Chapitre 4 – Les jours d’école

Created on par Axel Terizaki

Le cliquetis des chaussures de Haruka se faisaient entendre sur le sol métallique du bunker souterrain où elle travaillait. Elle marchait d’un pas sûr, un dossier à la main.

— Ah, voilà notre jeune prodige.

Un homme la regarda arriver. Il avait la chevelure grisâtre et portait le même genre de blouse blanche. Il était en pleine discussion avec un autre collègue au beau milieu du couloir. Celui-ci vit Haruka arriver et décida de se retirer :

— J’ai à faire moi aussi. On se reparle plus tard, M. Sugawara. Je vous enverrai un mail avec les résultats.

— C’est noté, j’ai hâte de voir ça, fit-il avec un petit sourire, avant de tourner son regard vers la jeune femme.

— Désolée de vous avoir fait attendre, j’ai difficilement une minute à moi ces derniers temps.

— Ne vous excusez pas, nous sommes tous occupés ici. Mais que vient faire le petit génie de notre entreprise dans mon département ? Je ne fais pas de physique appliquée mais de la robotique.

Son ton n’était pas le moins du monde moqueur lorsqu’il parlait de « petit génie ». Haruka avait acquis une certaine réputation au sein de l’entreprise comme étant la plus jeune chercheuse, et surtout la plus prometteuse. Il y avait bien sûr quelques collègues qui ne la voyaient pas d’un bon oeil : la jalousie est inévitable dans un domaine aussi pointu et concurrentiel, où tout le monde pense qu’il est meilleur que son voisin, mais jusqu’ici elle n’avait pas rencontré d’animosité palpable parmi ses collègues.

— Justement, j’aurais une petite question à vous poser… On peut aller dans votre bureau ?

Il leva un sourcil, l’air surpris, mais hocha la tête. C’était curieux de vouloir discuter d’une banale question en privé, pensa-t-il.

— Venez.

Il la conduisit quelques mètres plus loin, dans une pièce au bout du couloir. Il ferma alors la porte derrière elle, et l’invita à s’asseoir. C’était un petit bureau mais richement décoré. Un grand tableau regorgeait de formules mathématiques et croquis dans tous les coins. Il y avait également un peu de paperasse éparpillée sur le bureau.

— Ne faites pas attention au désordre.

— Ha ha, ne vous en faites pas, vous devriez voir mon bureau, c’est largement pire ! On voit à peine le sol par endroits.

M. Sugawara ricana et se gratta légèrement la barbe.

— Bien, de quoi s’agit-il ?

— Je viens vous voir pour une question de robotique. Mon compagnon et moi étions curieux de savoir si ce genre de robot serait réalisable.

Elle sortit une feuille de papier sur laquelle était griffonné un croquis. Il représentait Nanami, avec des mensurations notées sur le côté, ainsi que sa taille et son poids.

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

— On se demandait si un robot avec une configuration corporelle pareille serait capable de fonctionner.

Il prit le papier dans ses mains et le regarda intensément. Il semblait s’attarder plus sur les dimensions indiquées que sur le dessin en lui-même.

— Hmmm, les mensurations sont assez contraignantes. On pourrait loger un moteur et des batteries au niveau de la poitrine mais l’autonomie resterait assez limitée, et on arriverait vite à dépasser le poids maximal autorisé. Je dirais que c’est réalisable, mais ça demanderait un travail conséquent.

— Vraiment ?

Haruka sembla dubitative. Le chercheur face à elle reposa la feuille de papier sur son bureau.

— Comprenez-moi bien Mlle. Ayase, j’ai dit que c’était réalisable, mais pas dans quelles conditions. Par exemple, les batteries prendraient la majeure partie de la place dans le corps, voire la quasi-totalité pour avoir une autonomie correcte, sauf si bien sûr vous acceptez que le robot soit branché en permanence, dans ce cas, ça devrait être bon.

Il appuya alors sur l’endroit où était écrit les mensurations à l’aide de son doigt.

— Le problème c’est qu’avec une taille pareille, il faut aussi penser à un contrôleur pour actionner les différentes parties du robot. J’imagine que le but c’est de le rendre le plus humain possible, non ?

— C’est ça oui.

Elle écoutait attentivement son interlocuteur, en reposant ses mains sur ses genoux.

— Donc il faut aussi un système d’entrée-sortie audio, des capteurs optiques et tactiles… Même si on peut miniaturiser beaucoup de choses, j’ai peur que le résultat soit un peu décevant. Il y a l’autonomie bien sûr mais aussi le réalisme. Si on veut éviter l’effet vallée de l’étrange, ça va être très compliqué.

— La vallée de l’étrange, c’est cette théorie qui veut que l’imitation de l’être humain par un robot doit dépasser un certain seuil de réalisme pour ne pas provoquer de sentiment de rejet de la part de ces mêmes êtres humains, c’est bien ça ? Je la connaissais sous le nom vallée dérangeante.

— C’est ça. La moindre imperfection ramène le cerveau à penser qu’il s’agit d’une maladie présente chez son interlocuteur, ou plus grave, et donc crée une sensation de rejet, plus ou moins forte chez certains individus. Ça peut être aussi simple qu’un membre déboité ou une voix qui passerait de fluide à robotique d’un coup. On a déjà pu observer ce genre de rejet chez les chats. Si vous mettez des oreilles de chat sur votre tête, certains chats vous percevront immédiatement comme une menace, et vu votre taille seront très stressés et apeurés.

— Je vois.

— Notre cerveau est très capricieux, mais je ne saurais en parler davantage. Revenons à nos moutons : si on est capable aujourd’hui de créer un robot à l’apparence humaine, le faire agir comme un humain est encore très difficile. D’autant plus dans le corps d’une adolescente comme vous me le montrez. En général on va plutôt utiliser un corps d’adulte pour obtenir un résultat correct. Et encore, le robot peut difficilement être autonome.

— Par autonomie, vous pensez à combien de temps ?

— Je dirais une heure ou deux de mouvements tout au plus. Un peu plus longtemps si le robot reste assis ou allongé, bien évidemment. Garder l’équilibre nous paraît comme naturel, mais on oublie trop souvent qu’on a besoin de force dans les jambes et dans le reste du corps pour se tenir debout.

— Oui, c’est évident.

Il s’éclaircit la gorge.

— Vous aviez fait un pari avec votre compagnon ?

— Ah non, pas du tout, nous étions juste curieux.

— Je vois… En tous cas ça me paraît beaucoup trop complexe à l’heure actuelle. En tous cas beaucoup trop complexe pour une expérience. Une preuve de concept par contre, serait intéressante, même si elle demanderait de grands moyens et beaucoup de temps.

Haruka allait dire quelque chose, puis sentit son téléphone portable professionnel vibrer dans sa poche. Elle le sortit, jeta un coup d’oeil à l’écran et pesta :

— Ah, je crois qu’on m’appelle. Pas moyen d’être tranquille plus de quinze minutes ici.

Cela fit rire M. Sugawara.

— A qui le dites-vous.

— Merci de m’avoir accordé un peu de votre temps.

Elle se leva de son siège et lui offrit une courbette avant de repartir, ne prenant même pas le temps de récupérer son croquis de Nanami. Le chercheur remarqua que la feuille était toujours posée sur son bureau et haussa les épaules.

Haruka marcha d’un pas décidé vers son laboratoire en marmonnant :

— Trop complexe, difficilement réalisable… Nanami, qui a bien pu te mettre au point ?

Elle devait prendre sa tablette tactile de travaila vant d’aller en réunion, et repassa par son bureau. Ses yeux s’arrêtèrent sur la malette blanche appartenant à Nanami.

— Ah oui, il faut que je m’occupe de ça, c’est vrai…

* * *

— Bienvenue !

Ce salut machinal ne venait pas d’un robot mais bien d’un employé parfaitement humain, lorsque Nanami et Jin pénétrèrent via les portes automatiques dans une superette de quartier.

— Tu sais ce que tu as à faire Nanami, fit Jin en prenant un panier en plastique.

Nanami répliqua son geste.

— Oui, j’ai bien noté ce que je devais prendre : du poulet pour ce soir, du riz, des oignons, de l’huile d’archide, du sucre, du piment…

Jin l’interrompit avant qu’elle ne commence à détailler la liste de courses.

— C’est bon, j’ai compris. Fais de ton mieux.

— Bien reçu !

Il se dirigea vers le rayon des boissons et laissa Nanami faire sa part des courses. Il était temps pour les Ayase-Ichinose de se ravitailler et tandis que Haruka se reposait à la maison, Jin avait proposé d’aller faire les courses avec leur androïde de compagnie.

Nanami prit son rôle très au sérieux : son objectif était de faire les courses rapidement et en tenant compte des promotions et des préférences de Jin et Haruka sur certains produits. Elle avait calculé le meilleur itinéraire pour mettre les produits dans son panier de façon optimisée, et ne montrait aucune hésitation, ce qui surprit quelques clients du magasin. Il lui arrivait parfois de passer dans un rayon et d’attraper un produit sans même regarder ce que c’était. En tous cas, c’est ainsi que les autres clients l’interprêtaient.

Jin, contrairement à elle, prit quelques minutes pour flâner, regarder les nouveaux produits, voir prendre quelques boissons non prévues dans la liste de courses. Il avait notamment repéré que la marque de bière préférée de Haruka avait fait son grand retour, et décida d’en prendre un pack.

Il finit par se diriger vers la caisse, où il vit Nanami échanger avec le caissier, qui sembla s’énerver quelque peu.

— Non, vous ne pouvez pas mettre de sticker promotionnel sur un autre produit, c’est interdit !

— Oh mais comme il s’agissait du même type de viande, je pensais que c’était compatible, répondit l’accusée.

— Compatible ?

Jin esquissa un petit sourire et s’approcha.

— Excusez-là, elle est étrangère, elle vient d’arriver au Japon.

— Ah, vraiment ?

Le caissier, un homme âgé, semblait peu convaincu par cet argument, mais annonça tout de même le prix (corrigé) à Nanami. Celle-ci, voyant Jin arriver et lui trouver une excuse, comprit alors que ce qu’elle venait de faire était réellement interdit, et baissa la tête.

— Je suis désolée-masen.

Elle avait fait exprès de faire une faute de langage pour agir comme une étrangère. Jin ne dit rien, mais sourit intérieurement devant ce jeu d’actrice. Depuis peu, un semblant de complicité s’était installé entre elle et Jin. Nanami arrivait de mieux en mieux à comprendre les humains, même si de nombreuses choses lui échappaient encore comme l’amour ou le sarcasme. De son côté, Jin avait appris à la considérer comme une personne à part entière ou presque, et montrait plus d’empathie à son égard que lors de son arrivée.

Nanami approcha alors sa carte de paiement de la caisse pour payer. Jin et Haruka lui en avaient fourni une. Il s’agissait d’un simple porte-monnaie électronique  et non d’une carte de crédit, si difficile à obtenir au Japon. Faire payer Nanami une partie des courses était pour le couple une façon comme une autre de la faire participer à la vie du foyer, puisqu’elle consommait, elle aussi, nourriture et electricité.

Jin paya à son tour et les deux sortirent ainsi de la superette, leurs sacs à la main.

— Hé bien Nanami, on voulait frauder, taquina Jin.

— Hein ? Non ! Certainement pas, je pensais que c’était autorisé.

Elle semblait de bonne foi. Son innocence pouvait parfois être amusante.

— Ils mettent des promotions pour se débarrasser des produits en trop ou qui ne se vendent pas assez. Si on pouvait interchanger les auto-collants promotionnels, ça n’aurait plus aucun sens.

— Oui, c’est vrai, je n’avais pas pensé à ça.

Elle marcha à ses côtés en silence une petite minute, avant d’ajouter :

— Merci de m’avoir trouvé une excuse. J’ai un peu honte maintenant.

De la honte ? Jin trouva cela curieux venant de Nanami, ce qui l’amena à lui poser une question en retour.

— Ne t’inquiête pas. Mais dis-moi Nanami, tu sais ce que c’est de la honte, au moins ?

Elle leva les yeux vers lui tout en continuant à marcher.

— Oui. J’en ai beaucoup observé à l’école parmi les élèves, et je pense avoir bien assimilé le concept. C’est un cran au dessus de l’embarras, quand on aurait aimé agir autrement ou dire quelque chose différement.

— Non, ça c’est le regret, corrigea Jin.

— Oh.

Ils tournèrent à droite au carrefour suivant pour s’engager dans les rues du quartier résidentiel.

— Le regret est parfois mêlé à la honte, mais plus généralement c’est assez compliqué à expliquer, voyons…

Discuter d’émotions n’était pas facile, comme ça, sans réflexion. Jin prit quelques secondes pour rassembler ses pensées, tout en regardant où il marchait. Les rues n’étaient pas forcément très bien éclairées là où ils allaient.

— Globalement je dirais que c’est une émotion négative. C’est quand tu te sens mal après avoir fait ou dit quelque chose qui est considéré comme mauvais par la societé. Enfin, il y a plein d’autres façons de ressentir la honte, je dirais…

— Oh, je comprends un peu mieux.

Elle se tût quelques instants avant de continuer :

— Tu as parlé d’une émotion négative mais je pense qu’elle a aussi un côté positif : j’ai pu comprendre ainsi directement quelles étaient les limites à ne pas dépasser. C’est un bon moyen d’apprendre, non ?

Jin sembla étonné qu’elle raisonne ainsi.

— Hmmm, je ne sais pas Nanami. Peut-être pour certainnes personnes, mais pour beaucoup, ça peut être vécu comme un traumatisme. On vit dans une societé, et elle a des limites, mais ça ne veut pas dire qu’on doit systématiquement faire ressentir de la honte à ceux qui en enfreignent les règles, ou qui n’arrivent pas à se hisser suffisament haut pour répondre aux attentes qu’on place en eux.

Il dit tout cela d’un ton beaucoup plus sérieux, ce qui intrigua Nanami. Elle l’observa toujours en marchant.

— Jin…

Elle ne put finir sa phrase : Jin continua.

— Parfois, la honte peut se dissiper sur le moment, ou prendre quelques heures, queqlues jours… Selon les ca,s ça peut vraiment durer infiniment plus longtemps. Toute une vie par exemple. Et c’est mêlé au regret bien sûr, puisqu’on aurait aimé agir différement.

Nanami se tût quelques instants, puis voyant que le silence s’installait, décida de reprendre la parole. Jin semblait perdu dans ses pensées.

— Il y a quelque chose qui te fait honte, et ça te gêne, parfois ? Est-ce que ça a un rapport avec Haruka ?

Si très souvent Nanami était complètement à côté de la plaque quand il s’agissait de comprendre les humains, il lui arrivait parfois de faire preuve de moments de clairvoyance. Jin fit une grimace, mais ne répondit pas. La maison était en vue, ce qui lui offrit une échappatoire.

— On est arrivés.

— Ah, oui, en effet.

Un peu déçue de ne pas avoir de confirmation, Nanami n’insista pas.

A l’intérieur, Haruka aida Jin avec le dîner une fois réveillée de sa sieste. Après un bon repas et la vaisselle faite, il était temps de s’installer dans le canapé et d’écouter Nanami attentivement.

Il était tard ce samedi soir. Le tic-tac d’une horloge fixée au mur se faisait entendre dans le salon de Haruka et Jin, rompant ainsi le silence qui régnait dans la pièce. Les deux adultes étaient assis dans le canapé et Nanami dans un fauteuil face à eux, séparés par une simple table basse en verre.

— On est prêts, annonça Jin.

— Très bien, je compile mes données. Donnez-moi quelques instants.

Peu après son arrivée, Jin avait d’abord demandé un rapport en direct des activités de Nanami durant la journée, suite à l’incident de son premier jour de classe. Après avoir reçu plus de cent cinquante messages sur son téléphone au bout de deux heures, il abandonna rapidement cette idée.

Il lui demanda alors moins de détails, mais celle-ci avait du mal à savoir ce qui était important ou non, ce qui rendit ses rapports inexploitables. Un bilan quotidien fut adopté.

Au bout de quelques jours et de grands efforts de la part de Jin, ce dernier avait réussi à apprendre à Nanami à différencier ce qui était notable de ce qui l’était moins, réduisant ainsi la verbosité des rapports.

Cependant, il avait de moins en moins de temps à consacrer à la lecture de ces comptes-rendus après une dure journée passée au bureau. Le fait que rien de grave n’y était consigné renforça son idée d’opter alors pour un rapport hebdomadaire après ses trois premières semaine de vie scolaire, plus facile pour les deux adultes à suivre, confortablement installés dans leur canapé. Et puis, cela montrait qu’ils faisaient de plus en plus confiance à Nanami.

— J’avoue être un peu curieuse de voir comment tu te débrouilles à l’école, admit Haruka.

Jusqu’ici, seul Jin avait eu le loisir d’étudier les rapports quotidiens de Nanami. Haruka offrit un sourire maternel à l’androïde.

— Tu peux y aller, Nanami.

— D’accord !

Elle tourna la tête vers le mur et son œil droit s’illumina pour projeter une vidéo de tout ce qu’elle avait vu durant la semaine. Elle commença alors à raconter tout ce qui s’était passé. Absolument. Tout.

* * *

Lundi, 8:20. J’arrive plus tard que prévu à cause d’un train en retard à Yokohama. J’ai néanmoins pu arriver jusqu’à la salle de classe en courant à vitesse humaine, comme Akari m’a conseillé de le faire si jamais cela arrivait. J’oscille entre 10 et 20 kilomètres par heure.

Une fois arrivée en classe, plusieurs élèves sont déjà présents.

— Hé, Nanami !

— Bonjour Nanami !

Midori, très douée en natation, et Akemi, la déléguée adjointe, me saluent.

— Bonjour !

Je retourne leur salutation avec un sourire. Les coutumes humaines sont très étranges, et les salutations ne sont pas du tout normalisées. Elles sont initiées par une des deux parties aléatoirement et dépendent de paramètres indéterminés. Mais une fois qu’on a établi un protocole de salutation entre deux personnes, on s’y tient.

Je me dirige vers mon bureau et y dépose mon cartable. Akari est déjà là et discute avec Satsuki, son amie. Elles me saluent également. Je scanne alors les environs et vais dire bonjour aux autres élèves poliment. Ceux avec lesquels j’interagis moins me saluent d’un hochement de tête avant de retourner à leurs discussions sur le catch et le dernier manga de combat à la mode du magazine Weekly Shonen Jump.

— Nanami !

La voix vient de l’entrée de la salle. Il s’agit de Megumi, présidente du club d’étude des idols. En réalité, son club est plus centré sur Teri Suzumiya que d’autres artistes.

— Ah, bonjour Megumi !

Elle m’a fait rejoindre le club peu après mon arrivée, lorsqu’elle a compris que j’étais également fan de Teri !

* * *

— Tu ne vas pas nous présenter tout le monde, quand même, plaisanta Haruka.

— Oh, je peux, si tu veux !

— Haruka, on n’est pas couchés si tu commences à vouloir en savoir plus. Je trouve que Nanami détaille un peu trop tout ce qu’il se passe dans sa journée, bailla Jin.

— C’est toi qui le lui as demandé !

Nanami était déjà en train de passer en revue tous les élèves de sa classe et ce qu’elle savait sur eux, à la façon d’un album photo. Les visages se succédaient sur le mur de la pièce.

Haruka se blottit contre Jin pour s’installer plus confortablement dans le canapé.

— Regarde comme ça l’amuse.

Nanami avait en effet l’air joyeuse en détaillant chaque élève de sa classe. La jeune femme continua alors :

— Je trouve ça nostalgique.

— Ah ?

— Oui, ces salles de classe, ces uniformes, ça fait déjà un moment que je les ai quittés.

Jin pouvait comprendre, mais cela ne l’empêchait pas de trouver tout cela déjà barbant. Et Nanami n’en était encore qu’au lundi !

* * *

J’avais promis à trois élèves, Keiichi, Fubuki et Hikaru de les aider en anglais après la fin des cours. Comme je suis censée venir d’Angleterre, j’ai adopté un anglais parfait lorsque je m’exprime dans cette langue. Tout le monde a l’air assez impressionné, je me demande si je n’en fais pas un peu trop. Cela a même surpris notre professeure d’anglais, Mlle. Baker. La plus grande partie des élèves restants sont soit rentrés chez eux, soit partis à leurs activités de club.

Keiichi est le fils du prêtre d’un temple non loin du quartier. Il est apprécié des filles de la classe, mais il semble aimer faire baisser son quotient intellectuel, surtout quand il leur parle. C’est un vrai mystère pour moi.

Fubuki, quant à elle, vient d’une famille pauvre et a décroché une bourse pour le lycée. Elle cuisine drôlement bien et sait faire beaucoup de choses de ses mains !

Enfin, Hikaru est un garçon qui agit parfois un peu sans réfléchir, mais qui semble avoir un bon fond. L’autre jour par exemple, je l’ai vu défendre une élève de la classe 1-C qui se faisait brimer par d’autres filles. Je n’ai néanmoins pas assisté à toute la scène.

J’aide donc mes trois camarades avec le dernier cours d’anglais. Il y a un examen de prévu lundi prochain. Cependant, alors que je suis en train d’expliquer un point de grammaire à Hikaru, un autre élève vient me voir.

— Nanami ! Tu as encore eu une meilleure note que moi au dernier examen de maths !

Lui, c’est Naoki. Il essaye toujours d’être premier de la classe dans toutes les matières. Je suis devenue sa rivale numéro un depuis que j’ai démontré que le professeur de mathématiques s’était trompé lors de la correction d’un problème.

Je crois que le professeur a maintenant une dent contre moi. Les humains peuvent être bien orgueilleux !

— Je suis désolée, j’aide mes camarades en anglais, tu voulais me dire quelque chose de particulier ?

— Je te défie de résoudre ce problème de maths !

Il m’a tendu un papier que j’ai lu aussitôt.

— J’ai commencé à plancher dessus hier soir, mon père m’a dit que c’était du niveau d’entrée dans les universités spécialisées.

J’attrape le papier et commence à le lire attentivement. Akari m’avait déjà dit de camoufler mes capacités, et je passe volontairement plus d’une minute à réfléchir à son problème avant d’y répondre. Je prends même la peine de griffonner un début de réponse sur un bout de papier.

— L’équation proposée dans la première question est bonne. À partir de là, x = 5k + 3 et y = 7k + 4.

— Quoi !?

Je me tourne vers mes camarades.

— Excusez-moi quelques instants.

Après m’être dirigée vers le tableau, je commence à écrire à la craie la solution complète de son problème, qui contient deux questions à propos d’une boîte de jetons de jeu et combien de jetons de couleurs différentes il peut y avoir à l’intérieur en se basant sur plusieurs équations. Ce n’est pas très difficile.

Une fois la craie reposée, je retourne à mon siège.

— Woah, Nanami, tu as cassé Naoki, me fait remarquer Fubuki.

— Ah ?

Lorsque je pose les yeux sur lui de nouveau, ce dernier est bouche bée en train de regarder les réponses que je viens d’écrire au tableau en les comparant avec ses notes.

— Je… c’est pas possible ! Nanami !

— Euh, oui ?

Il se retourne alors vers moi. Il n’a pas l’air très content.

— Comment tu as fait aussi vite ? Mon père a écrit ce problème hier ! Il a passé une heure à l’imaginer !

— C’est un problème de mathématiques simple. Le plus long était d’écrire la solution au tableau.

— Je… Je vais te trouver un problème encore plus dur que tu ne pourras pas résoudre ! Tu me supplieras de te donner la réponse !

Et sur ce, il s’en va. Je ne le sais pas encore mais j’allais le revoir toute la semaine, avec chaque fois des défis différents.

* * *

Dans une salle de réunion, plusieurs personnes en chemise et cravate étaient assis autour d’une grande table. Le mobilier, confortable, était accompagné de plantes vertes aux quatres coins de la pièce. Celle-ci d’ailleurs, n’avait aucune fenêtre, traduisant le côté secret de cette réunion.

Il y avait quatre hommes et cinq femmes. Tous avaient les yeux rivés sur des écrans d’ordinateurs portables posés devant eux, et faisaient défiler des informations. Un énorme écran, d’au moins deux mètres de diagonale, était installé au mur  en bout de table. Des données et des images vidéos y défilaient également.

— Pffft, rien, toujours rien. C’est vraiment comme chercher une aiguille dans une botte de foin, fit l’un des hommes coiffé en brosse.

— Ça fait longtemps qu’on ne dit plus ça, fit remarquer la femme au chignon à côté de lui.

— Est-ce qu’on ne devrait pas s’interroger sur le mobile plutôt ? Ça pourrait nous donner une idée d’où elle se trouve, proposa un autre homme au regard quelque peu désabusé.

— C’est une idée, mais pourquoi Ichika aurait-elle fait ça pour commencer ? Pourquoi une androïde en serait arrivée jusque-là ?

Sur le grand écran de la salle était affiché dans le coin supérieur gauche le portrait d’une jeune fille à la chevelure rousse faisant étrangement penser à Nanami.

La femme au chignon regarda celle qui venait de s’exprimer. Son visage, tout sourire, était doux, presque serein, ses cheveux bruns descendant jusqu’à sa poitrine via deux mèches. Elle portait également des lunettes rondes lui donnant un côté plus réfléchi que réellement strict.

— Très bonne question, Ema. On a déjà essayé d’y répondre, sans succès. Reprenons encore une fois ce que l’on sait : on sait qu’elle a infiltré le laboratoire S2, s’est fait repérer, puis a détruit des années de recherches avant de s’emparer du seul prototype à peu près fonctionnel du laboratoire. Puis elle est partie. On a tous pensé à de l’espionnage industriel, mais après une enquête sur les autres sociétés menant des recherches similaires à ce moment-là, on a fait chou blanc.

Ema s’adossa contre son siège.

— Il doit y avoir quelque chose. Je refuse de croire qu’elle se soit juste volatisée. On doit retrouver sa trace d’une façon ou d’une autre.

— Compte tenu de l’instabilité du prototype…

Ema lui coupa la parole.

— Non, c’est impensable. Ça voudrait dire que notre existence même serait inutile. Si nous sommes là c’est qu’on a forcément un doute sur ses motivations. Pour moi il faut continuer dans ce sens et ne laisser aucun indice.

Elle leva les yeux vers l’écran géant. Il était connecté à l’un des ordinateurs portables de la salle pour que les gens puissent participer aux recherches des uns et des autres. Ema attrapa la télécommande et zappa d’écran.

L’écran était désormais découpé en plusieurs fenêtres montrant des images de vidéo surveillance où Ichika apparaissait.

— Attendez, et si on faisait fausse route là-dessus ?

Son voisin, un autre binoclard, leva la tête vers elle.

— Hein ? Fausse route ?

— C’est vrai ça, si l’espionnage industriel est impossible à prouver, ça peut vouloir dire qu’il y a une autre raison qui l’a poussée…

Elle se redressa sur son siège d’un seul coup.

— STOP !

Tout le monde s’arrêta net.

— James, reviens en arrière, là !

Elle bondit de son siège et fit le tour de la table pour s’avancer vers l’écran géant. Il montrait des images de caméras de surveillance que l’une des personnes, James, regardait.

— Là, là, stop.

On y voyait une jeune fille aux cheveux roux allant jusqu’à ses épaules et portant une sorte de survêtement passer devant la caméra avant de la détruire avec une arme.

— Elle est dans la salle du prototype là, non ?

— Euh oui, c’est exact, commenta James, qui montra dans un coin de l’écran un plan de la salle.

— Non, non, enlève-moi ça ! Zoome plutôt sur son poignet. Non, l’autre, celui qui ne tient pas l’arme.

Il s’exécuta. L’image n’était pas particulièrement nette à un tel niveau de zoom, mais on pouvait quand même y discerner quelque chose. Un indice.

— Elle a mis le bracelet ! Elle a mis le bracelet du prototype ! Ce qui veut dire…

La femme au chignon termina sa phrase pour elle.

— …qu’elle l’a emporté avec elle, sinon elle n’aurait pas pris la peine de le mettre avant de détruire la machine.

Son voisin de table, un peu perplexe, la regarda.

— Mais c’est pas un peu complètement idiot ? Elle a besoin du bracelet pour faire fonctionner le prototype et on sait déjà qu’elle l’a utilisé.

— Pas forcément, fit remarquer Ema. Déjà on peut configurer la machine sans le bracelet, puisqu’elle a été testée sans intervention humaine.

Ema prit quelques secondes avant de continuer :

— Une grande partie de son attaque était finement calculée. Il y a eu des moments où on l’a vue hésiter, mais je pense qu’elle n’aurait pas laissé ça au hasard. Elle a pris le bracelet pour une raison, mais la raison en elle-même n’est pas la plus intéressante.

Ses collègues étaient pendus à ses lèvres. Elle rajusta ses lunettes sur son nez.

— Ce qui importe c’est de savoir si elle l’a encore aujourd’hui, conclut-elle.

— En admettant qu’elle ne l’ait pas jeté, intervient un collègue.

— Oui, mais même si elle l’avait jeté, on aurait au moins une idée d’où elle se trouve… si on reconstruit le prototype et qu’on calibre son quartz sur la fréquence du bracelet !

Les autres se regardèrent.

— Mais sans les plans… Je te rappelle qu’elle a piraté tous les serveurs de S1 et S2 pour trouver et détruire les données informatiques du prototype, fit remarquer la femme au chignon.

Elle croisa ses bras sur la table et regarda Ema fixement.

— Je pense que même sans les plans, il y a moyen d’au moins émuler le fonctionnement du prototype. Si on arrive à appairer le bracelet d’Ichika avec, alors c’est gagné, on saura précisément comment la localiser !

Incrédules, les autres se regardèrent de nouveau. Son voisin réajusta ses lunettes.

— Je trouve que c’est une bonne idée. Probablement pas la plus rapide cependant.

Ema haussa les épaules.

— Ça fait des mois qu’on écume les données à notre disposition sans rien trouver. On peut mettre une deuxième équipe sur le sujet, et même si la calibration prend du temps, on pourra affiner la zone de recherche et la rétrécir dès qu’on aura trouvé quelque chose.

— Oui ça pourrait pas mal nous aider. Bonne idée, Ema.

— Haha, merci.

Quelqu’un d’autre commenta.

— Disons que c’est mieux que rien. Je ne crois pas vraiment à cette piste is vous voulez mon avis.

— Mais c’est pas comme si on avait mieux pour l’instant…

Celui qui s’appelait James se leva et prit sa tablette avec lui.

— Je vais faire un rapport à M. Hartman, dans ce cas. Andréa, tu peux t’occuper de monter une équipe pour s’occuper du prototype ?

Andréa, une blonde aux yeux bleus qui semblait perdue dans ses pensées, sursauta quelque peu.

— Ah oui, bien sûr, je m’en occupe.

— Merci !

Ema se frotta la tête, un peu embarrassée par tant d’éloges, puis jeta un oeil à la jeune fille à l’écran.

— On va te retrouver, Ichika.

* * *

Haruka revint dans le salon avec un plateau et un peu de thé pour elle. Jin, lui, avait demandé un café histoire de tenir le coup. Nanami avait l’air tellement enjouée en racontant sa journée que ni l’un ni l’autre n’avait le cœur de l’arrêter dans sa lancée.

— Nanami, tu ne devrais pas montrer tes capacités aussi aisément, tu sais, conseilla Haruka.

— Oui, Akari m’a déjà passé un savon à ce sujet, dit-elle, honteuse.

— Quelqu’un pourrait trouver ça bizarre qu’une simple élève de seconde résolve aussi facilement un problème de mathématiques d’entrée à l’université. Tu dois apprendre à volontairement faire des erreurs.

— Je sais, mais c’est comme mentir, non ?

Jin et Haruka se regardèrent quelques instants.

— Ça t’embête tant que ça de mentir ? Il y a… quelque chose qui t’en empêche formellement ?

— Non. Tant que ça ne brise pas les lois de la robotique. C’est juste que…

— Que ?

— C’est juste que je n’aime pas ça. C’est mieux si je peux l’éviter. Garder mon identité secrète est l’une de mes priorités, donc je mentirai s’il le faut.

— Sauf si ça entre en conflit avec les trois lois.

— Oui, c’est ça.

Haruka sourit chaleureusement.

— Tu es plus complexe que tu n’en as l’air, ma petite Nanami. Ça me fait penser, d’ailleurs… Ça te dérange si je te pose quelques questions peut-être un peu indiscrètes ?

Jin l’observa sans rien dire, mais semblait tout aussi intéressé qu’elle. Il commença à goûter son café.

— Des questions, demanda Nanami, coupée dans son élan.

— Oui par exemple, je me demandais, où sont tes batteries, dans ton corps ? Où stockes-tu toutes cette énergie qui t’anime toute la journée ? Désolée, c’est un peu indiscret.

— Oh euh, ça ne me dérange pas vraiment, mais… disons que c’est un peu compliqué à expliquer.

— Ça tombe très bien j’adore la complexité, répliqua Haruka.

Nanami hésita un peu.

— Hé bien, ce que je peux dire, c’est que c’est au niveau de ma poitrine. J’ai deux « moteurs », mais seulement l’un d’entre eux utilise des batteries, qui sont dans ma poitrine elles aussi, et vers mon ventre également.

Les deux adultes baissèrent les yeux vers la poitrine de Nanami, qui, il faut bien le dire, n’était pas spécialement plus développée qu’une autre adolescente japonaise.

— Euh, c’est gênant, vous savez.

Elle protégea sa poitrine, pourtant couverte par son haut à bretelles, avec ses bras.

— Jin, arrête de mater ses seins, critiqua Haruka.

— Hé, toi aussi tu regardais !

Elle lui donna un léger coup de coude. Rougissant, il but une gorgée de son café.

— Oh, Jin a honte ! J’ai compris !

— Hein ?

Nanami ne le réalisait peut-être pas vraiment, mais elle avait réussi avec brio à détourner le sujet initial de la conversation. Jin commença à expliquer à Haruka leur discussion de tout à l’heure.

— On a eu une conversation au sujet de l’embarras et de la honte sur le chemin du retour.

— Oh ?

Jin reposa sa tasse de café encore chaud sur la table basse.

— Et si tu continuais sur la journée suivante, histoire qu’on avance ?

— Ah oui, bien sûr !

Il jeta un œil à l’horloge. La nuit allait être longue. Jin laissa échapper un soupir, et fixa de nouveau Nanami. Et moi qui voulais passer une soirée tranquille avec Haruka, pensa-t-il…

* * *

Mardi. Ce jour-là, nous avons eu les résultats d’un examen de littérature classique fait la semaine passée. J’ai obtenu la meilleure note de la classe. Mlle. Miyashima m’a félicitée ! Elle est très gentille et les élèves l’aiment beaucoup. Elle s’occupe de la résidence où logent Akari et Satsuki et elle cherche également un mari si j’en crois l’historique de navigation de son téléphone portable…

* * *

Jin plissa des yeux.

— Nanami…

— Oui ?

— Ne fouille pas dans l’historique de navigation des gens !

Il ne semblait pas content du tout. Nanami comprit immédiatement qu’elle avait quelque chose de très mal.

— C’est… C’est compris !

— Le respect de la vie privée est important. Ne va pas envahir la vie des gens comme ça.

— D’accord, je ne le ferai plus, c’est promis !

— J’espère que tu n’as pas fouillé dans nos téléphones ? demanda Haruka.

Elle avait ce regard glaçant qui annonçait tout de suite la couleur. Si Nanami avait bien appris quelque chose de Jin, c’était de ne pas mettre Haruka en colère.

— Je viens d’effacer tous les historiques de navigation que j’ai interceptés de ma mémoire ! Je suis désolée d’avoir fait ça !

Elle baissa la tête et joignit ses mains, comme pour demander pardon à Haruka et Jin.

— Vraiment ? demanda Jin, peu convaincu.

— Vraiment ! J’ai honte !

Cela le fit sourire. Cependant, il n’avait aucun moyen de vérifier, mis à part ouvrir Nanami et regarder ce qu’il y avait vraiment dans son système, mais cela était hors de question.

— Je pense que tu as compris. Allez, continue.

* * *

Ce matin-là, je trouve encore trois lettres dans mon casier à chaussures. Megumi m’a bien expliqué qu’il faut que je les ouvre, mais je ne comprends toujours pas à quoi elles servent. En voici une par exemple :

« Nanami, j’ai longtemps hésité avant de t’écrire une lettre. Tu es si belle et intelligente, je pense à toi tout le temps. Si tu veux bien sortir avec moi, viens me donner ta réponse demain. Je t’attendrai sur le toit après les cours. »

Au départ je n’ai pas trop su quoi penser. Le garçon en question est dans une autre classe, et les recherches que j’ai faites sur Internet entrent toutes en conflit les unes avec les autres. Je décide de demander conseil à Akari à la pause.

— Akari, j’ai un problème.

— Ah. Quel genre de problème ?

Elle prend un regard sérieux et sort son téléphone de son cartable.

— Ça doit être bien important pour que tu me demandes. Tu veux qu’on en parle par écrit pour être plus discrètes ? C’est grave ?

— Euh, oui, en quelque sorte. Je n’ai pas trouvé de réponse satisfaisante…

— Envoie-moi un message alors.

Elle me sourit. Akari est toujours prête à m’aider, c’est vraiment mon alliée sur le champ de bataille ! Nous continuons alors la conversation par mail. Je regarde ailleurs tout en lui écrivant.

— J’ai reçu des lettres de garçons dans mon casier à chaussures et je me demande quoi faire.

Akari sursaute en lisant mon message. Elle me lance alors un regard noir.

— Débrouille-toi toute seule !

À ma grande surprise, Akari remet son téléphone dans son cartable et me tourne le dos. Ce n’était pas prévu ! Je me demande si elle n’est pas en train de bouder.

— Akari ?

Satsuki s’approche de nous et jette un œil à Akari avant de me regarder.

— Qu’est-ce qui se passe ?

J’estime qu’elle peut également m’aider et l’inclut dans la conversation.

— Euh, j’ai parlé des lettres de garçons que j’ai reçues dans mon casier et-

Satsuki m’interrompt.

— Ah, j’ai compris ! C’est parce qu’elle n’en a jamais reçu, alors elle est jalouse.

Cette dernière s’installe à son bureau, derrière Akari.

— C’est faux, j’en ai déjà reçu plein au collège ! Tais-toi, Satsuki !

Cela la fait rire, visiblement. Elle me regarde alors avec un sourire chaleureux.

— Tu devrais demander à Marika ou à Amane, elles sont déjà sorties avec des garçons, je crois.

— Ça ne t’est jamais arrivé, Satsuki ?

À ma question, elle détourne quelque peu son regard d’un air gêné et commence à presser les index de ses deux mains l’un contre l’autre. Sa voix devient encore plus timide que d’habitude.

— C’est à dire que… Non… Pas vraiment.

Sa réaction est très différente de celle d’Akari. C’est encore plus mystérieux !

— Tu es sortie avec autre chose qu’un garçon ?

Ma demande est sérieuse, mais Satsuki semble être de plus en plus gênée.

— Oublie ce que je viens de dire !

— Je vais demander à Marika ou Amane alors.

Marika est absente ce jour-là. Je n’ai donc qu’Amane à interroger. Celle-ci est facile à repérer dans la classe : elle est grande, et a une poitrine opulente. Cela semble assez rare parmi les jeunes filles que j’ai pu rencontrer jusqu’ici. Elle a facilement de quoi rivaliser avec Haruka, même en tenant compte de leur différence d’âge. Certaines filles des magazines que Jin balaye parfois du regard lorsqu’il va faire les courses à la supérette avec moi ne font pas le poids non plus…

* * *

— Jin ?

Haruka le châtia d’un regard menaçant.

— Nanami ! Traîtresse ! Je ne t’emmènerai plus jamais faire les courses !

— Hein ? Mais pourquoi ?

— Rappelle-toi ce que nous t’avons dit tout à l’heure sur la vie privée !

Cela fit tilt dans sa tête. Ses yeux s’écarquillèrent.

— …Oh !

Haruka prit une gorgée de son thé.

— Tu me diras plus tard quel genre de magazines il regarde, Nanami.

— Bien sûr, Haruka !

— Non, intervint Jin.

Nanami raconta le reste de sa journée. Elle était allée voir Amane pour lui poser des questions sur les sentiments et les lettres d’amour. Jin bâilla. Il n’avait pas l’air spécialement passionné par son récit. Ou peut-être était-il fatigué de sa journée de travail…

— Ça serait bien que tu accélères un peu la cadence et que tu ne nous racontes que les évènements importants, Nanami.

— Ah, oui, bien sûr.

— Et évite de nous raconter les passages aux toilettes des filles aussi, commenta Haruka.

— Ha ha, oui, ça aussi, ajouta Jin.

— D’accord !

* * *

Mercredi. Nous avons un cours de mathématiques, je fais donc comme Akari m’a dit et commets volontairement une erreur lorsque le professeur m’appelle au tableau. La classe reste silencieuse quelques instants, et sur le moment, j’ai peur d’avoir fait une bêtise. Je me corrige tout de suite, mais beaucoup d’élèves chuchotent entre eux. Cela semble être assez incroyable pour eux que je fasse des erreurs.

Une fois les cours de l’après-midi terminés, un de mes ainés, Minoru de la classe de terminale B, vient me voir. Il veut que je rentre dans le club de baseball qu’il préside, car un de leurs membres est parti pour raisons médicales. Je décline. Je suis déjà au club d’informatique d’Akari, à celui de cuisine avec Amane et Fubuki, et aussi à celui d’étude des idols de Megumi. Il semble déçu, mais je ne peux rien faire pour l’aider, les règles de l’école indiquent qu’on ne peut pas être membre de plus de trois clubs à la fois.

Juste après son départ, Marika, la fille absente la veille vient me voir pour me demander si je ne peux pas lui présenter le garçon avec lequel je viens de parler. Elle semble impatiente de le rencontrer. Je pars alors rattraper ce dernier en emmenant Marika et je les introduis l’un à l’autre brièvement avant de repartir. Marika a l’air bien moins à l’aise devant lui qu’elle ne l’est en classe, je ne comprends pas trop pourquoi.

* * *

Haruka gloussa.

— C’est évident, elle en pince pour ce garçon et elle voulait te remercier de les avoir présentés ! Ce Minoru, il a l’air mignon.

Nanami avait projeté sa photo sur le mur tout à l’heure, durant son récit.

— D’après les classements dans les magazines de mode pour lycéennes, il remplit de nombreux critères pour devenir mannequin, mais il préfère se consacrer à une carrière sportive. Il a du succès auprès des filles, surtout des plus jeunes, commenta Nanami.

— Je parie qu’il ne dirait pas non au charme d’une jeune femme plus expérimentée, commenta Haruka d’un air rêveur.

Jin protesta.

— Hé, je suis là hein !

— Si tu retournais plutôt lire tes « magazines », Jin ?

* * *

Jeudi. Rien de spécial à signaler.

Après les cours, Masahiro, un garçon de la classe, vient me voir l’air un peu gêné. Il fait partie du club d’informatique d’Akari.

— Nanami, est-ce que tu t’y connais au jeu de Go ?

— Le jeu de Go ? Je connais les règles, oui.

— Tu as déjà joué ? Est-ce que tu accepterais de remplacer un joueur tombé malade dans une rencontre amicale entre notre école et une autre ? J’ai une dette envers le club de go, tu comprends, et ils ont juste besoin d’un joueur cet après-midi !

— Bien sûr !

Rien dans mon planning n’est marqué ce jour-là de toute façon. Il m’emmène au local du club de go. Ce jeu est plutôt difficile pour un être humain, mais quand on est équipé d’un processeur comme le mien, c’est un jeu d’enfant !

Lorsque j’arrive, tout a déjà été préparé pour une rencontre en équipes de trois. Je n’ai plus qu’à m’installer.

— C’est n’importe quoi. Vous faites appel à une débutante parce qu’il vous manque un joueur ? C’est pathétique.

L’équipe adverse n’a pas l’air commode. Cela ne me plaît pas beaucoup. Celui que je devine être leur capitaine me regarde d’un air hautain. Il est plus grand que moi, mais cela ne me fait pas peur du tout. Les trois adversaires portent l’uniforme d’une école de Yokohama. Je décide de montrer les crocs.

— Ne me prenez pas à la légère.

— Oh oh, vraiment ? Tu te crois si maligne que ça, la métisse ? C’est quoi ton nom ?

Il n’aime pas beaucoup les étrangères, en plus !

— Nanami Andô.

— Jouer contre ces lavettes ne m’intéresse pas. Toi par contre, tu sembles bien sûre de toi.

Je ne sais pas si je donne cette impression, mais si c’est ce qu’il pense… Je décide de leur lancer un défi.

— Soyez plus polis avec vos adversaires, s’il vous plaît, ou je vais devoir me fâcher.

— Oh tu nous fais peur, ma jolie ! C’est votre école qui nous a demandé une rencontre amicale, alors on la fait, ni plus ni moins.

Il n’y a rien d’amical dans ses propos. Les autres membres du club sont terrorisés.

— D’accord, je vous affronterai tous les trois à la fois.

Je me suis demandé si je n’étais pas un peu trop aggressive  Je prends place devant les plateaux et commence ainsi à placer une pierre noire sur chacun, à différents endroits recommandés pour l’ouverture.

— Quoi !?

Je les mets devant le fait accompli. Ils n’ont donc pas d’autre choix que de s’asseoir devant moi.

Masahiro vient tout de même me parler.

— Nanami, n’en fais pas trop tout de même, ce n’est pas grave si on perd, tu sais.

Je me tourne vers les quelques membres du club pour les rassurer.

— Ne vous en faites pas. Je vais gagner !

Mes adversaires commencent chacun à dévoiler leur jeu après quelques coups seulement. Ils ont un niveau correct pour des lycéens, mais je n’aime pas leur attitude, et je décide donc de leur donner une leçon. J’accorde une partie de mon unité de calcul pour chaque adversaire. Vu le temps qu’ils mettent à jouer, il ne m’est pas difficile de prévoir chacun des coups possibles.

À chaque pierre qu’ils posent, je réplique immédiatement. Je ne leur laisse aucun répit et appuie sur l’horloge pour indiquer que mon tour est terminé.

Mon adversaire de gauche est le premier à capituler, tandis que celui de droite et leur capitaine, au centre, continuent de vouloir me prendre des territoires. Cependant, ceux que je leur prends sont chaque fois bien plus gros que ceux qu’ils me prennent. Parfois, il faut faire des sacrifices pour arriver à la victoire, c’est pourtant une tactique très basique lorsque seul le résultat compte. Je soupçonne qu’ils se sont laissés emporter par leurs émotions devant mon assurance. C’est ce qu’on appelle la guerre psychologique, non ?

Une fois mon second adversaire éliminé, je me focalise sur leur capitaine face à moi. Le regard d’effroi sur son visage au fur et à mesure que la partie avance est particulièrement révélateur.

Je n’aime pas qu’on maltraite mes camarades d’école, et je ne compte pas retenir mes coups.

Après avoir soigneusement évité les pièges tendus par mon adversaire, je commence à contre-attaquer lorsque je vois des ouvertures dans son jeu. Un territoire par-ci, quelques pierres par là…

Il met en moyenne dix à quinze secondes pour effectuer un coup. Je joue volontairement rapidement après chacun de ses tours pour lui mettre la pression.

Je ne veux pas seulement gagner, je veux le pousser à admettre sa défaire.

Cela ne tarde pas. Lui et ses camarades se lèvent alors et quittent la pièce sans un mot, en laissant tel quel le plateau.

— Woah, Nanami, j’ai jamais vu quelqu’un jouer comme ça ! Où est-ce que tu as appris le Go ?

Je n’ai pas le choix, je dois mentir de nouveau.

— À mon ancienne école. Il y avait un professeur qui s’y connaissait bien, il m’a tout appris.

Les quelques membres du club étudient les trois plateaux sur lesquels j’ai joué. L’un d’eux prend même une photo pour garder une trace de la partie.

Un garçon de terminale vient alors me voir.

— Je suis le président du club… sans toi, on aurait perdu contre eux, tu ne veux pas nous rejoindre ?

— Ah, désolée, mais je ne peux pas, je suis déjà inscrite ailleurs.

— Oh. C’est dommage. Tu joues comme une professionnelle, j’ai déjà vu des joueurs faire plusieurs parties à la fois, mais jamais à notre niveau, c’était vraiment incroyable. Tu avais toujours un coup d’avance sur eux !

Plusieurs, en fait ! Mais il n’a pas besoin de savoir cela.

— Sur ce, je vais y aller. Il se fait déjà tard.

Les membres du club me remercient de nouveau et je leur fait un signe de la main en retour avant de quitter la salle.

Le soleil commence déjà à se coucher. Je prends mes affaires et me mets en route pour la maison.

* * *

— Tu es plutôt terrifiante quand tu t’y mets.

— Quand il s’agit de protéger ce qui m’est cher, je ne recule devant rien.

Jin eut un rire gêné.

— C’est… terrifiant, en effet.

Il bâilla ensuite de fatigue.

— Raconte-nous ton vendredi, on te fera grâce de la journée d’aujourd’hui, il se fait déjà tard, expliqua Haruka en lâchant également un bâillement.

— D’accord !

* * *

Vendredi. Rien de spécial à signaler, si ce n’est pendant la pause avant le dernier cours de la matinée.

— Regardez, c’est la présidente du conseil !

Mizuho Nishikino, élève de terminale, et également présidente du conseil des élèves, vient me voir à mon bureau alors que je discute avec Akari et Satsuki.

— Bonjour Nanami.

— Bonjour présidente.

— Allons, pas de formalités entre nous, tu peux m’appeler Mizuho.

Elle semble plutôt chaleureuse aujourd’hui. Les autres élèves ont l’air étonnés que je puisse l’appeler par son prénom. Comme je l’ai déjà expliqué dans un précédent rapport, j’ai sympathisé avec elle dès le premier jour.

— Que puis-je faire pour le conseil ?

— Oh rien de spécial, je voulais te remercier pour ce que tu as fait pour le club de Go hier. C’était très chevaleresque de ta part. Le club n’a pas beaucoup de membres et est plutôt faible par rapport à ceux des autres écoles. Cela les a grandement motivés de voir une joueuse aussi talentueuse. Tu les as impressionnés et leur as donné du courage.

— Ah, merci, mais je n’ai fait que ce qui me semblait juste sur le moment !

— C’est tout à ton honneur, Nanami. J’aimerais te donner une petite récompense, mais la direction de l’école n’est pas d’accord. Comme tu es une élève étrangère, cela les gêne un peu.

— Je comprends. Devrais-je m’abstenir à l’avenir ?

Elle agite sa main quelques instants suite à mes propos.

— Non, non, fais comme bon te semble. J’ai foi en ton jugement. En guise de remerciement, saches que tu peux compter sur le support du conseil tout entier en cas de problème, donc ne t’en fais pas. Sur ce, les cours vont bientôt reprendre, je te souhaite une bonne journée.

Elle me tourne alors le dos et s’avance avec grâce jusqu’à la sortie. Des élèves de ma classe viennent me voir :

— Je suis toujours impressionnée de voir comment la présidente du conseil te traite, Nanami. J’ai rarement vu quelqu’un lui taper dans l’œil. Je parie qu’elle est amoureuse !

— Oh !

Satsuki s’exclame alors, comme si elle vient de soudainement réaliser quelque chose. Elle a comme des étoiles dans les yeux.

— Je dois dessiner ça !

Cela a pour effet de faire rire mes autres camarades. Midori prend alors la parole. Il s’agit d’une grande fille qui fait beaucoup de natation. Elle est plutôt populaire auprès des garçons comme des filles.

— Plus sérieusement, c’est super que tu te sois bien intégrée. Au collège on avait eu un étudiant américain qui était venu, c’était pas vraiment ça ! Il était super mignon, mais on avait du mal à bien communiquer avec lui, même si son niveau de japonais était bon.

C’est maintenant au tour de Hitomi de parler. C’est l’une des rares élèves, avec Akari, Satsuki et Megumi (du club d’idols), à me parler souvent. Elle est très à l’aise avec beaucoup d’élèves de la classe, s’exprime facilement et est très amicale.

— La classe a un peu changé depuis que tu es là Nanami, c’est cool. Des élèves comme Asuka ou Yuuka se sont ouvertes aux autres et c’est un peu grâce à toi.

J’ai déjà parlé avec ces élèves. Asuka est très timide, mais à une jolie voix, j’ai chanté avec elle sur le toit une fois et depuis, elle vient parfois me voir et me dit bonjour. Yuuka fait partie du club de culture visuelle moderne et parle peu en classe. J’ai rapidement appris ce qu’est cette culture visuelle moderne pour essayer de lui parler et ça a plutôt bien marché. C’est fou toute l’étendue de la culture humaine ! Je prévois de m’attaquer à l’étude du cinéma de monstres ensuite !

— Merci ! Je vais faire de mon mieux pour continuer !

J’aime être félicitée !

Les cours reprennent quelques minutes plus tard. Il n’y a aucun autre évènement de la journée à signaler.

* * *

Nanami éteignit son projecteur avant de se tourner de nouveau vers Jin et Haruka.

— Voilà, j’ai fini, si on omet le samedi comme vous me l’av…

Elle s’arrêta net en observant Jin et Haruka. Les deux adultes étaient visiblement endormis sur le canapé, avec Haruka qui reposait sa tête sur les genoux de Jin, et ce dernier reposant la sienne contre le dossier du canapé.

Le spectacle était attendrissant, et Nanami ne savait pas si elle devait les réveiller ou non. Après quelques instants de réflexion à les étudier tous les deux, elle posa légèrement sa main sur l’épaule de Jin.

— Jin ? Jin ?

— …Ah !

Il ouvrit les yeux et vit le visage de Nanami presque collé au sien. Il faillit sursauter.

— Nanami, tu es trop près…

— Ah ! Pardon !

Elle se mit à rougir légèrement et fit un pas en arrière.

— Attention, Haruka dort encore, prévient-elle.

Jin jeta un œil plus bas et vit qu’en effet, Haruka dormait encore sur ses genoux. Il passa doucement sa main dans ses cheveux et caressa le visage de sa compagne. Nanami l’observa, quelque peu perplexe. Il y avait encore des gestes humains qu’elle avait du mal à assimiler.

— Elle a eu une dure semaine, elle travaille beaucoup en ce moment, expliqua Jin.

— Ah…

— Quelle heure est-il ?

Il tourna la tête vers l’horloge située sur l’un des murs de la pièce afin de répondre à sa propre question.

— Deux heures trente ?

— Pardon, j’ai été un peu longue, s’excusa Nanami.

— Non, c’est ma faute, je n’aurais pas dû te demander ça. C’était vraiment une idée idiote.

Nanami rit nerveusement.

— Est-ce que ça veut dire que je peux éviter de tout enregistrer en détail à l’avenir et ne garder que les métadonnées de mes journées ?

Jin dût se résigner. Cela ne servait à rien de passer son samedi soir à assister à un récit complet de la semaine de Nanami.

— Oui, si tu veux.

— C’est que tout ça prend beaucoup de place dans ma mémoire, ça m’arrange si je ne suis pas obligée de tout garder !

Haruka dormait toujours paisiblement. Jin se déplaça lentement et reposa la tête de Haruka sur le canapé, avant de se lever lui-même et de la prendre dans ses bras. Avec une main sous les cuisses et l’autre lui soutenant le dos et la nuque, il regarda son visage tendrement et reposa sa tête contre son épaule.

— Allons dormir.

Nanami continua de l’observer avec le sourire, tout en le suivant jusqu’à l’étage silencieusement, comme un chat. Jin fit très attention en portant Haruka afin de ne pas la réveiller.

Une fois dans la chambre, il la coucha sur le lit. L’androïde le regarda faire depuis le couloir, toujours l’air curieuse. Jin se tourna vers elle, mais c’est Nanami qui prit la parole en premier.

— Je vais aller me recharger. Bonne nuit, Jin.

— Bonne nuit, Nanami.

Celle-ci ferma la porte et alla dans sa chambre. Jin, de son côté, se prépara à dormir. Même si Nanami lui avait prouvé qu’elle était capable de s’intégrer parmi les êtres humains, il ne pouvait s’empêcher d’être inquiet. Mais chaque fois qu’il voyait son visage, un visage si heureux, si expressif pour une machine, ses inquiétudes s’envolaient. C’était comme si elle était libérée de quelque chose ou de quelqu’un, en étant ici. Comme si elle vivait une vie qu’elle avait toujours voulu vivre.

Confortablement installé dans son lit auprès de sa petite amie, les paupières lourdes, il rejoignit rapidement Haruka dans son sommeil.

* * *

Au même moment, dans un vieil entrepôt désaffecté du port de Yokohama, plusieurs hommes à l’air louche se tenaient debout autour d’une planche posée sur des traiteaux. Sur cette table de fortune trônaient des plans de la Tokyo et notamment de l’île artificielle d’Odaiba, de bâtiments, et des photos. Celui qui semblait être le chef posa ses mains sur la table.

— Bon, vous avez tous compris maintenant j’espère : on a des clients chinois pour les bijoux, il faut juste les voler dans ces deux magasins. En frappant simultanément on devrait s’en sortir.

— Oui chef, on a bien compris chef.

Ils étaient une dizaine. Tous des hommes baraqués et prêts à en découdre. Ils n’avaient pas vraiment l’air de faire partie d’un clan de yakuza mais simplement d’un gang. Plusieurs voitures et vans étaient garés dans l’entrepôt autrement vide.

— Inutile de vous dire que si on veut prouver notre valeur, il vaut mieux que ça passe plutôt que ça casse.

— Euh, chef, si c’est un casse, vaut mieux que ça casse, non ?

Les autres le dévisagèrent du regard en silence durant de longues secondes.

— On t’a déjà dit que tu faisais vraiment des blagues de merde ?

— J’essaye juste de détendre l’atmosphère moi.

Le chef vint vers lui et lui attrapa la machoire brusquement.

— Contente-toi de suivre les ordres, compris ? C’est comme ça que ça marche ici, on est pas là pour rigoler ou en vacances.

Il le relâcha alors et se tourna vers les autres.

— Je rappelle une dernière fois à tous de bien étudier les routes de repli en cas de problème. Vous restez discrets, vous ne faites pas de vagues, vous essayez de vous planquer et vous aggravez pas votre cas. Le but c’est de repartir avec les bijoux, pas de faire un carnage, donc les mecs qui en peuvent plus et qui veulent taper du flic, vous avez pas sonné à la bonne porte.

Quelques râles de déception se firent entendre.

— Une fois que tout le monde sera en sureté, vous déposez les sacs dans les casiers des gares de Shinjuku, Shibuya, Harajuku et Roppongi. Dés que c’est déposé, vous envoyez un mail depuis un cybercafé avec le code de dévérouillage et vous recevrez plus tard l’emplacement où récupérer votre salaire…

— Mais chef, vous avez donné quatre gares et on va faire que deux magasins…

L’homme au centre soupira.

— C’est pour que vous répartissiez le butin en deux sacs et que vous mettiez tout à deux endroits différents, triple buse. On vous filera par téléphone la gare à utiliser une fois le casse terminé.

— Oh, OK.

Le chef, puisque c’est ainsiq ue les autres l’appelaient, scruta du regard les hommes autour de lui.

— Quelqu’un a d’autres questions ?

— Euh oui, moi.

Une main se leva, c’était un homme plutôt petit qui semblait un peu perdu.

— J’ai jamais manipulé des armes à feu, on est vraiment obligé de les prendre avec nous ? Ça me fait peure moi.

— Hé bien si ça te fait peur, tu te casses !

Son interlocuteur était visiblement agacé.

— Le but c’est pas que vous les utilisiez mais que vous menaciez les employés avec. Vous avez pas intêret à les utiliser ou bien les flics auront aucune pitié pour vous. Vous savez très bien combien vous risquez pour le port de ces armes.

Il montra une caisse sur le côté où des pistolets étaient entassés.

— J’ai eu énormément de mal à me les procurer, alors vous n’avez pas intêret à les perdre, ni à les utiliser, c’est bien compris ?

Tout le monde répondit en coeur

— Oui chef !

— Bieeeen ! Maintenant tout le monde déguerpit d’ici et fait profil bas jusqu’au jour J.

— Oui chef !

Sur ce, ils prirent tous une arme dans la caisse, avant de partir chacun de leur côté en sortant de l’entrepôt et disparurent dans la nuit.



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