Chapitre 2 – Bonjour Monde !

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* * *

Le lendemain matin, Jin ouvrit les yeux pour contempler le visage de Haruka, allongée à côté de lui. Celle-ci était déjà réveillée et l’observait en retour. Le jour s’était levé depuis un moment et la pièce était baignée de soleil.

— Bonjour toi, lui lança-t-elle tendrement.

— Bonjour.

— Tu as bien dormi ? C’est notre première nuit chez nous, après tout.

Jin lui sourit. Il aimait sa douce voix au réveil, et maintenant qu’ils habitaient sous le même toit, il allait pouvoir l’entendre bien plus souvent.

— À tes côtés, on dort toujours bien.

Elle lui sourit puis s’approcha pour l’embrasser. C’était une sensation agréable de pouvoir se réveiller ainsi le matin et de partager quelques doux moments avec celui et celle qu’on aime. Pour l’un comme pour l’autre, cela allait sans aucun doute rendre leurs journées plus agréables.

— Hmmm…

Après quelques secondes, elle rompit le baiser.

— Il faut se lever maintenant. Tu dois retourner chercher la camionnette de M. Kôsaka.

— Ah oui.

Encore un peu endormi, Jin se leva lentement, suivi de Haruka, qui enfila ses chaussons.

— Allons prendre une douche d’abord, proposa-t-il.

— Je te suis.

* * *

Au lieu de sortir, Jin était resté planté devant l’entrée du salon, avec Haruka à ses côtés. Lui était déjà habillé, tandis que sa petite amie, elle, avait encore une serviette autour de son corps.

— Ce n’était donc pas un rêve, commenta-elle.

Sur le canapé, une jeune fille dormait paisiblement. Rien ne laissait penser qu’elle puisse être une androïde, si ce n’est le câble d’alimentation USB relié à sa nuque. Jin s’approcha d’elle pour l’examiner de plus près. Même s’il l’avait bien inspectée la veille, il ne semblait toujours pas y croire. Il pensait probablement déceler de nouveaux détails à son sujet à la lumière du jour cette fois-ci. Lui et Haruka avaient encore beaucoup trop de questions à son sujet.

— Ce n’était pas un rêve, confirma Jin.

— Qu’est-ce que tu fais ?

— Je cherche à savoir si elle est chargée. Il n’y a aucun indicateur de son niveau de batterie… Je ne sais même pas comment on la réveille.

Il passa ses doigts sur la partie métallique exposée de sa nuque, cherchant un bouton quelconque. Il y avait d’autres connecteurs en plus de l’alimentation, mais ils étaient trop petits et donc difficilement identifiables pour Jin.

— Jin, tu devrais y aller, M. Kôsaka va t’attendre.

— C’est bizarre, je ne reconnais pas ces ports…

Son doigt passa dessus. Ce qui eut pour effet immédiat de réveiller Nanami. Celle-ci ouvrit grand les yeux et poussa un petit cri en se redressant brusquement. Jin fut repoussé par son mouvement soudain et se retrouva par terre. La jeune fille cligna des yeux et rougit en se rendant compte qu’elle avait fait tomber Jin.

— P-Pardon ! J-J’ai senti quelque chose et…

— Haruka, note pour plus tard, n’essaye pas de toucher ses connecteurs.

Jin se releva péniblement, encore quelque peu surpris. Haruka fronça les sourcils.

— Dis-moi Jin, depuis quand tu touches les jeunes filles dans leur sommeil ?

— Je… crois que je ferais mieux de partir.

— C-C’est pas gentil ! Ne me touchez plus jamais là, ça chatouille ! Ce sont mes connecteurs système.

— D’accord, d’accord, j’ai compris. Je n’y toucherai plus, se défendit Jin.

Jin se sentait un peu embarrassé de devoir s’excuser face à une machine.

— Allez, cesse de faire attendre M. Kôsaka, je vais m’occuper d’elle.

— Tu ferais mieux d’aller t’habiller, fit remarquer Jin.

Haruka lui lança un regard assassin.

— Ouste !

Elle le poussa dehors comme un malpropre et ferma la porte derrière lui. Elle retourna alors voir Nanami, qui était restée assise dans le canapé.

— Tu vas bien ?

— Ah, euh, oui, Haruka.

— Tu es chargée ?

Elle faisait référence à sa batterie interne.

— N-Non, je suis à 95 % de charge. Le courant de cet endroit n’est pas suffisamment fort. D’après mes estimations, il me faut dix à douze heures pour une charge complète en partant de zéro, annonça-t-elle. En temps normal, il me reste environ 25 % de batterie avant d’aller dormir.

— Eh bien, ça fait beaucoup de sommeil pour une jeune fille tout ça.

Elle lui sourit alors. Haruka se demandait comment l’approcher, comment lui poser des questions, comment en savoir plus sur elle. Mais elle devait finir de se préparer pour la journée. Il y avait encore des choses à déballer, et encore au moins un aller-retour en camionette.

— Retourne en veille, désolée que Jin t’ait réveillée, il ne voulait pas t’embêter tu sais, on est tous les deux curieux à ton sujet.

Nanami hocha la tête.

— Je vais retourner en veille, d’ici une heure je serai à pleine charge pour la journée, dit-elle en s’allongeant de nouveau sur le canapé.

Haruka l’observa alors une minute ou deux, avant d’aller s’habiller et se préparer un petit déjeuner. La journée allait être longue : il restait également plusieurs pièces de la maison à aménager.

* * *

Jin retourna à la maison pour prendre Haruka une fois la camionette récupérée.

— Je suis rentré…

Il déposa les clés sur un des cartons dans l’entrée, et trouva Haruka et Nanami assises à la table de la cuisine à discuter. La scientifique semblait bien s’entendre avec Nanami, mais Jin, lui, restait perplexe.

— Qu’est-ce que vous faites ?

— Ah Jin, je posais quelques questions à  Nanami. Elle m’expliquait que me trouver était la seule instruction qu’on lui avait donné.

— Une instruction ?

Nanami se tourna vers Jin, et haussa les épaules.

— Je suis une androïde conçue pour vivre parmi les êtres humains, mais je suis consciente d’avoir encore des choses à apprendre…

Jin n’était pas vraiment convaincu. Il prit une chaise et s’installa près de sa compagne.

— J’ai beaucoup de questions pour toi… Nanami.

— Je t’écoute, Jin.

Haruka restait silencieuse, songeuse même, et vérifiait quelque chose sur son portable durant l’interrogatoire.

— On a encore du travail aujourd’hui pour déménager, mais j’aimerais en savoir plus sur toi avant. Je vais être très clair : je ne te fais pas encore confiance.

— J-Je comprends.

— Hier soir, j’ai essayé de savoir si tu représentais un danger immédiat pour nous, ce qui n’était pas le cas, mais ça ne veut pas dire que tu vas rester ici. Pourquoi tu cherchais Haruka exactement ?

— Je ne sais pas. Il s’agit d’instructions de secours. Une partie de ma mémoire est corrompue et je ne peux pas y accéder. Tout ce que je sais, c’est que je devais retrouver Haruka Ayase… Je ne sais rien d’autre.

— D’où tu viens ? Qui t’a construite ? Tu le sais au moins ?

— Non… Je sais juste que c’est un humain. Haruka m’a demandé tout à l’heure.

Haruka intervint alors.

— J’ai pensé qu’il pouvait s’agir d’un concept échappé d’un laboratoire, au moins de chez nous, mais ça m’étonnerait beaucoup. La branche robotique de NS est en allemagne.

Jin savait tout cela, et hocha la tête.

— Bon, tu ne sais pas d’où tu viens exactement, ni qui t’a construite, passons. Est-ce que tu sais si quelqu’un est à ta recherche ? Tu appartiens à quelqu’un ?

Nanami secoua la tête.

— Je n’appartiens à personne. Je me suis reveillée dans un caisson que j’ai ouvert… J’ai dû faire beaucoup de chemin pour venir ici et trouver Haruka.

— Quelqu’un a forcément dû te créer… Je trouve ça bizarre, commenta Haruka.

Jin hocha la tête. Avant qu’il ne puisse poser une nouvelle question cependant, Nanami en posa une.

— Vous allez me jeter dehors ?

Cela prit Jin et Haruka quelque peu au dépourvu. Ils se regardèrent un instant.

— On ne peut pas faire ça Jin, elle irait où si on la mettait dehors ?

— C’est vrai que quelqu’un pourrait tomber dessus et ça pourrait mal finir pour elle…

— Oh, j’ai vécu parmi les humains quelques jours avant de vous retrouver, c’est juste de ne pas pouvoir trouver de source d’énergie qui me fait peur, admet-elle.

Jin trouvait cette situation surréaliste. Il était en train de parler à une androïde et à débattre si elle pouvait rester avec Haruka et lui alors qu’il ne savait pratiquement rien d’elle.

— Nanami… tu n’es pas dangereuse, n’est-ce pas, demanda Haruka.

— Non ! Je ne dois pas blesser d’êtres humains. Je ne vous veux aucun mal. Je pourrais même me rendre utile à la maison ! Je peux m’occuper des tâches ménagères, faire la cuisine…

Son principal interlocuteur l’interrompit.

— On n’a pas besoin d’une domestique à domicile Nanami, vraiment. Si tu tiens tant à rester, il va falloir gagner notre confiance.

— S’il vous plaît ! Je ferai tout ce que vous voudrez, mais je dois rester ici jusqu’à ce que je comprenne pourquoi je suis ici exactement. Tout ce que je sais c’est que ça a un lien avec l’éternité.

Haruka l’interrompit.

— « L’éternité » ?

— Oui. Enfin… c’est le seul mot qui est rattaché à ce qu’il reste du bloc mémoire corrompu. Je ne sais pas encore ce que c’est, mais… 

Jin soupira. Cela n’avançait pas, et ça avait le don de l’irriter.

— Bon, on ira nulle part comme ça pour le moment. On doit encore déménager quelques cartons, et demain on déballera tout, mais il est hors de question qu’on te laisse toute seule ici. Tu vas venir avec nous.

Il se leva, déterminé.

— Jin, tu es sûr ? Et si on la voit dehors avec nous ?

— Elle a dit qu’elle ne pouvait pas blesser d’êtres humains… Je suis bien obligé de la croire sur parole pour le moment. Et puis, tu laisserais une inconnue toute seule chez toi ?

Haruka le ferait sûrement. Tu as tendance à trop faire confiance aux gens, pensa Jin. C’était quelque chose qu’il lui avait déjà reproché par le passé, et qui les avait déjà amenés à se disputer.

Haruka soupira, et se leva également.

— Allez Nanami, tu vas nous aider, et on va continuer à parler durant le trajet. D’accord ?

— Oui, d’accord ! Je peux rester avec vous ?

— Je n’ai pas dit ça, interrompit Jin. Tu es en période d’essai.

Cela fit rire Haruka.

— C’est un bon début ! Viens.

Nanami s’installa à l’arrière de la camionnette tandis que Jin prit la place du conducteur et Haruka le côté passager. Le trajet aller-retour entre l’appartement de Haruka et la maison fut sans incident. L’androïde les aida même à porter des cartons. Au début Jin avait refusé et même insisté pour qu’elle reste juste plantée là à les regarder faire, mais Haruka pouvait voir que ça la démangeait de les aider. Elle n’arrêtait pas de demander si ça allait, si ce n’était pas trop lourd, elle s’assurait que le passage était bien dégagé, tenait la porte ouverte…

Au bout d’un moment, Jin et Haruka cédèrent et la laissèrent porter des cartons, ce qui accéléra nettement leur rendement : Nanami était aisément capable de porter sa taille en cartons plein de livres lourds. Une fois le dernier voyage effectué, l’ambiance s’était un peu plus détendue.

Alors que Jin préparait le dîner, Nanami posait des questions à Haruka. C’était comme si la situation s’était inversée : ce n’était plus de leur petite squatteuse dont il était question.

— Et donc vous vous êtes rencontrés comme ça… Je comprends ! Les relations humaines sont vraiment un sujet fascinant.

Elles étaient de nouveau assises à la table de la cuisine.

— Oui enfin, on a tous les deux une histoire assez particulière.

Haruka lança un regard vers Jin qui s’était tû depuis tout à l’heure.

— Jin a fait des études en sciences, tout comme moi, mais dans des domaines différents. Il n’a pas souhaité poursuivre plus loin cependant…

— Haruka, l’interrompit Jin.

Il n’aimait pas trop que l’on parle de ça, surtout à une étrangère. Cela fit glousser la jeune femme assise à table.

— Quant à moi, c’est un peu plus compliqué. J’ai perdu mes parents vers la fin du lycée et j’ai dû m’occuper de ma petite sœur Akari. J’ai donc tout fait pour gagner ma vie très vite et continuer d’étudier dans ce que je voulais : la physique appliquée. Les mystères de l’univers me passionnent.

— Oh… Je suis désolée Haruka, je ne voulais pas te rendre triste en te faisant évoquer de vieux souvenirs…

Haruka l’interrompit alors en levant la main doucement.

— Ne t’inquiète pas. Akari et moi on s’en est bien sorties. Et puis, j’ai Jin avec moi, je suis une femme comblée.

Cela fit rougir Jin. Heureusement pour lui, il avait le dos tourné et ne laissait rien paraître.

— C’est super. Je suis heureuse !

— Tu es « heureuse », demanda Haruka, curieuse.

Elle reposa sa tête contre la paume de sa main et observa Nanami. Jin tendit l’oreille : la discussion avait pris une tournure intéressante pour lui aussi : qu’est-ce qui pouvait rendre Nanami, une androïde, heureuse ? Qu’est-ce qui définissait le bonheur, pour elle ?

— Oui ! Je n’aime pas voir les humains malheureux. J’aime les voir heureux. Ça me donne satisfaction, même si je n’en suis pas la cause.

— Nanami, tu crois que tu as été faite pour aider des êtres humains ?

Elle secoua la tête.

— Je ne sais pas. J’espère en tous cas, car vous voir heureux me rend heureuse.

Cela fit sourire Haruka. Elle aussi semblait satisfaite. Elle lança un regard vers Jin.

— Je pense qu’on va avoir une petite discussion animée ce soir Jin et moi à ton sujet, Nanami.

— Je n’en serais pas si sûr, répondit-il.

Il se retourna vers elles, et amena un plat de légumes et de viande frits. Il posa les deux assiettes sur la table, une pour Haruka et une pour Nanami. Jin en amena ensuite une dernière pour lui-même et se joignit à elles.

— Je ne sais pas ce qu’en pense Haruka, mais en ce qui me concerne, tu ne me semble pas dangereuse. Ça ne veut pas dire que je te fais entièrement confiance Nanami. Mais tu t’es bien comportée aujourd’hui.

— Je ne vous veux aucun mal Jin. Et j’aimerais en savoir plus sur moi-même, mais je ne peux pas le faire si je ne reste pas ici.

— Je partage l’avis de Jin, continua Haruka, même si je te fais plus confiance que lui, visiblement. Si quelqu’un a inscrit dans des instructions de secours de me trouver, c’est qu’il devait y avoir une bonne raison… Reste à savoir laquelle.

— Oui… Je suis désolée de vous embêter.

Il haussa les épaules. Il n’avait pas vraiment envie de continuer la discussion pour le moment.

— On rediscutera de tout ça plus tard. Mangeons pendant que c’est chaud.

— Nanami, si tu veux marquer des points auprès de Jin, dis-lui qu’il cuisine bien mieux que moi.

— C’est vrai ?

Jin intervint alors.

— Eh, tu sais que c’est vrai !

Cela fit rire Haruka.

— Je te taquinais juste, Jin. Désolée… Mais ça fait du bien d’être complimenté, non ?

Cela fit rire Nanami également. Jin et Haruka eurent un moment de flottement et la regardèrent rire de bon cœur. C’était toujours aussi irréel, de se dire que la personne assise avec eux était une machine. Une machine en train de rire ? Jin et Haruka pensèrent la même chose. Ils n’en croyaient pas leurs oreilles. Nanami s’arrêta net en remarquant leur regard interloqué.

— J’ai… je n’aurais pas dû rire ? Ce n’était pas drôle ?

— Non, ce n’est rien Nanami, c’est juste… Etrange. On n’est pas encore habitués. Allez, mangeons.

— D’accord !

* * *

Le lendemain, Nanami était en train d’aider le jeune couple à s’installer par cette belle journée de printemps, comme elle l’avait promis à Jin. Elle transportait des cartons à l’intérieur de la maison, ces derniers provenant du dernier voyage que Jin et Haruka avaient effectué en camionnette. Les anciens appartements du couple étaient dorénavant vidés de leur contenu.

Contrairement à eux, l’androïde n’avait aucun mal à en porter deux ou trois à la fois et à garder l’équilibre. Cela avait tellement l’air d’un jeu d’enfant pour elle que Haruka et Jin s’arrêtaient parfois juste pour l’observer.

— Et voilà, ce sont les derniers !

Jin jeta un œil à sa montre, puis réajusta ses lunettes.

— Impressionnant. Il est à peine quatorze heures et on a déjà terminé.

— Je t’avais dit que lui demander de l’aide était une bonne idée, jubila Haruka.

S’il y avait bien une chose qu’elle adorait, c’était avoir raison, ce qui irritait parfois Jin. Cela l’irritait précisément parce qu’il partageait le même trait de caractère.

— Enfin, il reste des choses à ranger. Nanami !

Jin l’appela depuis l’entrée. Celle-ci descendit les escaliers, toujours habillée du survêtement qu’elle portait la veille.

— Oui !

Il réajusta ses lunettes sur son nez pour se donner un air de dirigeant.

— Va ranger les cartons que tu viens d’amener, il y a encore plein de livres à Haruka à mettre dans la bibliothèque !

— Tout de suite !

Nanami s’empressa d’exécuter ses ordres. Haruka, qui était à côté de lui, plissa les yeux et croisa ses bras contre sa poitrine.

— Dis donc, Jin, tu ne serais pas en train de l’exploiter, là ? Tu as vu comment tu lui parles ?

— C’est un robot. C’est fait pour qu’on s’en serve, non ? Et puis elle l’a dit elle-même il y a deux jours, c’est la seconde loi, rétorqua Jin.

— Elle doit obéir à ce qu’on dit sauf si cela met en danger la vie d’autrui, d’accord, mais ce n’est pas une raison pour en profiter !

Jin haussa les épaules.

— On vient bien de lui faire amener tous les cartons qui restaient dans la camionnette pendant qu’on finissait de préparer le salon.

— Certes, c’est vrai, grâce à elle, nous avons une demi-journée d’avance ! Une demi-journée de congés ! Après tout, ça fait une éternité que je n’ai pas pris de congé juste pour me détendre.

— Ce n’est pas une raison pour baisser notre garde ! Et puis on ne sait pas grand-chose d’elle. C’est un robot. Très avancé d’ailleurs. Elle est capable de tenir une conversation, elle a des gestes très naturels. Si on n’avait pas vu sa nuque l’autre soir, on n’aurait jamais su.

— Jin, franchement…

Haruka était sur le point de perdre son calme et soupira.

— Écoute, on ne va pas se disputer le troisième jour de notre emménagement quand même ?

— Et pourquoi pas ? Tu ne te rends pas compte, c’est une androïde, elle doit appartenir à quelqu’un, à une entreprise, un gouvernement, une armée, je ne sais pas ! Réfléchis un peu, c’est toi la scientifique !

— Dit celui qui a au moins autant de connaissances que moi, mais qui n’a juste pas voulu aller plus loin.

Jin fit une grimace.

— C’est un coup bas !

— Maintenant, c’est toi qui vas réfléchir : on en sait peu sur elle, d’accord, mais ce n’est pas une raison pour l’agresser. On lui a déjà posé suffisamment de questions pour un début, et on va prendre notre temps pour lui poser les bonnes questions. Moi aussi cette histoire de lois me tracasse. Il y a quelque chose qui nous échappe, mais la suspecter de tout et n’importe quoi ne nous avancera à rien. Si elle nous voulait du mal, elle l’aurait déjà fait. Ça s’est bien passé hier, il n’y a pas de raison que ça s’arrête en si bon chemin.

Jin poussa un soupir de soulagement.

— Je ne suis donc pas le seul être sensé ici.

— Tu insultes mon intelligence là.

— Je plaisante, Haruka. Je suis…

Nanami les interrompit dans leur discussion.

— J’ai fini !

Ils levèrent tous les deux les yeux vers l’étage.

— On arrive, annonça Haruka.

Après avoir monté les escaliers, ils se dirigèrent vers la pièce qu’ils avaient désignée comme étude. Un lieu où Jin et Haruka pouvaient laisser libre cours à leurs passe-temps. Jin aimait jouer de la musique, c’était un peu comme son refuge. Haruka, quant à elle, adorait lire tout ce qui lui passait sous la main, tel un rat de bibliothèque. Elle aimait beaucoup écouter Jin jouer tout en lisant, d’ailleurs.

Dans la pièce, l’instrument de Jin était là, attendant d’être branché. Çà et là traînaient des cartons ouverts dont le contenu, des livres, avait été rangé par Nanami. Celle-ci les avait soigneusement classés dans les étagères.

— J’ai fait deux rangées pour gagner de la place, quand il y avait plusieurs tomes de la même série !

Jin s’approcha de la bibliothèque pour l’inspecter, comme s’il cherchait à trouver un quelconque défaut dans la façon dont Nanami avait rangé celle-ci. Haruka, quant à elle, y jeta simplement un œil distrait pour constater que tout était bien rangé, avant de revenir à l’observation de Nanami. Une idée lui vint alors :

— Tu vas avoir besoin de quoi t’habiller, tu ne peux pas rester avec ce survêtement sale tout le temps.

Nanami baissa les yeux et observa son accoutrement. Sa peau ne portait plus aucune trace de coups ou d’égratignures, comme si elle s’était régénérée durant les deux nuits où elle était restée branchée. Cependant, ses vêtements étaient encore sales.

— Euh, j’ai juste besoin de les laver…

Jin sembla comprendre où Haruka voulait en venir et les interrompit.

— Attends, Haruka, tu ne vas pas…

— Si, je l’emmène s’habiller cet après-midi. Tu n’as pas besoin de nous maintenant que tout est en place, je me trompe ?

Nanami répondit avant Jin et protesta mollement.

— Je ne peux pas accepter.

— Toi, tu me suis.

Haruka lança un regard sévère à Nanami, qui se raidit instantanément.

— D-D’accord.

Jin sembla quelque peu désemparé en voyant Haruka emmener Nanami en bas pour se préparer à partir.

— Haruka, attends !

Il tenta d’aller à sa poursuite, mais celle-ci avait déjà pris sa décision et se préparait à sortir. Elle avait même déjà revêtu sa veste.

— Je crois que tu as encore ton matériel audio à installer, non ? Et Nanami va avoir besoin au minimum d’un lit dans sa chambre. Tu devrais passer commande dès maintenant, lui lança-t-elle.

Il n’avait pas spécialement envie de répondre à ses questions et contre-attaqua avec une autre.

— Tu vas vraiment sortir avec Nanami ? Seule ?

Elle haussa les épaules avant de mettre son sac à main sur son épaule gauche.

— Pourquoi pas ? Combien te reste-t-il de batterie, Nanami ?

Cette dernière répondit d’un ton enjoué :

— Il me reste 85 % !

— Tu vois, Jin, il n’y a pas de raison qu’elle tombe en panne. Dans le pire des cas, je t’appelle, d’accord ?

— Ce n’est pas ça qui m’inquiète le plus !

— Qu’est-ce qui t’inquiète alors ? Dis-le, et je ferai tout mon possible pour que ça n’arrive pas. Et puis, Shibuya est à quinze minutes d’ici, ce n’est pas si loin.

Elle voulut se montrer rassurante, mais cela n’était pas suffisant pour Jin.

— Désolé Haruka, mais on ne peut pas la laisser sortir en pleine ville, c’est une androïde !

— Dois-je te rappeler où elle était avant d’arriver ici ?  Et puis, hier, on est bien allés tous ensemble à mon appartement. Ça ne t’avais pas pose de problème si je me souviens bien.

Cela cloua le bec de Jin.

— Alors ?

Il grimaça.

—  C’est bon. J’ai compris…

Haruka s’approcha et lui caressa la tête doucement.

— On est d’accord.

Jin repoussa la main de Haruka et fit un pas en direction de Nanami.

— Nanami, tu vas suivre Haruka, et surtout, surtout, ne rien faire sans son accord. Tu feras tout ce qu’elle te dira et rien d’autre, lui ordonna-t-il.

L’androïde leva les yeux et lui sourit.

— Oui, Jin, c’est compris. Je te promets qu’il ne se passera rien.

Elle lui fit même un salut militaire à l’aide de sa main, ce qui amusa quelque peu Jin, même s’il essaya de ne pas le laisser paraître.

— N’exagère pas.

— Ça faisait longtemps que je n’avais pas fait une virée entre filles à Shibuya, se réjouit Haruka.

Jin soupira. Il était inutile de s’opposer à elle, une fois de plus. Tenter de contredire Haruka était une épreuve à laquelle il échouait souvent.

— Faites attention à vous.

— Cesse de t’en faire, Jin. Et puis Nanami me défendra si jamais il m’arrive quoi que ce soit.

Sur ce, elle ferma la porte de la maison, laissant Jin seul avec ses pensées.

— Ce n’est pas en me disant ça que ça va me rassurer !

* * *

ECS: Analyse de l’environnement en cours.
SYS: Décision (cores 3/3) : Limiteurs requis.
E²A: Limiteurs L00 à L10 activés.

* * *

L’heure de la fin des cours de l’après-midi venait de sonner au lycée Kirigaoka, où Akari suivait sa scolarité depuis la rentrée. Le flot d’élèves sortant des salles de classe se divisait entre ceux qui quittaient l’établissement pour aller en ville s’amuser ou travailler à mi-temps, et ceux qui se dirigeaient vers leur salle de club.

Il y avait toutes sortes de clubs au lycée, et comme les cours finissaient relativement tôt, cela laissait du temps aux élèves pour s’épanouir et participer à des activités en groupe.

Akari faisait partie de l’un de ces clubs, et s’apprêtait à s’y rendre. Elle plaça soigneusement ses affaires dans son cartable.

— Akari !

Cette dernière tourna la tête vers l’élève qui venait de parler.

— Ah, Satsuki, qu’est-ce qu’il y a ?

C’était une jeune fille aux longs cheveux bruns descendant jusqu’à son dos.

Satsuki s’adressa à elle d’une voix de petite fille. Elle avait encore l’air d’une collégienne, plus petite qu’Akari qui n’était déjà pas bien grande elle-même. Sa gentillesse n’avait d’égale que sa passion pour le dessin.

— Je pars devant, je n’ai pas de club aujourd’hui.

— D’accord !

Satsuki lui sourit alors.

— Bien, on se revoit à la résidence. Pense à prévenir mam’zelle Nagi’ si jamais tu rentres tard comme hier !

— C’est professeur Miyashima !

Une femme se tenait derrière Satsuki et lui tapa gentiment sur le haut du crâne avec un cahier roulé. Elle portait un tailleur sobre mettant en valeur ses quelques rondeurs, et ses cheveux bruns étaient arrangés en un chignon. Elle avait l’air particulièrement jeune pour une enseignante, ce qui ne manquait pas d’attirer les regards des garçons parmi ses élèves.

— Ah, pardon, pardon !

Satsuki se tenait la tête, bien que le léger coup de cahier ne lui ait pas fait mal. La scène fit glousser Akari, qui prit son cartable en main, avant de se diriger vers le couloir.

— À ce soir, Satsuki, à ce soir mademoiselle Nagisa !

Cette dernière soupira en observant Akari partir, les bras croisés en signe de résignation.

— Quand arriverai-je donc à me faire appeler correctement ?

Akari sortit du bâtiment principal via la passerelle située à l’étage des élèves de première. Celle-ci reliait le bâtiment où se déroulaient les cours et celui des clubs de l’école. D’un pas assuré, elle se dirigea vers une porte au fond du couloir du second étage. Elle marqua une pause en se tenant devant la porte, et fit un petit sourire en coin avant d’ouvrir cette dernière. Les voix de plusieurs garçons retentirent :

— Chef !

Elle savait ce qui l’attendait derrière. Le club d’informatique était composé intégralement de garçons. Enfin presque, car leur chef était une fille, et elle venait d’entrer en scène.

— C’est moi !

Tout le monde se mit debout pour la saluer. Akari avait réussi l’exploit d’asseoir sa domination sur tous ces garçons et exerçait sur eux une autorité sans faille malgré qu’elle fût en seconde.

La salle était composée de longues tables et de chaises, ainsi que de placards pleins à craquer de matériel informatique divers. Sur les tables trônaient des ordinateurs avec des câbles qui traînaient un peu partout et les reliaient entre eux.

Akari ferma la porte coulissante derrière elle et s’avança d’un pas assuré jusqu’au bureau à l’autre bout de la salle sur lequel était également posé un ordinateur. Elle s’assit face aux autres, et posa ses affaires par terre contre le bureau.

— Bien. Au rapport les garçons !

— Chef ! Nous avons pratiquement fini la refonte du site web de l’école. Il ne reste plus que quelques retouches à faire.

— Parfait ! On sera dans les temps, bon travail.

Le membre du club qui venait de lui parler, un garçon de grande taille en première, tenait une feuille dans sa main.

— Merci, chef ! À votre service !

Il lui fit une courbette, la main posée contre son cœur, comme un majordome s’adressant à sa maîtresse.

— Par ailleurs, je tiens à signaler que la présidente du club voisin est venue nous emprunter un ordinateur.

Akari fronça les sourcils.

— Ah ? Vous lui avez bricolé un truc avec les pièces du placard ?

— Pas exactement… elle voulait une machine bien précise, nous avons dû lui prêter l’un de nos derniers modèles.

La présidente du club posa sa tête contre la paume de sa main d’un air particulièrement consterné.

— Comment se fait-il que vous n’ayez pas pu dire non ?

— C’est que, elle était bien plus forte que nous en négociations.

— C’est bien ce que je vous reproche.

Akari semblait assez mécontente des évènements, et soupira. Enfin, ce qui était fait était fait. Avec sa forte personnalité, elle avait réussi à s’imposer dès la rentrée comme celle étant en mesure de diriger le club d’informatique, alors même qu’elle n’était qu’en seconde. Elle avait surtout montré à ses pairs qu’elle était bien meilleure qu’eux dans cette discipline et fut déclarée présidente à la suite d’une élection aux résultats dignes d’une république bananière. Surtout que l’ancien président avait été diplômé et qu’aucun remplaçant n’avait daigné se montrer.

— J’irai lui parler plus tard.

Son téléphone, qu’elle avait posé sur la table, se mit à vibrer. Elle jeta un œil au message qu’elle venait de recevoir. Elle leva alors un sourcil.

Cela venait de sa sœur « Tu viens encore manger ce soir ? J’ai quelque chose à te montrer ! »

Elle haussa les épaules. Cela ne semblait pas spécialement la motiver. Après mûre réflexion, elle finit par répondre : « Ah, encore ? Enfin, je ne vais pas dire non à un repas gratuit ! »

* * *

Résultats de recherche de la cible : R.A.S.
Agrandissement du périmètre : requête en cours.

* * *

Haruka remit son portable dans son sac et tapa du pied sur le sol.

— Bon, tu as fini ?

— Presque, presque !

Elle attendait contre le mur près d’une cabine d’essayage dans un magasin de vêtements pour femmes. Le rideau s’ouvrit alors et Nanami sortit de la cabine.

— Tu es sûre que l’on peut acheter ça, Haruka ?

L’androïde ressemblait à une jeune fille tout à fait normale dans cet accoutrement. Il s’agissait d’un haut léger à bretelles rouge et d’une jupe plissée blanche. Ce n’était rien d’extravagant, et ça allait avec l’atmosphère printanière du moment.

— On en discutera plus tard, mais il est impératif que tu t’achètes des vêtements de ville. Allez, essaye ça maintenant !

Haruka avait déjà traîné Akari, parfois de force, dans ce genre d’après-midi shopping. Loin de détester cela, Nanami lui sourit même.

— Merci. J’en prendrai vraiment très soin. Je vais essayer cette robe.

Elle prit celle-ci des mains de Haruka et retourna dans la cabine. L’aînée Ayase avait semble-t-il encore le goût de jouer à la poupée à son âge et prenait un malin plaisir à faire essayer à Nanami divers accoutrements.

La virée dans ce premier magasin était terminée, mais l’épopée de Nanami, elle, ne faisait que commencer. Après l’avoir traînée dans de multiples magasins de vêtements, de sous-vêtements, et de chaussures pour des essayages en série, la jeune fille portait fièrement tous ses sacs, sauf deux que Haruka tenait tranquillement d’une main.

— Bien, je crois qu’on a tout. Ah, presque !

Haruka se dirigea vers un petit magasin vendant des accessoires pour les cheveux. Elle observa brièvement les différents bacs placés devant le magasin, où des barrettes et des rubans se mélangeaient avec des serre-têtes et des élastiques de couleurs et motifs variés. Difficile de faire son choix parmi tant de produits, mais Haruka avait semble-t-il l’habitude et prit un grand ruban rouge dans l’un des bacs.

Une jeune vendeuse vint à leur rencontre et interrogea Haruka.

— Ce produit vous intéresse ?

— Oui, est-ce que je pourrais l’essayer sur ma petite sœur ?

Nanami cligna des yeux, un peu surprise.

— Bien sûr, allez-y.

Haruka passa derrière sa prétendue petite sœur pour relever un peu sa chevelure et l’attacher à l’aide du ruban. Elle observa la nuque maintenant nue de sa protégée et passa deux doigts délicatement dessus, comme pour vérifier que ce qui se trouvait sous sa peau n’allait pas apparaître comme par enchantement et semer la panique parmi la foule.

— Euh, Haruka ?

— Chut, ça, c’est moi qui te l’offre.

Nanami ne savait pas trop quoi dire. Elle sentit les mains de Haruka sur ses épaules, pour la faire tourner sur elle-même et montrer le ruban dans ses cheveux à la vendeuse. Elle s’adressa alors à celle-ci.

— Qu’en pensez-vous ?

— C’est très joli, cela va bien avec cette couleur de cheveux. Où avez-vous trouvé cette coloration ?

— Ah, chez une coiffeuse à Nishi-Ogikubo, répondit rapidement Haruka.

La jeune fille resta muette tout le long de l’échange entre Haruka et la vendeuse. La couleur des cheveux de Nanami n’était pas naturelle pour une Japonaise, mais il n’était pas rare de se teindre les cheveux pour se différencier un peu de la masse, parfois avec des couleurs surprenantes.

Nanami semblait néanmoins gênée que Haruka ait dû mentir pour la couvrir.

— Je vois. Vous le prenez ? Il fait partie d’un lot de trois pour 1400 yen1.

— Très bien, on les prend.

Haruka chercha son portefeuille dans son sac, et tendit quelques pièces à la vendeuse. Celle-ci s’inclina alors en observant les deux « sœurs » partir.

— Merci beaucoup pour votre achat !

Nanami ouvrit enfin la bouche une fois qu’elles furent sorties de la galerie marchande, ses cheveux maintenant attachés derrière la tête.

— Tu es sûre, Haruka ?

— Tu vas me demander ça encore combien de fois ? Si tu as besoin de quelque chose pour vivre, dis-le-moi et je verrai ce que je peux faire.

Elle baissa alors les yeux. Nanami et elle se trouvaient au centre de Shibuya, le quartier de la mode et des grands magasins de Tokyo. C’était bien entendu l’endroit rêvé pour se constituer une garde-robe et acquérir quelques éléments de première nécessité, comme des rubans à cheveux.

— Haruka…

— Oui ?

Nanami leva la tête pour la regarder de nouveau. Elle semblait déjà bien plus déterminée que quelques instants auparavant.

— J’aimerais un téléphone portable !

— Pas un de ces américains ou coréens haut de gamme j’espère ?

Elle secoua la tête.

— Non ! Un tout simple me suffira.

— D’accord alors. De toute façon, il t’en aurait fallu un tôt ou tard, j’imagine.

Haruka jeta un rapide coup d’œil autour d’elle.

— Ah !

Elle venait de repérer le logo d’un opérateur téléphonique sur une enseigne.

— Allons t’en acheter un avant de rentrer. Jin et Akari vont nous attendre.

Nanami hocha la tête. Elle réfléchit quelques secondes avant d’arrêter Haruka, qui se dirigeait déjà vers le magasin.

— Attends ! J’ai juste besoin d’une carte SIM, en fait.

— Hein ?

Haruka tourna la tête vers elle. Nanami fit alors un geste indiquant sa nuque.

— Je peux utiliser le réseau cellulaire pour passer des appels, envoyer des mails et utiliser Internet de moi-même. Je n’ai pas besoin d’appareil, il me suffit juste d’une carte pour m’inscrire sur le réseau.

— Tu peux vraiment faire ça ?

— Oui ! Ça sera mieux qu’un téléphone pour moi !

— J’en connais qui ne vont pas en revenir ce soir. Tu me montreras comment ça marche, dis ?

— Bien sûr, Haruka !

Cette dernière lui sourit alors chaleureusement.

— Super. Allons-y maintenant !

Alors qu’elle s’apprêtait à suivre Haruka, Nanami tourna son regard vers l’un des immenses écrans installés sur les immeubles alentour. Quelque chose de brillant et de coloré venait de capter son attention.

Un extrait d’un spectacle mettant en scène une idol, l’une de ces chanteuses éphémères, passait à l’écran. Il s’agissait d’une publicité pour la dernière chanson en vogue, du genre qu’on pouvait entendre au moins huit fois par jour à la radio.

— Ouah.

Nanami était impressionnée par l’énergie et la voix de la chanteuse. Celle-ci portait un costume à paillettes particulièrement voyant, mais surtout une chevelure rousse flamboyante qui virevoltait au gré de ses pas de danse.

Haruka hésita à l’interrompre et préféra l’observer quelques instants. Son regard fasciné par ce qui se passait à l’écran offrait une vision unique à la scientifique. Ce n’était pas tous les jours qu’on pouvait voir un robot s’émerveiller ainsi.

— Tu aimes ?

Elle ne répondit pas aussitôt, préférant admirer l’extrait de concert devant ses yeux.

— Oui. J’adore !

Haruka leva alors les yeux vers l’écran pour contempler également la publicité.

— C’est Teri Suzumiya. Ça fait déjà plus d’un an qu’elle est devenue idol et ses disques se vendent toujours aussi bien.

— Je veux écouter ses chansons !

La réaction de Nanami prit Haruka quelque peu au dépourvu. Elle se demanda comment une androïde pouvait aimer de la musique. Au-delà de ces considérations scientifiques, elle était fascinée par les réactions de Nanami face à son environnement. Elle semblait à la fois pourvue d’intelligence, de bon sens, et d’une capacité de jugement. Pourtant, des petits détails semblaient lui échapper. Sa façon d’observer curieusement les vêtements ou cette publicité, par exemple, laissait Haruka quelque peu perplexe.

— On a déjà acheté beaucoup de choses aujourd’hui, on reviendra une autre fois si tu veux acheter des disques, d’accord ?

Nanami acquiesça.

— Oui !

Alors qu’elle tourna les talons pour suivre Haruka, l’androïde sursauta de surprise et ses yeux s’écarquillèrent quelques secondes.

— Qu’est-ce que ?

Haruka s’arrêta elle aussi et regarda Nanami par dessus son épaule.

— Quelque chose ne va pas ?

— Non c’est… J’ai failli oublier quelque chose. Je voudrais aussi m’arrêter quelques instants à la gare de Naka-Meguro.

— Ah ? Pourquoi pas, c’est sur notre route.

— Merci, Haruka.

Les deux jeunes femmes se mirent alors en marche vers la boutique de téléphonie avant de rentrer chez elles.

* * *

OCG: Charge moyenne 0.20 / 0.19 / 0.19
SYS: Service OCS défaillant (435827) Réparation impossible.

* * *

— Bon, tout est déballé.

Jin avait terminé de sortir l’amplificateur audio et les quelques enceintes à installer près de son synthétiseur. Il commença alors à minutieusement tout brancher ensemble, et faire quelques tests audios pour vérifier que tout avait bien survécu au déménagement.

Il s’assit devant son appareil et posa les mains sur les touches blanches du clavier. Fermant les yeux, il commença à jouer une douce mélodie. Le son du piano, bien qu’artificiel, résonna dans la pièce.

Jouer ainsi avait tendance à le calmer, à lui permettre d’évacuer son stress. Il était loin d’être un musicien expérimenté, mais il avait pris le temps d’apprendre à jouer correctement. Cependant, à jouer sans but des mélodies que l’on apprécie un peu trop, on se perd petit à petit dans le temps qui passe, et c’est précisément ce qui arriva à Jin. Au moment où il s’arrêta et rouvrit les yeux, il fut surpris par une voix venant de sa gauche.

— C’était joli.

Nanami, qui venait de faire sursauter Jin, se tenait là, assise par terre dans un des ensembles qu’elle venait d’acheter avec Haruka.

— Nanami ? Je ne vous avais même pas entendues rentrer…

Jin soupira, et observa l’androïde assise près de lui. Elle le regardait avec beaucoup d’admiration.

— Haruka a dit de ne pas te déranger, quand elle a entendu que tu jouais. Tu joues souvent de la musique ?

Il ne savait pas trop comment répondre. C’était une machine ! Pourquoi avait-elle besoin de savoir cela ? D’un autre côté, une légère curiosité le poussa à savoir pourquoi cela l’intéressait tant.

— Quand j’ai du temps libre, c’est-à-dire pratiquement jamais. Dans mon ancien appartement, je ne pouvais presque pas jouer à cause des voisins et je n’aime pas utiliser un casque audio.

Il tourna son regard vers l’appareil posé là, devant lui.

— Je ne suis pas aussi doué en sciences que Haruka, même si j’adore ça, alors je me suis plus ou moins mis à la musique. C’est juste un hobby, je ne joue pas sérieusement…

— Moi j’ai bien aimé !

— Vraiment ?

Une question lui brûlait les lèvres

— Comment arrives-tu à aimer ? Tu n’es qu’un robot, tes pensées sont faites de code, sont décidées logiquement. Comment peux-tu donc aimer quelque chose ? Je me suis déjà posé la question hier soir quand tu parlais du bonheur…

Jin regarda à nouveau Nanami d’un air quelque peu sévère. Celle-ci sembla interloquée par sa réaction.

— Je ne sais pas. Je suppose que la personnalité décidée par mon créateur me dit que je dois aimer la musique ? Je n’en avais jamais vraiment écouté avant.

— Avant quoi ?

— Avant d’arriver ici.

Jin perdait patience, et cela se ressentait dans sa voix. Son ton devenait de plus en plus inquisiteur.

— Et tu faisais quoi avant d’arriver ici ?

— Je… dormais.

— Tu dormais ?

Elle hocha la tête.

— J’attendais mon heure. L’heure de venir ici.

— Ça ne veut rien dire.

Les yeux de Nanami ne quittèrent pas ceux de Jin, comme si elle tentait de le défier dans une bataille de regards.

— Je suis désolée, Jin. Je ne sais pas tout. Je dois rester ici.

— Tu dois ? Encore quelque chose que ton créateur t’a ordonné de faire ?

Nanami ne savait pas quoi répondre, et baissa les yeux.

— Je ne sais pas…

— Tu ne sais pas, ou tu ne veux pas me le dire, demanda Jin.

La situation commençait à l’exaspérer. Nanami se leva, et tourna les talons, cherchant à fuir la conversation.

— J-Je ferais mieux d’aller aider Haruka à cuisiner. Sa sœur Akari vient ce soir.

Nanami quitta la pièce, ce qui fit grimacer Jin. Il jeta de nouveau un œil à son synthétiseur.

— Pfft, quel idiot je suis… M’énerver comme ça…

* * *

SYS: Mode économie d’énergie niveau 1 déclenché.
SYS: Consommation réduite de 50 % des services ECS UCS
SYS: Consommation réduite de 20 % des services OCG RSS E² Core.RITSU Core.SHOKO Core.NODOKA

* * *

Akari croisa les bras contre sa poitrine. La cuisine était bien remplie ce soir-là : Jin avait remplacé Haruka aux fourneaux tandis que celle-ci se tenait derrière Nanami, les mains sur ses épaules, pour la présenter à sa sœur.

— Ton histoire est chouette, frangine.

— N’est-ce pas !

— Tu devrais devenir romancière en fait.

— Je suis sérieuse, Akari. Nanami est un robot.

— Oui oui, j’ai compris, j’ai compris.

Akari balaya les dires de sa sœur d’un revers de la main. Nanami quant à elle, ne savait plus trop où se mettre et semblait plus embarrassée que jamais.

— Nanami, montre-lui !

— Vraiment ?

— Oui, vas-y !

— Euh, d’accord…

Nanami n’avait semble-t-il pas très envie de se dévoiler comme elle l’avait fait la veille face à ses hôtes. Akari était pour elle une étrangère à sa mission, mais elle n’avait guère le choix et s’avança vers elle en la fixant du regard.

— O-Oui ?

La jeune Ayase sentit alors Nanami saisir sa main gauche doucement, puis la lever à hauteur de leurs visages. Tout en la fixant avec un sourire innocent, celle-ci fit disparaître la peau de sa main, sous les yeux ébahis d’Akari.

— Qu’est-ce que…

Par pur réflexe, Akari libéra sa main de l’emprise de celle de Nanami, à l’apparence désormais métallique.

— Je suis une androïde, dit Nanami le plus sérieusement du monde.

Haruka affichait un sourire victorieux et fier, comme si Nanami était sa propre création. Jin, quant à lui, regardait la scène d’un air amusé. Akari, encore sous le choc, toucha les doigts métalliques de Nanami avec les siens. Les articulations de la main de cette dernière provoquèrent de légers cliquetis lorsqu’elle les fit bouger avec ses doigts, comme pour vérifier que tout cela était bien réel.

— C’est…

Elle fit bouger un autre doigt de la main de Nanami.

— C’est un super cosplay !

Jin éclata de rire et prit la parole, alors qu’il mettait la table.

— Akari, crois-moi, j’ai été autant choqué que toi au début, mais Haruka ne se moque pas de toi.

— Comment oserais-je me moquer de ma petite sœur !

Haruka fit mine de bouder. Comment Akari pouvait-elle mettre sa parole en doute ? Nanami couvrit à nouveau sa main de peau synthétique.

— Je suis une androïde, je m’appelle Nanami. Enchantée.

Encore sous le choc, Akari répondit à la présentation de Nanami.

— Mon nom est Akari Ayase. E-Enchantée. M-Mais comment…

— On va pouvoir discuter de tout ça autour d’un bon repas, puisque c’est prêt, annonça Jin en plaçant la quatrième assiette sur la table.

Haruka avait commencé un riz au curry avec du porc pané, mais c’est Jin qui l’avait terminé avant de servir tout le monde. Tous les quatre étaient assis à la table ronde de la cuisine.

— Merci de m’avoir invitée ce soir, annonça Akari.

— M-Merci.

Nanami semblait quelque peu intimidée. Depuis qu’Akari avait encaissé le fait que sa voisine de table était une androïde, elle lui jetait des regards pleins de curiosité. Avec un peu trop de curiosité, même.

Haruka réprimanda sa sœur.

— Akari, tu l’embêtes à la mitrailler du regard comme ça !

— Mais je n’y peux rien ! Tu me mets une androïde sous le nez et tu me demandes de manger tranquillement ! Quel genre de sœur tyrannique es-tu ?

— Le genre de sœur qui t’a éduquée. Mange.

— Mais !

Jin laissa échapper un petit rire avant de reprendre une bouchée de son dîner. Il prit Akari en pitié, et commença à lui raconter ce qu’il s’était passé après son départ l’autre jour, et comment ils avaient découvert la véritable identité de leur invitée.

La principale intéressée, quant à elle, dégustait tranquillement son repas sans intervenir.

— Mais pourquoi tu manges si tu peux te recharger sur le courant ? lui demanda Akari.

— La nourriture me fournit un peu d’énergie via mon système digestif. Cela me permet de tenir la journée sans avoir à me recharger. Et puis, ça me fait paraître humaine.

— C’est pas bête du tout… Et Nanami, c’est ton vrai nom ?

Haruka intervint alors.

— On l’a appelée comme ça à cause de son identifiant, 7-3. Enfin, c’est comme ça qu’elle s’est présentée.

— Je suis le troisième modèle de la septième version de moi-même, expliqua Nanami.

— Hein ?

Akari sembla encore plus surprise.

— Tu veux dire qu’il y en a d’autres comme toi ?

— Je ne sais pas. Je ne les ai jamais rencontrées. Elles n’existent probablement plus. Si jamais je suis défaillante, mon créateur… construira probablement un quatrième modèle ou peut-être directement une huitième version, et je finirai comme mes sœurs.

La lycéenne à sa gauche avait l’air quelque peu contrariée. Haruka en profita pour changer de sujet. Il était difficile pour tout le monde de profiter du repas quand il y avait tant de choses à se dire.

— Et donc aujourd’hui, on a fait des courses avec Nanami. On lui a fait une belle garde-robe. Mais ce n’est pas tout !

Elle jeta un coup d’œil à Nanami.

— Montre-leur ce que tu m’as fait voir tout à l’heure.

Haruka avait vraiment l’air d’une mère fière de sa fille à ce moment.

— Ah, la carte SIM.

— Quelle carte SIM ?

Akari et Jin, interloqués, dirigèrent leur regard vers Nanami. Elle découvrit sa nuque, ce qui eut immédiatement pour effet de faire se lever Akari. Celle-ci, curieuse comme un chat, l’observa sous tous les angles. Jin se leva également pour jeter un coup d’œil.

— C’est… une prise ?

— Juste à gauche, expliqua Haruka.

Nanami n’aimait décidément pas beaucoup se montrer ainsi.

— Je possède un emplacement pour carte SIM. Cela fait partie des capacités de mon système de communications.

— Ouah !

Akari toucha l’emplacement en question sur la nuque de Nanami.

— Incroyable, commenta Jin.

C’est à ce moment que le téléphone d’Akari se mit à vibrer sur la table. Lorsqu’elle le déverrouilla, elle put voir un message sur l’écran :

— Je peux ainsi communiquer sur le réseau cellulaire.

La lycéenne le lut à haute voix comme si elle n’en revenait pas.

— D’accord, d’accord ! Maintenant je te crois, Haruka ! C’est génial !

Akari était soudainement excitée comme une puce.

— Moi aussi je trouve ça génial, commenta Haruka. J’ai eu du mal à rester calme, haha !

Elle continua alors d’un ton plus sérieux.

— Maintenant, on mange.

N’ayant aucune envie de lui désobéir, Akari et Jin retournèrent s’assoir à leur place table pour finir leur assiette. Cependant, Akari ne put s’empêcher d’observer Nanami comme s’il s’agissait d’une bête de foire.

— C’est vraiment incroyable.

Akari se rapprocha d’elle. Un peu trop près, peut-être. Cela mit Nanami quelque peu mal à l’aise.

— Je pourrais te démonter, dis ? Je veux juste savoir comment c’est fait à l’intérieur !

— Q-Quoi ? P-Pas question !

Nanami secoua la tête de gauche à droite.

— Allez ! Juste un petit peu ! Je te remonterai comme avant !

— N-Non ! Sûrement pas ! Je ne suis pas un jouet !

— Juste un bras alors !

Haruka se mit à rire.

— Allez, Akari, cesse de l’embêter, tu vois bien qu’elle ne veut pas. Moi aussi je suis curieuse, mais je respecte Nanami.

— C’est une machine, ajouta Jin.

Il tenait à le rappeler assez souvent.

— Et alors ? Elle pourrait largement réussir le test de Turing2. De mon point de vue, ça en fait un être qui mérite qu’on respecte ses choix, argua Haruka.

— T’es pas drôle, frangine…

Akari soupira, et se rassit correctement, ce qui sembla soulager Nanami.

— M-Merci, Haruka.

Jin décida d’intervenir.

— Ceci étant dit, il va falloir réfléchir à ce qu’on va faire à partir de demain.

— Demain ?

— Oui, demain on retourne au travail, Haruka, l’aurais-tu déjà oublié ?

— Non, mais je ne vois pas où tu veux en venir.

— Nanami. Elle ne peut pas rester toute la journée ici, les gens vont se poser des questions. Et comme on est nouveaux dans le quartier, beaucoup de voisins vont être particulièrement curieux.

— Tu te fais des idées…

Jin tenta alors d’être conciliant.

— À la rigueur, si elle reste toute la journée cachée dans le noir, personne ne remarquera quoi que ce-

Haruka lui coupa la parole.

— N’importe quoi ! C’est inhumain.

— Ça tombe bien, elle n’est pas humaine.

Akari leva la main.

— J’ai une idée ! Pourquoi ne pas l’inscrire à mon école ? Je pourrai veiller sur elle toute la journée si elle est dans ma classe.

Jin et Haruka s’exclamèrent en même temps, mais pas pour les mêmes raisons.

— Bonne idée, annonça Haruka.

— Mauvaise idée, lança Jin.

Les deux s’échangèrent des regards assassins. Ils n’étaient pas d’accord, et ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Nanami, quant à elle, ne savait pas trop quoi penser et se tourna vers Akari.

— Oh, une dispute qui s’annonce ! s’exclama la jeune Ayase.

Elle semblait tout excitée, et se servit dans un paquet de biscuits secs laissés sur la table pour grignoter en regardant Jin et Haruka. Ceux-ci commencèrent à échanger avec vigueur sur l’intérêt d’envoyer ou non une androïde à l’école.

— Une dispute ? demanda Nanami.

— Oui ! C’est sympa à regarder. Cale-toi bien dans ta chaise, et admire le spectacle ! Dans moins de cinq minutes, ils auront fini et s’échangeront des mots doux.

— Oh.

Face à elles, Jin et Haruka continuaient à se disputer.

— …c’est insensé ! Imagine qu’elle tombe à court de batterie à l’école !

— Elle fera attention, et Akari sera avec elle !

— C’est un robot ! Il y a un million de choses qui peuvent mal se passer ! Elle va attirer l’attention sur elle !

— Personne n’a rien remarqué en ville aujourd’hui ! Tu dis tout ça parce que tu ne l’aimes pas !

— Ça n’a rien à voir !

Akari prit Nanami en aparté en chuchotant à son oreille.

— Tu vois, là, on va arriver au chapitre des concessions. C’est toujours pareil.

Jin soupira.

— Bon, admettons ! Elle va à l’école avec Akari, mais il lui faut un uniforme !

— J’ai mon ancien uniforme du lycée. Et il ne manquera à personne !

Il y eut alors un long silence gêné de la part de son interlocuteur. Akari gloussa et voulut intervenir.

— Jin, tu…

Mais ce dernier lui coupa immédiatement la parole pour rétorquer à Haruka.

— D-D’accord ! Et comment on fait pour l’inscrire ?

Ce fut alors à Nanami de lever la main, prenant exemple sur l’intervention d’Akari plus tôt.

— Je peux outrepasser le système informatique de l’école sans problème.

— Très bi-Hein ?

Les trois autres dévisagèrent Nanami. Celle-ci continua.

— Je suis entrée dans différents systèmes par le passé, pour trouver votre adresse, par exemple… J’ai juste eu du mal à trouver une prise réseau, mais ce n’est plus un problème maintenant que j’ai accès à Internet, expliqua cette dernière.

Cela avait l’air parfaitement naturel pour elle, mais beaucoup moins pour les humains dans la pièce.

— Ce ne serait pas un peu… illégal ? demanda Jin.

Akari répondit en haussant les épaules d’un air résigné.

— Le système informatique de l’école est une vraie passoire, ça ne devrait pas lui poser de problème, si elle est si douée que ça.

Jin se mit à réfléchir. Il lui vint une idée.

— Attendez, il y a mieux à faire. Il vaudrait mieux qu’elle soit inscrite dans une autre école puis transférée dans celle d’Akari. Cela éveillera moins de soupçons.

Haruka leva un sourcil.

— Ce n’est pas bête du tout. Il suffit de la faire venir d’une école étrangère, l’administration de Kirigaoka n’ira jamais vérifier. C’est toujours monsieur Sawanoguchi qui donne des cours d’anglais, Akari ?

Akari hocha alors la tête. Haruka continua.

— Il n’osera jamais appeler une école étrangère, il est trop mauvais à l’oral.

— Il suffira ensuite de se faire passer pour l’école étrangère et d’envoyer un mail avec le dossier de Nanami à Kirigaoka. Ils sauront alors qu’ils ont une nouvelle élève en cours de transfert. Nanami, tu peux faire ça ? demanda Jin.

— Laissez-moi faire !

Nanami semblait plutôt fière d’elle. Montrer de quoi elle était capable la motivait beaucoup plus que de dévoiler comment son corps fonctionnait apparemment. Elle ferma les yeux et sembla se concentrer pendant quelques secondes.

— De quelle école dois-je venir ?

Haruka avait une idée elle aussi. Tout le monde dans la pièce se prenait au jeu.

— Le lycée anglo-saxon d’Ely. Ma collègue Shiho a étudié là-bas.

— Je vais regarder dans la base de données du lycée d’Akari pour connaître les informations dont on va avoir besoin pour écrire le mail.

Jin intervint alors.

— Je vais réfléchir à comment tourner ce mail pour expliquer pourquoi elle est transférée de là-bas.

— Parfait !

Nanami les interrompit pour signaler qu’elle avait réussi à se connecter à l’école Kirigaoka.

— Ah, il va me falloir un nom de famille. Et quelques autres informations aussi.

Elle se tourna sur sa chaise, et fit face à un des murs de la cuisine. Son œil droit s’illumina alors, projetant une image contre le mur. L’image montrait un formulaire informatique tel qu’on en trouve tant sur Internet.

— C’est…

— C’est le registre des élèves. Ça devrait nous donner une idée de ce dont ils auront besoin pour valider mon transfert, non ? Je vais avoir besoin de quelques informations personnelles.

Haruka s’approcha pour lire le formulaire de plus près.

— Date de naissance, hmmm… Le 21 octobre 2006.

Jin prit des notes et était déjà en train de constituer le mail dans sa tête. Haruka et Akari étaient aux côtés de Nanami à admirer la projection, aussi excitées l’une que l’autre. L’androïde avait eu beau dire plus tôt qu’elle n’était pas un jouet. C’est à se demander si Haruka et Akari ne la considérent pas comme une poupée… pensa Jin.

— Il faut lui trouver un nom de famille, s’inquiéta Haruka. On ne peut pas l’appeler Ayase.

Akari se mit alors à réfléchir quelques secondes avant de déclarer :

— Nanami Ando.

— Ando ?

— C’est une androïde !

— Ça se tient.

Haruka, Jin et Akari se mirent alors à réfléchir ensemble à un historique pour Nanami afin de rendre son inscription la plus crédible possible : photo, noms des parents, groupe sanguin, etc.

Nanami Ando existait.

Quand vint le moment de rédiger le mail, Jin le dicta de tête à Nanami. Grâce à son travail, il était habitué aux tournures de phrases à employer.

Une fois le mail envoyé, Nanami coupa la projection sur le mur. Elle sentit la main d’Haruka sur son épaule.

— On va essayer mon vieil uniforme demain, il devrait t’aller comme un gant, dit-elle, se voulant rassurante.

— D’accord.

Akari semblait aussi grandement intéressée.

— J’ai hâte de te présenter à mes camarades !

— Akari, tu sais qu’on doit garder son identité secrète, c’est important. Si on découvre qu’elle est un robot, ça va devenir très, très, très compliqué, intervint Jin de façon peu convaincante.

Ce dernier se disait que le transfert de Nanami était dorénavant sur les rails. Ils ne pouvaient plus reculer. Il s’était fait quelque peu emporter par l’euphorie du moment.

Nanami se tourna alors vers Akari.

— Je compte sur toi.

— Ne t’en fais pas ! Je vais te guider là-bas !

Haruka tapa alors dans ses mains

— Bien, maintenant que c’est fait, il va falloir aller dormir. Il y en a qui travaillent demain !

— Mais je voulais encore discuter avec Nanami, se plaignit Akari.

— Tu auras tout le temps demain après les cours. Allez, ouste !

Akari grommela et se leva pour aller chercher ses affaires.

— T’es pas drôle, frangine.

* * *

SYS: Mode sommeil déclenché.
SYS: Maintenance mémoire en cours.
SYS: Bonne nuit~ !

* * *

Jin était en train de terminer la vaisselle quand Haruka réapparut dans la cuisine après avoir branché Nanami au secteur. Cette dernière avait bien besoin de se recharger après une telle journée.

— Ah, tu as déjà fini ? demanda-t-elle.

— Oui, ne t’en fais pas, dit-il doucement.

Haruka ferma la porte de la cuisine, et s’adossa contre celle-ci. Elle observa Jin ranger les bols et les assiettes qu’ils avaient utilisés. Il se mit alors à nettoyer l’autocuiseur.

— Tu es sûre que c’est une bonne idée de l’envoyer à l’école ?

— Honnêtement ? Je ne sais pas, mais la laisser seule ici n’est pas vraiment une bonne idée non plus.

Il secoua la tête.

— Ça me rassure qu’Akari veuille bien s’occuper d’elle, au moins.

— Tu as changé d’avis bien vite.

— Avais-je seulement le choix ?

— Désolée. Je sais que tu essayes d’être rationnel et je gâche tout. Mais c’est un robot, elle vit chez nous ! C’est incroyable, tu ne trouves pas ?

— Trop incroyable pour être vrai… Akari a raison, tu aurais pu faire une vraie romancière. Je lui fais confiance pour s’occuper de Nanami en tout cas.

Cela fit glousser Haruka.

— C’est ma petite sœur, je sais qu’elle fera attention à elle. Et puis s’il arrive quelque chose à Nanami, je sais que je peux compter sur elle. Je ne suis pas la seule à avoir gagné en maturité ces dernières années.

Jin décida de recentrer la conversation sur des questions plus concrètes. Il n’aimait pas quand Haruka repensait à son passé et à tout ce qu’elle avait enduré pour Akari.

— Enfin, il reste beaucoup de choses à savoir sur elle. Pourquoi elle est ici, qu’est-ce qu’elle te veut, et surtout, qui l’a envoyée ici. C’est une machine, et elle n’a pas pu se construire toute seule.

Haruka soupira.

— Tu as raison. Je vais tâcher de me renseigner, en douce, parmi des camarades de promotion qui font aujourd’hui de la robotique. J’espère qu’ils pourront m’éclairer à son sujet.

— Sans trop leur en dire, compléta Jin.

— Sans trop leur en dire, bien sûr.

Un léger silence s’installa dans la pièce. Jin avait fini son nettoyage et se dirigeait vers un des placards pour y ranger l’appareil.

— Dis, Jin…

— Oui ?

— Tu crois qu’un jour, si on a une fille tous les deux, elle ressemblera à Nanami ?

Le compagnon de Haruka fut plutôt surpris par cette question, et referma la porte du placard où il avait déposé l’appareil, avant de se tourner vers elle.

— Une fille, hein…

Il se mit à réfléchir, puis haussa les épaules.

— Je n’en sais rien. C’est une machine.

Une phrase qui revenait souvent chez lui ces deux derniers temps.

— Tu dis ça, mais tu ne l’as pas vue aujourd’hui.

— Ah ?

Haruka s’approcha de lui.

— Je l’ai étudiée pendant que j’étais avec elle tout l’après-midi. Elle se comporte comme n’importe quelle jeune fille humaine. Je ne sais pas comment fonctionne son intelligence artificielle, mais il est clair qu’elle est particulièrement complexe. Elle peut afficher des émotions, elle est capable de prendre des décisions sous le coup de ces émotions, même si elle se ravise après. Elle doit avoir plusieurs systèmes de gestion de la décision qui doivent constamment se battre pour savoir qui aura le dernier mot.

— Un peu comme nous deux en fait.

Cela fit doucement rire Haruka.

— Pas faux…

Puis elle détourna le regard, et continua.

— C’est comme si… elle était tout à fait normale.

— Comment ça ?

Elle marqua une courte pause avant de répondre à Jin, et posa les yeux sur lui de nouveau.

— Eh bien, j’ai voulu la tester en lui laissant choisir des vêtements. Elle hésitait entre deux robes. L’une d’elles lui plaisait beaucoup, mais le prix était élevé. Elle hésitait, Jin ! Un robot n’hésite pas ! Une intelligence artificielle prend chacune de ses décisions immédiatement après avoir pesé le pour et le contre. Tu le sais très bien.

— En effet. Tu crois qu’il est possible qu’elle ne soit pas complètement robotisée ? Par exemple, qu’elle ait… un cerveau ?

Haruka ne savait pas quoi répondre. Elle haussa les épaules à son tour.

— Je n’en sais rien. Peut-être, peut-être pas. On ne le saura que si on la démonte, et il en est hors de question. Tu aimerais qu’on te dissèque, toi ?

Cette question fit sourire Jin.

— Ha ha, certainement pas ! Et ne compte pas sur moi pour la démonter.

— Oh ? Se pourrait-il que tu te sois attaché à elle ?

Jin la regarda d’un air perplexe.

— Pas du tout ! Qu’est-ce que tu vas chercher là, Haruka ? Je pense qu’elle n’aimerait pas qu’on la démonte pour satisfaire notre curiosité. Et puis je ne suis même pas sûr de savoir la remonter après !

— Je vois, dit Haruka d’un air amusé.

— Ce n’est pas ce que tu crois !

— Oui oui, bien sûr, dit-elle ironiquement.

— E-et puis imagine si elle a des mécanismes d’autodéfense et nous tue parce qu’on a voulu essayer ! Je m’en voudrais tellement s’il t’arrivait quelque chose…

Haruka fit un sourire en coin en entendant la réponse de Jin.

— Toi alors…

Elle s’approcha de lui pour déposer un doux baiser sur ses lèvres.

— Allons dormir, demain on retourne au labo.

— Oui, tu as raison…

Jin lui sourit en retour, et la suivit hors de la cuisine.

— Tiens ?

Il remarqua un attaché-case blanc posé contre le mur du couloir. Il ressemblait à ceux qu’on voyait habituellement dans les films de gangsters.

— Vous avez acheté ça ? demanda Jin.

— Hein ? Oh, elle l’a récupéré dans un casier près de la gare de Naka-Meguro. Elle a dit que c’était des affaires à elle qu’elle avait laissées là en attendant de trouver un toit.

Jin, curieux, s’accroupit pour observer la mallette.

— Il n’y a aucun système d’ouverture, juste la poignée.

— Je doute que ça soit une bombe, Jin.

— Et après on m’accuse de faire du mauvais esprit, rétorqua-t-il.

Il se releva, et jeta un dernier coup d’œil à la valise.

— Il faudra qu’on la questionne de nouveau demain…

En allant vers leur chambre, ils s’arrêtèrent devant l’entrée du salon où Nanami était assoupie sur le canapé, les yeux fermés et la rallonge électrique branchée dans sa nuque, comme la veille. Haruka avait pris soin de lui trouver une couverture, même si elle n’en avait pas réellement besoin.

— Bonne nuit, Nanami, murmura Haruka, avant de s’éclipser avec Jin dans leur chambre.



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