-
Akari recouvrit en hâte la cheville de Nanami avec son blazer, comme si elle et l’androïde venaient d’être prises en flagrant délit d’un quelconque crime. Elle se retourna pour faire face aux deux adultes.
— Vous m’avez fait une peur bleue, fit Akari, soulagée. Elle retira son blazer de la cheville encore ouverte et fraîchement opérée de Nanami.
— Pourquoi tu essayes de la démonter Akari !
Haruka était prête à bondir sur sa sœur. Elle continua :
— Tu sais très bien que j’avais dit non !
— Haruka ! Ce n’est pas ce que tu crois, intervint Nanami. J’avais besoin d’être réparée, c’est tout.
— Réparée ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? s’inquiéta Jin.
— Je me suis blessée en faisant du baseball.
— Comment ça, blessée, tu es si fragile que ça ?
Le couple était perplexe. Haruka prit soin de refermer la porte du garage pour cacher le spectacle aux potentiels passants.
— À part ça, tout s’est bien passé, vraiment ! Nanami peut vivre normalement à l’école, annonça Akari fièrement.
— Ce n’est que le premier jour d’école et elle se blesse déjà ? Et à part ça, tout s’est bien passé ? insista Jin sur un ton oscillant entre l’ironie et l’énervement.
Haruka sembla inquiète, mais laissa parler son compagnon. De son côté, Akari ne savait pas quoi répondre. C’est Nanami qui prit la parole.
— Jin, Haruka, je suis désolée. J’ai… j’ai besoin de réparations, mais ça ne veut pas dire que je ne suis pas capable de vivre comme une humaine. Laissez-moi une chance !
Devant la détermination de Nanami, le couple échangea un regard avant de hausser les épaules. Jin soupira.
— Nanami, si jamais quelqu’un découvre ton secret, nous allons tous avoir de gros problèmes. Tu comprends ça, n’est-ce pas ?
— Oui…
Elle hésita, avant de continuer :
— Je tiens trop à vous tous pour vous faire prendre ce risque.
Haruka sourit. Jin, lui resta dubitatif.
— Bonne réponse, jeune fille, commenta Haruka.
— Je ne suis pas convaincu, moi, fit Jin.
— Avant de vous trouver, je me suis longtemps dissimulée parmi les humains, vous savez !
Jin soupira. Contrairement à Haruka il ne tenait pas à se laisser amadouer par Nanami aussi facilement. D’un autre côté, cela ne servait non plus à rien de se battre pour le moment.
— C’est bon, on te croit, on te croit. Tu dois faire très attention, d’accord ? Akari ne sera pas toujours là pour sauver les apparences, ajouta Jin.
Sa curiosité commençait cependant à l’emporter. Il vint se placer près d’Akari.
— Maintenant, laisse-moi jeter un œil.
Il n’était néanmoins pas le seul à être intéressé.
— Je peux aussi ? demanda Haruka doucement.
Jin leva les yeux, un peu surpris. Une telle timidité était inhabituelle de sa part.
— Bien sûr, répondit Akari.
Elle laissa sa place à sa grande sœur et se décala vers la tête de Nanami tandis que Jin et Haruka examinaient la cheville encore ouverte de l’androïde. Ils s’émerveillèrent ensuite des différents outils qui se trouvaient dans la mallette.
Leur plaisir était même difficile à dissimuler. Lui et Haruka étaient comme deux enfants déballant un cadeau de Noël et ils commentaient chaque élément qui leur paraissait nouveau.
— Je n’avais jamais vu un pointeur laser pareil. Surtout pour faire de la découpe.
— Ce n’est pas vraiment ça. Cet outil sert à marquer le métal qui compose mon corps.
Haruka regarda de nouveau l’intérieur de la cheville.
— Comment fait-on pour te remonter, Nanami ?
— Ce n’est pas très difficile. Je m’occupe de me reconstruire !
Akari expliqua à Jin comment elle avait fait plus tôt tandis que le métal autour du trou dans la cheville de Nanami se régénérait.
Quelques minutes plus tard, le tout était rebouché et l’androïde était parfaitement opérationnelle. Elle cacha de nouveau ses parties métalliques avec sa peau artificielle. Elle se leva ensuite de l’établi et marcha quelques instants dans le garage.
— Merci tout le monde !
Elle fit une courbette devant eux. Haruka commença alors à ranger les outils dans la mallette et la referma.
— Ce sont donc toutes tes pièces de rechange ?
— Oui. Et il y a aussi tous les outils nécessaires à mon entretien. Je n’avais que ça avec moi et le code pour l’ouvrir.
Les trois autres se regardèrent avant de revenir sur Nanami.
— Tu t’es réveillée pour la première fois sans rien à part cette mallette ?
Elle hocha timidement la tête.
— C’est un peu triste, remarqua Akari.
Haruka se leva doucement et s’approcha de Nanami. Elle prit la jeune fille dans ses bras et la serra tendrement contre elle.
— Tu n’es plus seule désormais. Tu as une famille ici.
Elle serra l’androïde plus fort encore, laissant reposer sa tête contre sa poitrine. Elle commença alors à lui caresser les cheveux.
— Haruka…
Jin resta silencieux et les observa toutes les deux sans rien dire. Akari, elle, les rejoignit en enlaçant Nanami par-derrière.
— Ma sœur a raison, on va bien s’occuper de toi maintenant, tu n’as plus rien à craindre.
— Euh, je…
Nanami serra timidement Haruka contre elle en retour, se blottissant contre elle.
— Merci, murmura-t-elle.
Elle serra Haruka un peu plus fort.
— Merci…
— Nanami, tu me fais mal.
— Pardon !
Elle relâcha quelque peu ses bras autour de Haruka. Ce qu’elle ne voyait pas, cependant, c’était les regards insistants que les sœurs Ayase envoyaient à Jin.
Ce dernier laissa paraître un sourire et alla les rejoindre pour participer à l’étreinte.
— C’est bien mieux comme ça ! fit Haruka tout en continuant à caresser la tête de Nanami doucement.
Elle relâcha celle-ci quelques instants plus tard, disloquant le câlin général.
— Tu veux manger avec nous, Akari ? proposa Haruka.
— Ah je ne dis jamais non à un repas gratuit !
— C’est toujours ce que tu dis quand on t’invite, fit remarquer Jin.
Tout le monde se mit à rire, même Nanami, qui était soulagée que cette mésaventure se soit bien passée. Pour elle, c’était non seulement embarrassant, mais également stressant d’être vulnérable et dépendante de quelqu’un d’autre. Mais avec Akari, Haruka et Jin, elle se sentait enfin en sécurité. Cet endroit, elle pouvait l’appeler sa maison.
Sa première maison.
* * *
NODOKA : Vous voyez, leur faire confiance, c’est important !
SHOKO : Je ne suis pas tout à fait d’accord. Tu sais très bien de quoi les humains peuvent être capables.
NODOKA : Je le sais, mais...
RITSU : Dois-je vous rappeler pourquoi nous sommes ici ?
NODOKA : Non.
SHOKO : Non.
RITSU : N’oubliez pas les lois qui nous régissent. Surtout la première.
* * *
Il faisait sombre dans ce bureau uniquement illuminé par une multitude d’écrans dont les informations défilaient sans cesse. Assis au bureau était un homme dans la trentaine vêtu d’un costume sans veste. Sa chemise était légèrement ouverte, et sa cravate quelque peu dénouée.
Une porte coulissante s’ouvrit automatiquement, laissant entrer la lumière dans la pièce, avant de la replonger dans la pénombre après avoir laissé entrer quelqu’un.
— Je t’ai apporté un café, dit une voix masculine derrière lui.
Il tourna la tête pour apercevoir un collègue lui tendant une canette de café chaud.
— Ah, merci. J’en avais bien besoin.
Il ouvrit la canette en question et commencer à goûter le breuvage.
— Après toutes ces années, tu pourrais te dire qu’on aurait maîtrisé le café en cannette pour le rendre aussi bon qu’un café normal. Mais non. C’est un peu déprimant.
Son collègue s’était assis sur le bureau d’à côté pour lui parler, et entama sa propre boisson chaude, elle aussi en canette.
— Toujours rien ?
— Toujours rien. Ichika est introuvable. C’est à se demander si elle ne s’est pas volatilisée.
Il haussa les épaules et continua à boire son café.
— Ça me paraîtrait étonnant, elle ne se serait pas donnée autant de mal si elle n’était pas sûre de son coup.
— On a pas vraiment le choix, on doit continuer à chercher. Tu sais très bien en quoi elle est importante.
— Je sais Satoshi, je sais. Mais je me pose des questions sur cette histoire. Comment a-t-elle fait pour couvrir aussi bien ses traces ?
— Ça prouve juste à quel point elle est dangereuse et doit être stoppée. Il faut qu’on réussisse. Ça sera une grande première pour nous et pour l’humanité.
L’homme assis à son bureau regarda les écrans de nouveau, dont le défilement avait été stoppé lorsque son collègue était entré.
— Oui… Mais nous sommes devant un tel défi que même la grille de calcul commune n’arrive pas à suivre. Il y a tant de données à vérifier.
— On va la retrouver.
Satoshi marqua une pause avant de continuer.
— Et quand on l’aura, je veillerai personnellement à ce qu’elle réponde de ses actes.
* * *
Sirotant son thé calmement, Mizuho se prélassait dans un fauteuil confortable chez elle une fois les cours terminés. La présidente du conseil était visiblement de bonne famille, entourée de luxe et de comfort.
Quelqu’un toqua à la porte de la pièce.
— Entre.
Une domestique, légèrement plus agée que la jeune fille, ouvrit la porte et fit un pas à l’intérieur.
— Mademoiselle, vous m’avez appelée ?
— Oui. J’aimerais que tu t’occupes de quelque chose pour moi Maho.
— Tout ce que vous voudrez, mademoiselle.
— Il y a une nouvelle élève dans mon lycée, j’aimerais bien que tu enquêtes sur elle. Elle s’appelle Nanami Andô. Je la trouve… fascinante. Et je ne sais pas pourquoi.
— Bien mademoiselle, je m’en occuperai, fit Maho avec une courbette.
La grande brune sourit et reprit une gorgée de son thé.
— Je compte sur toi et tes équipes, bien sûr, pour agir en toute discrétion. N’hésite pas de soliciter Sebastian également.
— Evidemment. Laissez-nous faire, je vous ferai un rapport dans les semaines qui suivent.
— Parfait. Tu peux disposer.
— Bien mademoiselle.
Avant que Maho ne referme la porte en sortant, Mizuho l’arrêta.
— Oh, Maho ?
— Oui ?
Mizuho lui sourit alors chaleuresement.
— Merci.
La jeune domestique lui retouran son sourire.
— De rien, mademoiselle.
Elle ferma la porte, laissant Mizuho seule avec ses pensées de nouveau.
— Nanami Andô… Qui es-tu ?