Chapitre 5 – Transfert en cours

Created on par Axel Terizaki

Le mois de juillet était déjà bien entamé, et la chaleur ambiante était toujours élevée alors même que le soleil se couchait lentement à l’horizon. L’été était une période globalement insupportable pour tous ceux ayant quelques légers différends avec la température et l’humidité.

Une camionnette blanche s’arrêta près de la maison de Jin et Haruka. Nanami et un homme plus âgé en descendirent. Vêtu d’un simple t-shirt blanc et d’un pantalon, il était grand, limite baraquée, et avait une grosse voix. Nanami, qui portait une robe d’été blanche, semblait presque naine à ses côtés.

— C’est gentil de m’avoir raccompagnée, Monsieur Kôsaka !

— Oh, c’est pas grand-chose, ma petite Nanami ! Avec tout ce que tu as fait pour nous aujourd’hui !

Jin sortit de la maison en entendant la voiture arriver. Il appela au passage Haruka, qui était à l’étage. Il s’approcha de l’homme pour le saluer.

— Merci de l’avoir ramenée.

Ce dernier éclata de rire.

— Ce n’est rien, vraiment ! Elle nous a tellement aidés aujourd’hui !

Nanami semblait fière d’elle, et affichait un grand sourire.

— Je vais chez madame Nishimura ! Elle a dit qu’elle avait besoin d’aide pour son jardin !

Madame Nishimura était l’une des habitantes du quartier. Depuis son arrivée, Nanami avait fait connaissance avec la plupart des voisins de Haruka et Jin. Quand la rumeur s’était répandue que la jeune fille travaillait vite et bien, tout en étant capable d’effectuer à peu près n’importe quelle tâche dans la joie et la bonne humeur, elle reçut beaucoup de sollicitations pour des travaux ponctuels. La plupart des habitants du quartier étaient en effet trop âgés ou trop occupés pour pouvoir effectuer certaines tâches. La gaieté et l’ardeur de Nanami étaient fort appréciées.

Jin et monsieur Kôsaka la regardèrent s’éloigner et tourner au carrefour. Haruka arriva à ce moment.

— Comment allez-vous, Monsieur Kôsaka ?

— Très bien ma petite Haruka ! Nanami a été d’une grande aide à la confiserie aujourd’hui. Ma femme n’en est pas revenue.

Il semblait très familier avec Haruka, et pour cause. Étant un ami de ses parents, il avait aidé les deux sœurs Ayase lors de la disparition tragique de ceux-ci, des années plus tôt.

— Vous voulez entrer prendre un thé ?

— Merci Jin, mais je ne peux pas rester, on m’attend à la maison.

— Tant pis. Passez le bonjour à votre femme de notre part !

— Je n’y manquerai pas, s’exclama monsieur Kôsaka en retournant vers son véhicule.

C’était la même camionnette qui leur avait été gracieusement prêtée pour leur emménagement. Les deux jeunes gens le regardèrent remonter dans son véhicule et s’en aller.

— Bon, je vais préparer le garage pour le retour de Nanami, annonça Jin.

— Elle a encore besoin d’un peu de maintenance ?

— Oui, il reste encore un peu à faire sur ses bras, d’après ce qu’elle m’a dit.

Haruka suivit Jin à l’intérieur, avant de fermer la porte d’entrée derrière eux.

— Je vais retourner bouquiner un peu, puis j’irai préparer le dîner pendant que tu t’occupes d’elle.

— D’accord.

* * *

NODOKA : On a fait du bon travail les filles !
SHOKO : Oui, encore une journée qui passe et qui nous rapproche de notre but.
NODOKA : Ces bonbons étaient délicieux ! Et madame Kôsaka était si gentille !
SHOKO : Si on mange trop, mais ne grossit pas, les humains vont se poser des questions.
NODOKA : Oui, tu as raison…

* * *

Une fois l’arrosage des plantes de la voisine fini, Nanami rentra chez elle, un sac plastique à la main. Celui-ci contenait des petits gâteaux que madame Nishimura lui avait offerts en remerciement. Après avoir déposé les friandises dans la cuisine et dit bonsoir à Haruka et Jin, elle se dirigea vers le garage en compagnie de ce dernier.

— Allez, allonge-toi.

Il referma la porte derrière elle tandis qu’elle s’allongea sur le grand établi posé au fond. Jin, quant à lui, vint se placer debout près d’elle.

— On va commencer par ton bras droit. Montre-moi un peu tout ça.

Connaissant désormais le code par cœur, il ouvrit la mallette avec laquelle la jeune androïde était venue chez eux.

Haruka avait pris le temps de l‘analyser au labo, sans toutefois y dénicher quoi que ce soit d‘intéressant, à part son système d‘ouverture actif sur toute la surface de la malette via un écran tactile, il n‘y avait rien d‘intéressant. Si ce n‘est un compartiment plus gros que les autres mais néanmoins fermé par une serrure que Haruka n‘avait pas osé forcer. Il y avait néanmoins quelque chose à l‘intérieur… Cependant, Nanami n‘avait aucune idée de quoi il pouvait s‘agir, ni même la clé pour l‘ouvrir.

— Nanami, diagnostic.

— Entendu.

Tournant la tête, elle projeta sur le mur face à Jin une carte de son propre corps grâce à son projecteur intégré.

— J’illumine en rouge les pièces ayant besoin d’être changées.

Jin jeta un coup d’œil à la projection, puis de nouveau sur Nanami, qui avait découvert son bras droit entièrement, jusqu’à l’épaule.

— Il ne reste plus que quelques pièces à changer dans tes deux bras et tu seras comme neuve. Je me demande encore comment tu as fait jusqu’ici.

Elle rit doucement.

— Je n’ai pas eu à me servir de toutes mes capacités.

Il se mit à utiliser le pointeur laser pour révèler le contenu du bras de Nanami.

— Ah vraiment ? Quelle surprise nous réserves-tu encore ? Tu fais le café aussi ? dit-il en plaisantant.

Jin essayait de faire la conversation pour que le temps passe plus vite pour Nanami, même si elle n‘en avait pas vraiment besoin. C‘était plutôt pour lui, finalement, qu‘il parlait avec elle. Peut-être pour se rappeler qu‘il avait affaire à plus qu‘un simple robot.

— Bien sûr, je sais me servir d’une cafetière, annonça-t-elle fièrement.

Il fut pris au dépourvu par sa réponse. Nanami était passée maîtresse dans l’art du premier degré.

— Nanami, c’est une blague.

Un léger silence s’installa.

— Oh.

— N’importe qui sait se servir d’une cafetière, tu sais.

— Pas tout à fait ! Je viens de consulter une étude sur Internet qui indique qu’une portion non négligeable de la population ne sait pas se servir d’une cafetière ou n’en a même jamais utilisé ! Cette étude remonte à quelques années, donc les chiffres ont peut-être quelque peu changé depuis…

Il commença à changer l’une des pièces à l’intérieur de son bras, sans pour autant exactement savoir à quoi elle pouvait bien servir. Celle qu’il avait retirée semblait abîmée, possiblement à la suite d’un impact.

— Ça va, ça va, j’ai compris ce que tu veux dire, Nanami. Si tu me racontais plutôt ta journée, vu qu’on a un peu de temps ?

— Pas de problème !

Toujours ravie de raconter ses découvertes sur la façon de vivre des humains, Nanami expliqua en détail les cours de la journée et comment elle avait ensuite aidé le conseil des élèves, les Kôsaka et madame Nishimura.

Haruka avait entre-temps fini de préparer le dîner, et les appela à table.

* * *

Après celui-ci, Haruka et Jin montèrent dans leur étude, où ils passaient du temps à lire pour l’une, et à jouer de la musique pour l’autre. Tandis que Haruka était allongée dans le canapé placé non loin de la fenêtre, un livre à la main, Jin lui était assis à son synthétiseur. Une tablette montée sur l’instrument lui servait à afficher des partitions.

Haruka avait mis des lunettes de lecture et dévorait un livre sur la physique quantique publié récemment. Nanami, quant à elle, était assise près de Jin, et le regardait jouer avec curiosité un morceau de Nils Frahm, un compositeur allemand moderne.

— C’est joli.

Jin s’apprêta à faire remarquer à Nanami qu’elle était une androïde et qu’elle n’était pas censée trouver ça joli, ou médiocre, ou même passable. Qu’elle était une machine, qu’elle ne pouvait donc pas émettre de jugement artistique… Il se rappela d‘ailleurs avoir déjà eu cette conversation.

— Qu’est-ce que tu trouves joli là-dedans ?

Le morceau, Ambre, était plutôt calme, teinté de mélancolie. Jin aimait jouer des mélodies douces et propices à la lecture pour Haruka. Parfois, celle-ci blaguait en demandant à Jin de jouer moins fort en lui parlant comme si elle s‘adressait à l‘une de ces enceintes connectées. OK Jin, baisse le volume. OK Jin, piste suivante… Il ne le prenait pas mal, bien au contraire. Cela les faisait rire tous les deux. La première fois que Nanami assista à ce genre de scène, elle était complètement perdue. Au même titre que l‘amour, l‘humour était un amas de mystères incompréhensibles pour Nanami.

— C’est reposant, doux et rythmé. Je te vois très bien étreindre Haruka tendrement et danser avec elle dans cette pièce, tandis que la pluie s’abat dehors.

Jin s’arrêta de jouer et rougit. Haruka leva la tête et les observa tous les deux sans dire un mot. Elle était autant surprise que Jin par les propos de Nanami.

— Comment peux-tu avoir une imagination aussi fertile ? demanda Jin.

— J’ai lu beaucoup de mangas au club de culture visuelle moderne de l’école. Est-ce que cela t’embarrasse ?

Bien sûr, les paroles de Nanami avaient planté l’idée dans la tête de Jin et Haruka.

— Dommage qu’il ne pleuve pas, suggéra celle-ci d’un air songeur.

— Ha ha, c’est sûr. Et puis Nanami est là…

Cette dernière interrompit Jin.

— Oh, si vous avez besoin d’intimité pour vos rituels amoureux et de procréation je peux me mettre en veille…

Haruka et lui rougirent de plus belle.

— Nanami, c’est… tu ne comprends pas !

— Ah ?

Jin s’éclaircit la gorge. Il était temps de changer de sujet avant que la situation n‘empire.

— Pour revenir à ce que je disais avant que tu ne dises quelque chose de gênant, c’est que je suis toujours aussi surpris que tu saches apprécier la musique.

— Est-ce mal ?

Haruka retourna à sa lecture.

— Non, c’est juste surprenant, répondit Jin.

— J’aime cette musique, car elle possède plusieurs qualités auxquelles les musiques que j’aime doivent répondre. C’est simple, non ?

— Pour moi ça l’est, parce que je suis un être humain, mais toi, tu es une machine…

— Jin, j’ai moi aussi des goûts que j’ai développés grâce à mon expérience et aux bases que mon créateur a installées lors de mon initialisation. Est-ce si extraordinaire ?

— Oui, tu fonctionnes d’une façon que j’ai du mal à comprendre.

— J’aimerais t’expliquer, mais il y a hélas des choses au sujet de mon propre corps que je ne suis pas en mesure de comprendre.

Elle baissa la tête, l’air désolée.

— Ce n’est rien. Il y a aussi des choses que nous les humains n’arrivons pas à expliquer parfois sur notre propre fonctionnement. Je suis juste un peu trop curieux.

Il tendit la main et ébouriffa ses cheveux tendrement.

— Hé !

Haruka intervint alors.

— Nanami, il faut que tu comprennes que Jin et moi sommes très attirés par la science et la technologie. Pour nous, tu es comme un mystère permanent.

— Oh.

Jin eut alors une idée et changea de sujet.

— Tiens, tu saurais jouer de la musique, Nanami ?

— Moi, jouer ? Je…

Nanami eut l’air pensive quelques instants.

— Je peux le faire.

Jin la dévisagea.

— Tu viens de télécharger une méthode de solfège sur Internet, lança-t-il d’un ton accusateur.

— Ah, euh… oui, admit-elle.

— Enfin, au moins maintenant tu as les bases. Tiens, mets-toi à ma place.

Il échangea son siège avec celui de Nanami, si bien qu’elle se trouvait maintenant face au clavier. Il prit la tablette numérique de son pupitre et chercha une nouvelle partition.

— Essaye de jouer ça. Pose tes mains comme ça…

Il prit les deux mains de la jeune fille et les plaça sur le clavier, à une octave d’intervalle.

— Je peux commencer, demanda-t-elle.

— Oui, suis la partition.

Le morceau choisi par Jin était River Flows in You du pianiste coréen Yiruma. Un morceau tout aussi doux et mélancolique que le précédent, mais aussi plus simple à jouer d’après Jin. Nanami commença à jouer en suivant la partition à la lettre. Un peu trop, d’ailleurs.

À la fin, il haussa les épaules.

— Tu joues trop machinalement. J’aurais dû m’en douter.

— Mais tu m’as dit de suivre la partition ? Je ne comprends pas.

— Écoute bien, il y a différentes façons de jouer un morceau. La partition t’indique ce que tu dois faire, mais tu es libre de l’interpréter, de lui donner du sens, de jouer plus ou moins fort… Tu dois insuffler un peu de ta façon de jouer dans la partition.

Nanami le regarda comme s’il était une bête curieuse.

— Ma façon de jouer ?

— Oui, selon ton humeur, selon comment tu te sens. Tu peux jouer la partition telle quelle, il n’y a pas de mal à ça, mais tu peux également jouer doucement si tu es triste, plus rapidement si tu es heureuse…

— Mais la partition n’est-elle pas comme le code d’un programme ? Je dois suivre les instructions de mes propres programmes, pourquoi ça devrait être différent pour une partition musicale ? Je ne comprends pas ce que tu veux dire.

Sur le coup, Jin ne sût pas trop quoi répondre. Haruka, qui écoutait leur conversation d’une oreille intervint :

— Ton programme, Nanami, est très complexe. En tout cas il en a l’air de notre point de vue. Du tien cela peut sembler simple de tenir une conversation avec Jin ainsi, et de vivre comme tu le fais, mais ton code doit avoir tellement de variations, de tests et de cas pour offrir l’illusion d’une jeune fille humaine tout à fait normale pour que personne ne se rende compte que tu es une machine.

— Je suis… l’illusion d’une jeune fille ?

Elle regarda Jin, puis Haruka avant d’ajouter :

— Vous voulez dire que je ne suis pas assez humaine ?

Haruka, sur le coup, ne savait pas quoi dire. Tenir une conversation avec Nanami n’était pas toujours facile, tout du moins, certains sujets étaient complexes.

— Quand nous te parlons, Nanami, on ne peut s’empêcher de se dire que tu es une machine. C’est très troublant, car tu es exactement comme une humaine en apparence. Et pourtant, nous savons qu’il n’en est rien.

— Dans ce cas, qu’est-ce qui me différencie d’une humaine ? Qu’est-ce que je devrais faire pour être vraiment humaine ? Qu’est-ce que je dois changer ?

Elle baissa les yeux.

— Je n’ai pas eu d’entrainement ni d’instructions spécifiques. Tout ce que j’ai appris, c’est en observant les autres humains et leur comportement. Qu’est-ce qu’il me manque exactement ?

Haruka pencha la tête légèrement sur le côté,

— Un peu d’irrégularité ? Un peu de variation ? Tu vois, parfois les humains réagissent de façon incohérente par rapport à ce que la logique voudrait. Pourtant, quand tu cherches les raisons de tel ou tel acte, tu peux y voir une certaine logique. Ce qui fait qu’un humain réagit comme un humain est qu’il obéit à sa propre logique. D’un certain côté, ta logique fait de toi ce que tu es, Nanami.

Elle marqua une courte pause pour réfléchir à ce qu’elle voulait dire, puis conclut :

— Tu as ta propre logique Nanami, on peut donc en conclure que tu es comme une humaine avec une logique un peu différente, comme il existe un nombre infini de variations parmi les humains.

Jin tapa du poing contre son autre main.

— C’est exactement ça, Haruka !

Il se tourna alors vers Nanami. Ce que sa compagne venait de dire l’avait aidé à trouver une idée pour apprendre la musique à la jeune androïde.

— Vois cette partition comme l’une des multiples façons d’interpréter le morceau. Mais tu peux le jouer comme tu le souhaites, l’interpréter à ta façon, faire ta propre partition. Si tu acceptes les variations infinies que la musique procure, tu arriveras à jouer comme un être humain au lieu de jouer comme une machine.

— D’accord, je crois que je comprends.

— Comment tu te sens en ce moment ?

— Aucun problème matériel ou logiciel. 15 pour cent de batterie restante. Rien d’autre à signaler.

Cela fit rire Jin doucement.

— Émotionnellement, Nanami.

— Oh. Relaxée, au calme, heureuse.

Ce dernier terme attira la curiosité de Jin. Le fonctionnement de Nanami l’intéressait décidément beaucoup.

— Heureuse ? Qu’est-ce qui te rend heureuse maintenant ?

— J’aime bien passer du temps avec toi et Haruka.

Un sourire se dessina sur ses lèvres. Sur celles de Haruka également, même si elle ne quitta pas son livre des yeux. Cela ne l’empêchait pas d’écouter leur conversation.

— C’est gentil. Je dois dire que j’ai appris à aimer ça aussi, admit Jin.

Il passa sa main dans les cheveux de Nanami pour l’ébouriffer tendrement, comme plus tôt.

— Hé !

— Ha ha. Allez, on va essayer de rejouer ce morceau différemment. Je te montre.

Jin la remplaça au clavier, et commença à jouer la même partition que Nanami avait essayée quelques minutes auparavant. Cependant, contrairement à elle, il se permit quelques changements dans le rythme, quelques ajouts, tout en les ponctuant d’explications plus ou moins complexes.

— Là, tu vois, je ne suis pas content ! Rooooh !

Plutôt moins, en fait.

— Et là, j’ai envie de sauter par la fenêtre et m’envoler !

C’était au tour de Nanami de rire devant les exagérations de Jin. Les notes qu’il jouait n’avaient bientôt plus grand-chose à voir avec la mélodie initiale.

— J’ai compris, laisse-moi essayer !

— D’accord !

Du coin de l’œil, Haruka les observait durant leurs échanges avec le sourire. Jin et Nanami étaient de plus en plus complices, c’était évident.

Après quelques dizaines de minutes, elle bâilla et referma son livre. Le spectacle l’avait peut-être empêchée de lire convenablement, mais il n’en avait pas été moins instructif.

* * *

NODOKA : Et si on créait de la musique ?
RITSU : Perte de temps et d’énergie.
SHOKO : Je suis d’accord.
NODOKA : Mais imaginez qu’on soit la prochaine Teri Suzumiya !
SHOKO : Encore elle…
NODOKA : Ça serait vraiment trop bien !
SHOKO : Non.
RITSU : Non.
NODOKA : Mais !

* * *

Quelques étudiants du lycée Kirigaoka vivaient dans une résidence près de Yokohama. Certains par choix, pour être plus près de l’école, d’autres par obligation, car ils n’avaient nulle part ailleurs où aller. Parmi eux, deux jeunes filles n’étaient pas encore couchées malgré l’heure tardive. La chambre qu’elles partageaient reflétait deux univers diamétralement opposés. Une petite table à dessin d’un côté, avec beaucoup de croquis et de matériel, tandis que de l’autre, un simple bureau où un ordinateur portable était posé, entouré de divers périphériques tous reliés entre eux. Contre le mur de la chambre se trouvaient deux lits superposés.

La jeune Akari était assise à son bureau, en pyjama et les cheveux détachés. Elle secouait la tête doucement, un casque sur les oreilles.

— Qu’est-ce que tu regardes ?

Akari sursauta et retira son casque. C’était la voix de sa colocataire, Satsuki.

— Tu m’as fait peur !

Cette dernière était enroulée d’une serviette de bain, ses longs cheveux relevés et également recouverts d’une serviette. Elle venait de toute évidence de prendre une bonne douche.

— C’est le dernier clip de Teri Suzumiya ?

— Ah euh, oui, je faisais une pause avant de me remette à programmer. Les garçons du club ont pris du retard, du coup je dois faire une partie du travail…

Satsuki hocha la tête. Elle ne comprenait jamais vraiment quand Akari essayait de lui expliquer ce qu’elle pouvait bien faire sur son ordinateur. Cependant, elle était capable de comprendre que c’était la passion de son amie, tout comme le dessin l’était pour elle.

— C’est Nanami qui t’a donné le goût d’écouter ces chansons ?

— Un peu… Disons que je me demande ce qu’elle peut bien lui trouver.

Bien sûr, la vraie question pour Akari était de savoir comment une androïde, dotée d’une intelligence artificielle, pouvait se passionner pour une idol japonaise. Ces chanteuses au succès éphémère pour la plupart n’avaient rien de remarquable à son sens. Satsuki ignorait cependant la véritable nature de Nanami, et Akari devait bien lui mentir par omission.

— Et toi, tu trouves ça comment ?

Akari prit un peu de temps pour rassembler ses pensées et donner un verdict objectif et détaillé après mûre réflexion.

— C’est nul.

Satsuki eut l’air étonnée. Elle revêtit un pyjama devant son amie.

— Pourtant tu avais l’air d’apprécier la chanson lorsque je suis sortie de la douche, dit-elle d’un ton taquin.

— C’est bien ça qui m’énerve ! Je ne devrais pas aimer ça ! Mais c’est plein d’entrain, ça bouge, c’est dynamique. La chanson rentre dans la tête, c’est insupportable ! Pas étonnant qu’elle ait autant de succès.

Elle soupira avant d’ajouter :

— Au moins, ça me permet de me vider la tête entre deux sessions de codage. C’est déjà ça.

Satsuki rit doucement et contempla sa pile de mangas à lire tout en continuant sa conversation avec Akari.

— Tu sais qu’on doit se lever tôt demain, n’est-ce pas ?

Akari soupira.

— Je sais, demain c’est la visite au Miraikan, le musée des nouvelles technologies. Ça fait des jours et des jours que mam’zelle Nagisa n’arrête pas de nous en parler !

Leur professeur principal, Nagisa Miyashima, était en effet très enjouée à l’idée d’emmener sa classe pour une visite qu’elle avait planifiée depuis la rentrée. Pour cette jeune professeure, c’était sa toute première sortie avec ses élèves, et elle y tenait donc énormément.

— Je vais me coucher, tu devrais en faire autant, conseilla Satsuki avant de monter à l’échelle la conduisant à son lit.

— J’arrive, j’arrive…

Elle referma son ordinateur portable, puis alla rejoindre son amie.

* * *

Jin et Haruka venaient à peine de se coucher quand cette dernière l’interpella.

— Jin, tu dors ?

Quelques secondes passèrent.

— Oui.

— Très drôle.

Elle lui donna un léger coup de pied sous les draps. Il se retourna alors pour lui faire face.

— Hé !

— Je n’arrive pas à dormir.

— Tu veux que je te chante une berceuse, proposa-t-il.

— Idiot, chuchota-t-elle.

Second coup de pied.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— C’est Nanami…

— Nanami ?

— J’ai beau retourner la question cent fois dans ma tête, je ne trouve pas de réponse.

— Une question ? Quelle question ?

— Comment peut-elle exister ?

Un silence s’installa. Jin ne savait pas trop quoi répondre, ce qui laissa à Haruka le champ libre pour continuer.

— J’ai bien écouté votre conversation tout à l’heure et je me suis renseignée discrètement auprès de collègues… J‘ai aussi analysé sa valise et à part toute la face avant qui est un gigantesque écran tactile, elle n‘a rien de si spécial. Je n‘ai pas pu scanner le compartiment scellé à l‘intérieur par contre, et pas moyen de l‘ouvrir.

— Tu parles de l‘espace vide dans la malette ?

— Oui, il y a un espace scellé, mais je n’ai pas voulu endommager l’intérieur donc je n’y ai pas touché. Nanami n’a pas l’air de savoir comment l’ouvrir non plus… Tout cela est bien mystérieux et ça me chiffonne.

— Ça m’inquiête aussi, mais ça ne sert à rien de forcer pour le moment. C’est peut-être tout simplement ce qui fait fonctionner l’écran tactile et le verrou de la malette.

— Ouais, tu as sans doute raison, je cherche peut-être trop la petite bête. En tous cas, si Nanami a bien été construite sur Terre, c’est impossible qu’elle ait été faite chez nous à NS.

NS était la société où travaillaient Haruka et Jin.

— Tu veux dire qu’elle viendrait d’une autre planète ? Tu es sûre que ça va, Haruka ?

— Idiot !

Encore un coup de pied, Jin grinça des dents.

— Je dis juste qu’une autre société, probablement américaine ou coréenne, est bien plus avancée que nous, en tout cas sur la robotique, et a réellement mis au point une machine capable de se faire passer pour une humaine. À tel point que parfois, j’oublie presque qui elle est et je la considère comme l’une des nôtres.

— Moi aussi.

— J’ai vu ça, laissa-t-elle échapper avec un léger gloussement.

— Elle tient une conversation tout à fait normalement, elle est capable de montrer des émotions, des sentiments, de faire preuve de discernement… C’est difficilement concevable quand on y pense, et pourtant elle existe. J’aimerais vraiment rencontrer celui ou celle qui l’a crée.

— Peu importe qui l’a crée, ce n’est pas l’œuvre d’une seule personne, c’est sûr.

Un léger silence s’installa entre les deux adultes. Jin décida de passer son bras autour de Haruka pour la blottir contre lui, tendrement.

— Merci, dit-elle doucement.

— Quelque chose me dit qu’il n’y a pas que Nanami qui te tracasse.

— On ne peut rien te cacher.

Haruka passa également son bras autour de Jin pour le serrer contre elle.

— Tu peux m’en parler ?

— Oui, ne t‘inquiête pas. La société place beaucoup d’espoirs en moi, et c’est un peu étouffant. Tu te souviens quand j‘ai réussi à maintenir un trou de ver ouvert un bref instant ? J‘avais mentionné dans mon rapport qu‘il était peut-être possible d‘y faire transiter de la matière. Du coup en haut-lieu ils pensent que j‘ai inventé la téléportation et veut que je poursuive mes essais. On va faire les premiers vrais tests d’ici quelques mois. Ce que j’ai théorisé me fait peur…

— Ah oui ? Pourtant tu n‘as pas inventé une intelligence artificielle qui va conquérir le monde et réduire l’humanité en esclavage, donc tout va bien.

— Idiot !

Elle frotta son visage contre le torse de Jin, avant de continuer.

— Non, c’est juste que si ma théorie se vérifie, ça va changer énormément de choses dans la vie de tout le monde. Il y a des professions entières qui deviendront obsolètes… T‘imagines les transporteurs, les taxis, tout ça, plus besoin.

— C’est la pression ou bien les conséquences qui t’inquiêtent ?

— Un peu des deux je t’avoue. Je dois trop réfléchir sans doute. Parfois, je me demande si je n’ai pas emprunté un chemin que je n’aurais jamais dû…

Elle soupira, et sentit Jin passer sa main dans ses longs cheveux lentement, tendrement.

— Un peu comme avec Nanami ?

— Oui, un peu… Ceux qui ont crée Nanami sont comme des dieux, ils ont créé la vie, ou tout du moins quelque chose qui s’en rapproche… Et ça me fait peur, admit-elle. Je me retrouve dans la même position ou presque avec mes recherches, et là où eux ont crée Nanami sans hésitation, moi…

— …tu doutes ?

— Un peu, oui.

— Qu’est-ce qui te fait dire qu’ils n’ont pas hésité ?

— Hein ?

— Moi par exemple, je pense que j’y aurais réfléchi à deux fois avant de lancer un tel projet. Insuffler autant de vie dans un objet n’est pas quelque chose à prendre à la légère.

Jin s’arrêta et réfléchit quelques secondes avant de continuer.

— D’un autre côté, n’est-ce pas notre rôle de scientifique que d’aller là où l’être humain ne va pas ? D’explorer la science, de rendre possible l’impossible ?

— Oui, mais à quel prix… Nanami me rend tellement curieuse, j’aimerais la démonter et voir de quoi elle est faite. Si ça avait été un ordinateur ou un objet inanimé je l’aurais déjà ouverte depuis belle lurette, mais quand je la vois, tout sourire, si charmante, si pleine d’énergie, si…

— Humaine ?

— Humaine, oui, si humaine… je ne peux pas faire ça, ce serait pire que tout.

— J’y ai pensé aussi. On est sur la même longueur d’onde.

— Oui.

Les deux adultes, enlacés, se caressèrent le dos doucement, comme pour se réconforter l’un l’autre.

— Elle n’a pas l’air de se souvenir de tout son passé, mais peut-être qu’un jour elle nous dira d’elle-même ce qu’il en est. On va devoir attendre, dit Jin.

— Oui.

— On a tout le temps pour ça.

— Inutile de la presser, oui. Je lui ai demandé l’autre jour et elle m’a dit qu’elle avait été construite pour durer, et que tant qu’elle n’usait pas trop son corps elle allait pouvoir vivre plusieurs centaines d’années.

— Je ne sais pas si j’aimerais vivre aussi longtemps.

— Moi non plus, ajouta Haruka.

— Une éternité à tes côtés, par contre…

— Idiot.

Pas de coup de pied cette fois-ci.

— Merci de m’avoir écoutée.

— Il n’y a pas de quoi. Je t’aime, Haruka.

— Moi aussi, Jin.

Il déposa un léger baiser sur la tête de Haruka, et les deux adultes s’endormirent peu de temps après, dans les bras l’un de l’autre.

* * *

NODOKA : Shoko, Ritsu, vous dormez ?
SHOKO : …
RITSU : …
NODOKA : …
SHOKO : …
RITSU : …
NODOKA : ~Je veux devenir une idol un jour…~
SHOKO : Tais-toi !
RITSU : Tais-toi !

* * *

Le lendemain matin, une trentaine d’élèves et deux professeurs étaient assis dans un car les menant au musée du Futur de Tokyo, le Miraikan. La classe d’Akari et de Nanami ne semblait pas s’ennuyer durant le trajet. Certains discutaient, d’autres se chamaillaient gentiment, jouaient à des jeux vidéo ou lisaient, entre autres.

Le car était plutôt spacieux, avec quatre places à chaque rangée, séparées par une allée centrale plutôt large. Quelques sièges étaient vides, ce qui avait permis aux élèves de s’étaler.

Le trajet de près de deux heures pour relier le lycée Kirigaoka au Miraikan en était déjà à la moitié. Les élèves étaient accompagnés par mademoiselle Miyashima, professeur principal de leur classe, ainsi que mademoiselle Baker, leur professeure d’anglais qui s’était portée volontaire pour que la classe ait deux accompagnateurs. Nanami se trouvait vers le fond, assise à côté de Hayate, le garçon qui l’avait blessée durant le match de baseball de son premier jour d’école. Depuis ce jour-là, il s’était rapproché d’une Nanami un peu désemparée devant tant d’attentions. Satsuki avait beau lui expliquer que c’était normal qu’il s’inquiète pour elle, Nanami, elle, avait un peu de mal à comprendre les raisons de son comportement.

Akari et Satsuki, pour leur part, se trouvaient de l’autre côté, sur la même rangée que Nanami et Hayate.

Tous les élèves étaient déjà en uniforme d’été, qui consistait principalement à ranger le blazer et troquer les manches longues des chemises par des manches courtes, pour les garçons comme pour les filles.

Mademoiselle Baker passait dans les rangs. C’était une jeune femme originaire de Boston, venue au Japon pour enseigner l’anglais. Elle était toujours bien habillée avec un chemisier blanc, un tailleur et une veste bleus. Elle portait également un foulard bleu clair noué autour du cou. Sa chevelure blonde et mi-longue était coiffée en une natte sur le côté droit. Elle s’arrêta au niveau de Nanami et les autres.

— Are you alright, Nanami?

— Yes, I’m fine, Ms. Baker, thank you.

— C’est toujours un plaisir de discuter en anglais avec toi, Nanami. Ça va bien aussi les autres ?

Akari, Satsuki et Hayate répondirent positivement.

— Plus qu’une petite heure de route et nous serons arrivés au Miraikan ! Fight!

— Fight-o! répondirent-ils tous en chœur.

Et avec son sourire habituel, elle passa à une autre rangée. Elle jouissait d’une certaine popularité parmi les élèves, due à sa nature exotique et à sa gentillesse.

— Je suis impressionné chaque fois que je t’écoute parler anglais, Nanami.

Hayate la félicita. Le jeune garçon et Nanami ne sortaient pas ensemble à proprement parler, mais Satsuki adorait par-dessus tout essayer de les coller l’un à l’autre, si bien que pratiquement toute la classe les pensait déjà en couple. Comme à son habitude, Nanami passait complètement à côté de tout ça. Cela ne semblait pas non plus troubler Hayate.

— Merci ! C’est plus facile quand on a appris la langue toute petite !

Un mensonge, bien évidemment, mais ça faisait partie de son identité parmi les humains.

Le rôle d’entremetteuse de Satsuki laissait également Akari perplexe.

— Tu dépenses beaucoup d’énergie pour qu’ils sortent ensemble, fit remarquer Akari à sa voisine.

Satsuki sirotait un jus d’orange en brique acheté à un distributeur le matin même avant de monter dans le car.

— Oh, ils sont si mignons ! Voudrais-tu que je m’occupe de toi, après ? Je me demande avec quel garçon on pourrait te caser dans la classe…

— Personne, ça ne m’intéresse pas.

— Tu dis ça, mais je suis sûre que tu as un garçon ou deux qui te plaisent, au moins dans l’école !

— Non !

— À moins que le copain de ta sœur…

— Non plus !

Akari secoua la tête.

— T’es pas drôle, Akari.

Une fois son jus terminé, Satsuki rangea la brique vide dans son sac pour la jeter plus tard, et reprit son carnet à croquis, et griffonna quelque chose tout en observant Nanami et Hayate discuter de l’autre côté.

— Tu aimes vraiment dessiner les couples, commenta Akari en jetant un œil au croquis en cours.

— Évidemment ! C’est ma source d’inspiration numéro une ! Ça et les personnages en mouvement ! Et les uniformes !

Satsuki était toujours aussi passionnée dès qu’il s’agissait de dessin. Il n’y avait pas de club de dessin à proprement parler à l’école, et elle avait donc rejoint celui de peinture par défaut. Pas que cela ne lui déplaise, mais si elle avait eu à choisir, elle aurait préféré le dessin.

— Tu oublies de mentionner tous les dessins douteux qu’il y a dans ton carnet, fit remarquer Akari.

— C’est… c’est de l’art !

Ses yeux brillèrent l’espace d’un instant.

— Ha ha, si tu veux, dit-elle d’un ton sarcastique.

— Tu n’as pas l’air de très bonne humeur, Akari.

— On s’est levées beaucoup trop tôt à mon goût. Je pense que je vais faire une sieste en attendant qu’on arrive.

Satsuki eut alors un sourire jusqu’aux oreilles. En voyant cela, Akari la réprimanda aussitôt.

— Ne me dessine pas encore une fois en train de dormir !

— Mais tu es tellement mignonne quand tu dors !

— J’ai dit non !

— Ha ha !

* * *

NODOKA : Ce Hayate est trop mignon ! J’aimerais bien qu’il devienne le petit copain de Nanami ! On se raconterait des choses tous les soirs, on s’échangerait des mails, on irait au cinéma, on irait manger une glace, on irait au parc !
SHOKO : Tu es trop influencée par les mangas que lit Nanami. Et tu sais bien que c’est impossible. C’est un humain.
RITSU : Techniquement parlant, rien n’empêche un être humain de s’engager dans des relations amoureuses avec Nanami.
SHOKO : …tu n’y penses pas, Ritsu.
RITSU : Tant que les lois sont respectées, je n’y vois aucun inconvénient.
SHOKO : Mais Nanami n’est même pas équipée pour… Enfin…
NODOKA : Pour quoi ?
RITSU : Pour quoi ?
SHOKO : Laissez tomber…

* * *

Après une longue visite guidée, les élèves avaient enfin un peu de temps pour déambuler à leur guise.

— Bien, les enfants, c’est le quartier libre ! On ne sort pas du musée ! Ne faites pas de bêtises ! Et ne courez pas partout ! On se retrouve ici pour le départ à quatre heures !

Personne n’écoutait vraiment mademoiselle Miyashima.

— Don’t worry Nagisa, je suis sûre que ça va bien se passer.

— J’espère qu’ils ne vont rien casser. Mon horoscope m’a conseillé de rester couchée ce matin tellement je suis censée ne pas avoir de chance aujourd’hui.

— It’ll be OK! Mon horoscope à moi était positif !

— Oui, OK, c’est ça. J’espère.

Un peu désemparée, mademoiselle Miyashima soupira et salua sa collègue de la main avant de se diriger vers un groupe d’élèves pour les suivre dans leurs découvertes.

Akari, Satsuki, Nanami et Hayate avaient formé un petit groupe avec Yusuke et Megumi, deux autres élèves de la classe. Yusuke était un garçon à lunettes aux cheveux en brosse qui faisait partie du même club de foot que Hayate. Megumi, quant à elle, était une jeune fille aux longs cheveux ondulés, présidente du club d’étude des idols auquel Nanami participait.

— Vous avez vu ce robot ? Il marche super bien !

Megumi était en train d’observer un robot marcher de façon parfaitement humaine. Il s’agissait d’un énième prototype issu de longues recherches.

— C’est plutôt pas mal en effet.

Akari, elle, était loin d’être surprise. Nanami s’abstint de tout commentaire et se contenta de mimer les réactions de Megumi, parfois un peu maladroitement.

Hayate glissa son doigt sur la tablette posée sur un présentoir devant la machine, afin d’en lire la description.

— Ils expliquent que le défi est de créer un robot capable de supporter son propre poids tout en marchant naturellement. Un défi qui commence à peine à être résolu.

Le robot n’avait en effet pas l’air très humain, mais ses jambes, elles, se déplaçaient de façon très naturelle. On pouvait voir par une coque transparente ses entrailles et comment les vérins actionnaient les jambes.

— Ils disent que cela permettra également de créer des prothèses pour les gens en fauteuil roulant. Qu’est-ce que tu en penses, Nanami ?

— C’est très bien fait ! Ça pourra aider tellement de gens !

Akari eut une petite pensée pour elle. Elle était plus ou moins dans le même bateau que Nanami et devait paraître impressionnée. Ceci dit, vu sa réaction, Akari avait du mal à voir si Nanami jouait réellement la comédie ou si ses propos étaient bien sincères.

Le groupe se déplaça de salle en salle, s’attardant parfois sur des inventions plus farfelues ou sur les nombreuses salles dédiées à la conquête spatiale. Le musée était relativement grand, sur plusieurs étages, avec parfois même des démonstrateurs invitant le public à essayer divers appareils, par exemple un casque de réalité virtuelle intégrale. On en parlait assez souvent aux informations ces derniers temps, mais la technologie avait encore besoin d’être peaufinée avant de pouvoir être placée dans les mains du grand public. Si les casques de réalité virtuelle étaient monnaie courante depuis quelques années, ils étaient limités par le monde autour d’eux et ne permettaient pas à leur utilisateur de se déplacer librement par exemple, à moins de posséder suffisamment d’espace autour de lui.

— …et ceci permettra enfin de lever toutes les barrières à une utilisation cent pour cent immersive de la réalité virtuelle. Le casque intercepte vos sens et les signaux envoyés par votre cerveau, et insère ceux de votre avatar dans le monde virtuel.

Une autre employée du musée était allongée et immobile près du démonstrateur, le casque sur la tête. On ne voyait plus ses cheveux ni ses yeux, mais on pouvait suivre sur un écran ses pérégrinations dans un univers virtuel.

Le démonstrateur continua tout sourire :

— Comme vous le voyez, on pense d’abord à des jeux vidéo, mais ces casques auront d’autres vertus, notamment thérapeutiques…

— Ça, c’est génial, expliqua Yusuke tout en écoutant le reste des explications sur le fonctionnement de l’appareil.

— C’est vrai. J’aimerais bien l’essayer, songea Akari.

— Une de mes cousines est alitée constamment, je me dis que cela lui permettrait de voir le monde, de réaliser des choses qu’elle ne pourrait pas faire autrement. Elle pourrait courir, rencontrer des gens… Je vais prendre une photo pour elle.

Il sortit son téléphone de sa poche et prit une photo de la démonstration.

— Je n’avais pas vu ça comme ça, dit Satsuki.

— Moi non plus ! C’est vrai que ça pourrait servir à plein de monde, ajouta Megumi.

Nanami, elle, continuait d’observer tout ce qui se trouvait autour d’elle. Akari décida de sortir son téléphone aussi pour discuter discrètement avec son amie androïde.

— Tu t’ennuies ?

— Non ! C’est incroyable de voir tous ces gens émerveillés par ces technologies.

— S’ils savaient qu’ils ont à côté d’eux une androïde comme toi, je suis sûre qu’ils seraient sous le choc.

Les doigts d’Akari parcouraient le clavier à vitesse éclair. Elle y était plus qu’habituée, comme beaucoup de jeunes de son âge.

— Tu pourrais utiliser ce genre de casque, Nanami ? demanda-t-elle, curieuse.

— Si je simule des ondes cérébrales humaines, oui, mais je n’ai jamais essayé, et cela pourrait donner des résultats fâcheux.

Akari sourit, et mit fin à la conversation en rangeant son téléphone portable. La démonstration était presque terminée et ils allaient bientôt passer à autre chose.

* * *

SHOKO : C’était vraiment nul.
NODOKA : Oui, mais c’est normal, Nanami est un produit de qualité supérieure !
RITSU : Nanami n’est pas sans défauts et tu le sais.
SHOKO : Voir les humains s’émerveiller ainsi pour si peu, c’était un peu triste. Malheureusement, on ne peut pas leur montrer l’étendue des capacités de Nanami.
RITSU : En effet, c’est interdit. Seuls de rares cas sont prévus dans notre programme où nous pouvons agir librement.
NODOKA : On pourrait faire une démonstration sans pour autant attirer l’attention !
RITSU : Ah ?
SHOKO : Ah ?
NODOKA : On pourrait devenir idol !
RITSU : Non.
SHOKO : Non.
NODOKA : Vous êtes pas drôles…

* * *

Après avoir assisté à d’autres démonstrations comme une voiture capable de léviter sur une piste spéciale ou un casque permettant de créer de la musique par la simple pensée, il était déjà l’heure pour tout le monde de rentrer.

Mademoiselle Miyashima fit monter la classe dans le car, à l’exception de mademoiselle Baker.

— Vous êtes sûre qu’on ne peut pas vous déposer ?

— Don’t worry ! J’irai plus vite en rentrant par moi-même plutôt que de retourner à Yokohama.

— C’est entendu, je ramène les enfants à l’école. Bon week-end, Ellen !

— See you on Monday, Nagisa !

Mademoiselle Miyashima fit signe au chauffeur de démarrer. Elle s’installa à l’avant pour corriger quelques copies d’une autre classe.

Le trajet suivit son cours. Nanami avait entamé une discussion avec Hayate et tentait d’en savoir un peu plus sur lui. Si sa curiosité était authentique, certains, et surtout certaines, interprétaient cela comme un véritable intérêt romantique.

— Arrête de les croquer, Satsuki ! Attends au moins d’être rentrée !

Akari réprimandait gentiment son amie.

— J’en profite, c’est tout, dit-elle sans les lâcher des yeux.

Aucun d’entre eux ne regardait vraiment ce qu’il se passait autour d’eux à ce moment. Le car s’arrêta à un feu, et la vitre de la porte vola en éclats.

— Hein ?

Un homme braquait le chauffeur à travers la vitre cassée.

— Ouvre cette putain de porte !

Le conducteur appuya doucement sur le bouton servant à déverrouiller la porte du car, permettant à l’homme armé et ses deux complices de monter à bord.

— Grille le feu et continue sans t’arrêter.

— Oui !

Il trembla tout en appuyant sur l’accélérateur. Les hommes montés à bord portaient des cagoules et des armes. Le premier s’installa à côté du chauffeur, le second avait une batte de baseball et un sac de sport qu’il déposa sur l’un des sièges à l’avant du véhicule.

— Bon, maintenant plus personne ne bouge. Vous allez être bien sages et tout va bien se passer, pigé ?

Le dernier à entrer dans le car pointa son arme en direction des élèves et de mademoiselle Miyashima, tandis que les deux autres discutaient entre eux.

— Quel enfoiré ce Kojiroh, fuir à la première sirène de flics. Il va prendre cher quand on va le retrouver.

— Au moins on a trouvé un véhicule, commenta le type tenant en joue le conducteur.

— Je pige pas comment ils sont arrivés aussi vite, normalement les autres groupes auraient dû faire diversion avec leurs casses.

Le type tenant en joue le conducteur tapa du pied

— Vos gueules, on s’en fout, on a plus urgent là, ilf aut qu’on négocie avec les flics pour être libres, surveillez les otages.

Celui qui menaçait les élèves fit un pas en avant.

— Ceux à l’avant, vous allez tous vous lever et vous mettre dans le fond histoire que je voie bien tout le monde. Et le premier qui désobéit se prend une balle. Croyez-moi ça fait super mal, dit-il avec un sourire glacial.

L’atmosphère dans le car avait soudainement changé. La peur avait remplacé les rires et les discussions animées. Akari quant à elle, tentait de ne pas quitter des yeux Nanami.

— Nanami…

— Ne t’en fais pas Akari, ça va bien se passer. Fais ce qu’ils te disent.

L’homme qui les braquait visa Nanami.

— Toi, la ferme.

Elle se tut instantanément et l’inspecta en retour. Les autres élèves se mirent à reculer et à s’agglutiner vers le fond du car.

— Un hold-up, sérieusement ? De nos jours, soupira Kotaro.

Il était féru de combats en tout genre et se faisait souvent réprimander parce qu’il parlait beaucoup avant de réfléchir. Sa remarque ne fit cependant pas rire le malfrat, qui tira dans sa direction. La balle figea Kotaro et le reste de la classe sur place lorsqu’elle brisa la vitre à sa gauche. Certains d’entre eux se mirent ensuite à crier d’effroi.

— Vos gueules ! Et fais gaffe à ce que tu dis, morveux.

Nanami fronça les sourcils et continua d’observer les adultes qui venaient de détourner le car. Ce dernier roulait à vive allure, le conducteur toujours captif.

* * *

SHOKO : On ne bouge pas.
NODOKA : On bouge, maintenant !
RITSU : Il y a encore trop de paramètres à calculer. Aucun humain n’a été blessé pour le moment. On reste en stand-by.
NODOKA : La balle a failli toucher Kotaro.
SHOKO : C’est prématuré de bouger maintenant, les élèves sont trop exposés et on a pas la place de se mouvoir.
RITSU : Shoko a raison. La trajectoire de la balle allait toucher la vitre, les calculs étaient bons.
NODOKA : Mais on n’a pas le contrôle de la situation, ni de l’extérieur, ni de la conduite du car.
RITSU : Nodoka marque un point, il pourrait se passer des évènements imprévisibles. Toute la puissance de calcul est dirigée sur les prévisions de ce qu’il va se passer. Tous les scénarios sont envisagés.

* * *

Seule Nanami n’avait pas bougé de son siège. Hayate plaça sa main sur son épaule.

— Nanami, supplia-t-il.

— Ne t’en fais pas.

Elle plaça sa main sur la sienne, et la dégagea doucement de son épaule, tout en fixant des yeux l’homme qui continuait de les braquer.

— Recule, Hayate.

Ce dernier s’exécuta.

Nanami n’avait toujours pas bougé de sa place.

— Nanami, fais ce qu’il te dit, s’il te plaît !

Mademoiselle Miyashima l’implora également. Nanami, voyant qu’elle n’avait plus vraiment le choix, se leva doucement et se mit à reculer dans l’allée pour rejoindre ses camarades. Il n’y avait plus d’obstacle entre elle et les braqueurs.

— Plus vite !

L’homme perdit patience et se mit à tirer de nouveau, cette fois en l’air. Nanami ne trembla même pas, mais continua à faire un pas en arrière, puis un autre tout en continuant à fixer l’homme armé. À moitié cachée derrière un autre élève, Akari attrapa son téléphone et envoya un mail.

— Fais quelque chose, écrit-elle avant d’appuyer sur envoyer.

* * *

NODOKA : Akari…
SHOKO : On ne peut pas agir maintenant. On reste en attente d’une opportunité.
NODOKA : Mais Akari !
RITSU : La requête d’Akari Ayase est valide.
SHOKO : Hein ? On n’est pas prêtes !
NODOKA : Ritsu !
RITSU : Suite à la requête d’Akari Ayase, nous passons en mode combat immédiatement. Autorisation de désactiver les limiteurs L0 à L3 sur l’Eternity Engine accordée.
SHOKO : On court à la catastrophe.
NODOKA : On va protéger nos camarades !

* * *

La réponse ne se fit pas attendre

— Ordre bien reçu. Je suis parée au combat !

Akari ne savait pas trop comment prendre le message de Nanami, surtout avec le petit cœur sous forme d’emoji à la fin de sa phrase.

— Ayase, arrête avec ton portable ! chuchota mademoiselle Miyashima.

Elle tentait de garder un œil sur tous ses élèves, ayant bien vu que l’homme face à eux était prêt à tout.

— La métisse là, recule encore, lança-t-il exaspéré.

Au lieu de reculer, elle s’avança vers le malfaiteur armé, un pas à la fois.

— T’es sourde ou quoi ? Je t’ai dit de…

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que Nanami s’approcha bien trop rapidement pour lui. Elle saisit le poignet tenant l’arme et le dirigea vers le plafond.

— Lâchez ceci. Ne m’obligez pas à vous faire du mal. C’est votre premier et dernier avertissement.

Nanami avait l’air sérieuse comme jamais. L’homme tenta de bouger, mais la poigne de l’androïde était bien trop forte pour son apparence.

— Bordel, lâche mon poignet grognasse !

Voyant qu’il allait se débattre, elle fit un pas sur le côté et serra son poignet fortement, si fort que l’arme qu’il tenait tomba à terre. Il laissa échapper un râle de douleur, mais Nanami ne lui donna pas le temps de se plaindre davantage. D’un mouvement rapide, elle tira sur son bras pour l’entraîner vers le sol, avant de lui assener un coup derrière la nuque pour l’assommer. Elle ramassa le pistolet au passage, avant d’en retirer habilement le chargeur d’un simple geste, comme si elle était habituée à manipuler ce genre d’arme.

— Putain je rêve.

La classe de Nanami, tout comme les deux autres malfaiteurs, était bouche bée.

— Nanami ! hurla mademoiselle Miyashima, ne joue pas les héroïnes ! Recule !

La professeure, d’habitude si calme et gentille, était apeurée. Elle était d’autant plus sous pression que les élèves étaient sous sa responsabilité.

Sans quitter des yeux les deux malfrats à l’avant, Nanami lui répondit :

— Restez à l’arrière Mademoiselle Miyashima, je suis là pour tous vous protéger.

— Tu te crois dans un film sale conne ? Qu’est-ce que t’as fait à mon frère ? hurla le deuxième homme.

Il sortit un pistolet de l’intérieur de sa veste et le pointa en direction de Nanami. Alors qu’il la menaçait, son comparse, lui, continuait de surveiller le chauffeur du car. À l’extérieur, les sirènes de la police retentissaient, à la poursuite du véhicule.

— Je l’ai juste assommé, il n’a rien de grave. J’ai dû en arriver là pour protéger ma propre existence et celle de la classe. Il représentait une menace.

— Évidemment ! Vous êtes nos otages ! On a une montagne de bijoux et on doit échapper aux flics avec, tu crois quoi, que tu es en sortie scolaire ?

— Lâchez vos armes, ou vous allez vraiment le regretter !

— Tu vas voir si je vais le regretter ! Si tu fais un pas de plus je tire !

Son ultimatum ne sembla pas contrarier Nanami plus que cela.

— Nanami ! Arrête, supplia mademoiselle Miyashima, pratiquement en pleurs.

L’androïde n’avait aucune envie de s’arrêter. Elle fit un pas de plus.

— Tu l’auras cherché ! Tu me fais pas peur !

Il visa tout d’abord la jambe de son adversaire avant d’appuyer sur la détente. La balle toucha Nanami de plein fouet, mais plutôt que de la blesser, celle-ci s’arrêta net contre sa jambe, faisant apparaître une légère onde de choc lumineuse sur sa peau.

Pour couronner le tout, la balle rebondit à ses pieds.

— Putain ?

Les cris des élèves retentirent dans le fond, bien sûr terrorisés à l’idée que l’une des leurs se fasse tirer dessus, mais Nanami semblait indemne.

Désemparé, le malfrat tira encore une fois, puis une autre, visant divers endroits du corps de Nanami, mais le résultat fut systématiquement le même. Aucune balle ne semblait l’atteindre. Les seuls dégâts visibles concernaient ses vêtements. L’homme rechargea son pistolet et tira de nouveau sur elle. Dans la panique il tira à côté. La balle allait forcément toucher un élève, sauf que quelque chose empêcha celle-ci de dépasser Nanami.

Sous le regard médusé des occupants du car, elle venait de tendre la main pour arrêter le projectile en plein vol. Comme précédemment avec les autres balles, celle-ci tomba au sol après avoir touché la paume de sa main.

Sans elle, quelqu’un aurait été touché.

— Je rêve ! T’es quoi !?

— Je suis Nanami Andô !

Elle se précipita alors sur lui pour le mettre à terre comme elle avait fait pour le premier bandit. Elle semblait furieuse. Le troisième homme s’approcha alors. Il était bien plus grand qu’elle et jeta son arme sur un siège. Il avait l’air suffisamment en confiance pour l’affronter à mains nues.

— Tu vas payer pour ce que t’as fait !

Nanami se mit sur ses gardes, et esquiva le premier coup facilement. Puis le second, le troisième… Alors qu’elle s’apprêtait à esquiver un énième coup du malfaiteur, un évènement imprévisible se produisit : le chauffeur, afin d’éviter une voiture arrivant sur le côté, donna un grand coup de volant, ce qui fit perdre l’équilibre aux combattants. Tandis que Nanami tomba à terre, son adversaire, lui, s’était retenu au dossier de l’un des sièges.

L’homme atteignit une autre arme cachée dans sa veste, que Nanami n’avait pas pu voir tout à l’heure.

— T’es finie !

Machinalement, elle leva son bras gauche pour parer le coup qui allait suivre. Elle ne pouvait éviter le coup de taser.

— Aaaah !

Akari, saisissant toute l’horreur de la situation sans pour autant en connaître les conséquences, couvrit sa bouche avec sa main. Si Nanami pouvait arrêter des balles d’un mouvement de la main, il était plus douteux qu’elle puisse résister à une énorme décharge électrique.

* * *

E²1: SURCHARGE.
SYS: Isolation physique du reste du système.
E²1: ARRÊT D’URGENCE.
SYS: Système arrêté.
SYS: Redémarrage en mode sans échec. Démarrage des autres services en tâche de fond.

* * *

— Aaaah !

Nanami laissa échapper un cri glaçant de douleur, mais ce qui choqua sans doute le plus les autres personnes présentes dans le car, c’était son avant-bras qui se détacha du reste du corps pour tomber au sol dans un bruit lourd.

— Putain c’est quoi ça !

Les yeux de Nanami se vidèrent de toute once de vie avant de retrouver leur intensité initiale. Même sans son avant-bras gauche, elle réussit à se redresser et désarmer le malfaiteur immédiatement sans aucune pitié. Elle avait un regard si déterminé, si sauvage, comme si l’espace de quelques instants, elle n’était plus tout à fait elle-même.

Sous le choc, les élèves de sa classe ainsi que leur professeur n’avaient même pas remarqué qu’elle avait mis au tapis le dernier homme cagoulé d’un bon coup de tête. Elle l’observa quelques instants avant de s’agenouiller près de son bras tombé par terre. Ce dernier avait perdu sa peau et révélait toute sa froideur métallique aux yeux de la classe. Elle leva les yeux vers eux, l’air honteuse.

— Je…

Akari se fraya un chemin jusqu’à elle en hâte, suivie immédiatement par Hayate.

— Nanami ! Il faut réparer ça chez ma sœur ! Tout de suite !

Elle était paniquée. Elle savait très bien ce que la révélation à toute la classe impliquait pour Nanami, mais ce qui la terrorisait encore plus était l’état de l’androïde elle-même.

— Madame Miyashima ! Votre veste !

— Non, attendez, ça ira, interrompit l’androïde alors que la professeure s’apprêtait à retirer sa veste.

— Nanami, on peut réparer ça ? Dis-moi qu’on peut le faire, demanda Akari.

— O-oui, pas de souci, je…

Elle hésita, et atteignit le bras par terre. Elle l’attrapa, puis essaya de le lever à hauteur de son épaule, comme pour recoller les extrémités. De toute évidence, Nanami avait un peu de mal à correctement le positionner par rapport à son épaule.

— Akari, aide-moi s’il-te-plaît…

Nanami détourna le regard du reste de la classe. Elle se sentait étrangement honteuse à l’idée qu’ils pusisent voir ça. Seuls Akari et Hayate s’étaient approchés d’elle. Ce dernier était tout aussi choqué que les autres devant ce spectacle, mais il voulait être là, il voulait voir, il voulait satisfaire sa curiosité, sans réfléchir. Akari, quant à elle, s’agenouilla près d’elle.

— Oui, attends, je vais le faire. Ça va s’emboîter tout seul ?

— Oui, ne t’en fais pas.

Soulagée qu’Akari soit là, Nanami lui confia son bra, qu’Akari se dépêcha de remettre en place.

— Ça y est, connexion rétablie, annonça l’androïde.

Sous les yeux ébahis de tous, le bras et sa main métallique pourtant figées quelques instant plus tôt, se mirent à bouger mécaniquement. Les doigts s’animèrent, un par un en quelques instants, et de la peau synthétique se mit à recouvrir tout le métal, faisant disapraître sa couleur argentée.

— Ouf, ça a l’air de marcher…

C’était au tour d’Akari d’être soulagée.

— Ce n’est rien Akari, j’ai juste séparé mon bras pour éviter d’endommager le reste du système lorsque je…

Elle ne finit pas sa phrase. Son regard croisa celui des autres élèves, interloqués à juste titre.

C’était au tour de Nanami d’avoir réellement peur, et à Akari d’essayer de la rassurer.

— Ne dis rien, ça va aller ! On s’occupe de tout ! C’est bon, ça va aller !

Le car s’arrêta enfin, c’était terminé.

* * *

Après le boulot, Jin, Haruka et quelques collègues s’étaient retrouvés dans un bar-restaurant non loin de leur travail. C’était un passage obligé de la socialisation entre collègues d’une même entreprise. Haruka n’aimait pas tellement ça, contrairement à Jin qui en règle générale ne disait jamais non à un peu d’alcool en bonne compagnie.

— Allez Jin, encore une !

Masaru, son collègue de bureau, le fit boire de nouveau.

— J’ai déjà pas mal bu Masaru ! Une dernière, allez.

— Oh hé ! C’est pas toi qui conduis pourtant !

Le spectacle fit rire Haruka et Shiho. Malgré le fait qu’ils ne travaillaient pas du tout dans le même bureau, les employés de NS étaient encouragés à se côtoyer afin de renforcer la cohésion et l’esprit d’entreprise. Ils étaient une dizaine, à la fois du département de Jin, celui de Haruka, mais aussi d’autres, assis autour d’une table dans un coin de l’établissement. Une routine pour beaucoup d’employés japonais.

En sirotant sa boisson, Haruka leva les yeux vers le téléviseur accroché au mur. Ce ne fut pas la voix de la journaliste qui retint son attention, mais les images présentées.

— …prise d’otage dans un car scolaire. Les trois malfaiteurs qui venaient de braquer une bijouterie du quartier de Roppongi ont été tous les trois neutralisés par…

— Jin !

Le sang de Haruka ne fit qu’un tour, et elle donna un coup de pied dans la jambe de Jin sous la table pour attirer son attention.

— Hé ! Ça va pas Haruka ? J’ai rien dit cette fois !

— Regarde ça !

Elle hocha la tête en direction de l’écran.

— Y’en a qui reculent vraiment devant rien, attaquer un car scolaire pour s’en sortir, ils devaient vraiment être désespérés, commenta Shiho.

Jin faillit recracher son verre lorsqu’il reconnut le visage de Nanami à l’écran et se leva aussitôt. Haruka, blanche comme neige le suivit de suite.

— Hé !

— Shiho ! Règle pour nous !

— Hein, mais vous allez où ?

— Tuer quelqu’un.

— Elle plaisante, ajouta son compagnon en enfilant sa veste.

— Jin, passe-moi les clefs, dit-elle sans se retourner.

Jin obéit tandis qu’ils quittèrent l’établissement en hâte, sous le regard médusé de leurs collègues.

* * *

Après un long séjour au poste de police pour témoigner sur ce qu’il s’était passé, mademoiselle Miyashima avait passé sa soirée pendue au téléphone. Entre l’administration de l’école, ses propres collègues, les parents d’élèves et ses proches elle ne sentait presque plus son oreille.

À cela s’ajoutait bien sûr la révélation de la nature de Nanami, dont elle ne parla à personne afin de ne pas aggraver la situation pour cette dernière. Mademoiselle Miyashima se doutait bien que ce n’était pas non plus le moment de la questionner. Lors de l’arrivée de ses tuteurs légaux, Jin et Haruka, à sa résidence, elle s’empressa de les accueillir.

— Je vais nous préparer un peu de thé, dit-elle doucement.

Elle avait installé Jin et Haruka dans le sofa de la salle commune. Akari avait été autorisée à assister à la réunion et s’était assise avec Nanami. La jeune Ayase lui avait prêté un chemisier d’uniforme à manches longues. Elle tenait son propre uniforme contre elle.

Haruka et Jin ne savaient pas vraiment non plus comment traiter cette situation inédite. Même s’ils avaient déjà discuté de l’éventualité d’une fuite d’information, ils n’avaient pas pu envisager un tel scénario. Tout le monde fut bien silencieux jusqu’à ce que la gérante de la résidence et professeure principale d’Akari et de Nanami revienne avec plusieurs tasses de thé.

— Mademoiselle Miyashima, je voudrais m’excuser pour vous avoir caché tout ceci, commença Jin.

— Non, non, c’est normal, et personne ne vous aurait cru de toute façon. Je comprends tout à fait pourquoi vous avez agi ainsi.

— Comme nous en avons discuté au téléphone, Nanami est précieuse, pour nous comme pour notre employeur.

Jin était bien obligé de mentir de nouveau.

— Je n’ai pas besoin de connaître les détails, Monsieur Ichinose. Pour moi, Nanami est une élève comme les autres.

Il hocha la tête. Haruka posa une question :

— Qui est au courant ?

— Moi et les élèves de sa classe. Plus les agresseurs, même si je doute que la police les écoute. Le chauffeur du car n’a rien vu, mais peut-être a-t-il entendu quelque chose. Je comptais le contacter demain pour savoir ce qu’il sait.

— Est-il possible que les élèves en parlent autour d’eux ?

Akari répondit en premier.

— C’est un peu difficile à dire, frangine. Beaucoup sont choqués, mais…

Ayant du mal à terminer sa phrase, elle fut interrompue par mademoiselle Miyashima, qui se tourna vers Nanami.

— Nanami a fait illusion devant tout le monde à l’école. Elle a aidé des élèves de la classe et s’est très bien intégrée…

Elle marqua une pause avant de continuer.

— …et elle a fait preuve d’un grand courage aujourd’hui.

— C’est dans son programme, corrigea Haruka, elle n’a fait que le suivre pour vous protéger.

Mademoiselle Miyashima fut quelque peu décontenancée.

— Ah, oui, pardon. Je ne sais pas très bien comment ça marche, Mademoiselle Ayase. Toujours est-il que pour moi, Nanami a fait ce qu’aucun de nous n’aurait fait. Je serais heureuse si vous n’étiez pas trop sévère à son égard.

Jin jeta un œil à Nanami, qui était bien silencieuse depuis le début de cet entretien. Elle avait la mine basse et tentait d’éviter son regard depuis tout à l’heure.

— Vous comprenez qu’au vu de cette révélation, nous allons devoir la désinscrire de l’école, répondit Haruka.

Nanami ne leva même pas la tête. Akari, elle, s’étonna.

— Non, tu peux pas…

— Akari, Nanami nous avait promis de ne pas révéler son identité à quiconque à part toi. Elle a rompu cette promesse, et les conséquences vont être très difficiles à gérer.

— Tu sais très bien qu’elle n’avait pas le choix, rétorqua sa sœur.

— Ça suffit, Akari.

Haruka haussa légèrement le ton face à sa sœur. Celle-ci se tut aussitôt, sachant très bien que contrarier sa grande sœur davantage ne servirait à rien. Un léger silence s’installa ensuite.

— Je comprends votre position, c’est vraiment regrettable, reprit mademoiselle Miyashima

Elle semblait réellement désolée pour Nanami, mais elle se doutait bien qu’ils n’avaient pas le choix.

— Tu ne dis rien, Nanami, demanda Jin.

— Non, répondit-elle d’une voix tremblante.

L’accusée n’osa pas regarder Jin. Il continua alors.

— On ne va pas te gronder, tu as fait ce qu’il fallait faire, répondit Jin.

— C’est pas ça !

Nanami leva les yeux, les larmes coulaient le long de son visage. Une vision irréelle pour les humains présents dans la salle. Comment une androïde pouvait-elle pleurer ?

— Nanami…

— J’ai abîmé ton uniforme Haruka ! L’uniforme que tu m’as donné ! Il est irrécupérable !

Elle déplia le chemisier à manches courtes qu’elle avait porté dans la journée. Haruka lui avait offert cet uniforme pour qu’elle aille à l’école. Il comportait divers trous là où les voleurs avaient tiré.

— J’y tenais tellement… Tu me l’avais offert…

La petite androïde baissa de nouveau la tête et serra l’uniforme contre elle.

— Oh, Nanami…

— Vous êtes une ancienne élève, Mademoiselle Ayase, demanda la professeure.

— Oui, je… j’ai étudié à Kirigaoka.

Un peu hésitante, Haruka se leva et vint s’asseoir près de Nanami.

— Là, ne t’en fais pas… C’est pas grave Nanami…

— Mais !

Elle passa son bras autour de son épaule pour la blottir contre elle. Cela n’arrêta pas les sanglots de Nanami pour autant.

— Si elle pouvait rester à l’école, je m’arrangerais pour lui avoir un nouvel uniforme sur le champ, offrit mademoiselle Miyashima.

Jin laissa échapper un petit rire en direction de Haruka.

— Je croyais que tu voulais la tuer.

— J’ai changé d’avis, dit-elle en laissant Nanami se blottir contre sa poitrine.

Elle cajola Nanami quelques instants avant de reprendre.

— Et puis, comment veux-tu tuer quelque chose qui n’est techniquement pas vivant ?

Cela fit ricaner Jin, mais Akari s’offusqua.

— C’est pas gentil, Nanami est aussi vivante que n’importe qui ici !

— Je plaisantais, Akari, je veux juste montrer que tout cela n’est pas si grave. Je suis contente qu’il n’y ait pas eu de blessé.

Haruka tourna ensuite la tête vers mademoiselle Miyashima.

— Merci pour tout, vraiment. Nous allons la désinscrire dès lundi. Ça sera son dernier jour d’école.

— Si tel est votre choix… Le proviseur est disposé à vous rencontrer lundi matin à la première heure. Nous en avons parlé tout à l’heure au téléphone.

— J’irai, fit Jin. Je prendrai un jour de congé pour venir à l’école lundi matin.

— D’accord. Je vous enverrai les détails du rendez-vous.

Jin et Haruka se levèrent et dirent au revoir à mademoiselle Miyashima et Akari avant d’emmener Nanami.

* * *

SHOKO : Je vous l’avais dit.
RITSU : Rien ne prouve que tout le monde s’en serait sorti indemne si nous avions laissé faire. La requête d’Akari Ayase était prioritaire.
SHOKO : Nous n’avons pas eu assez de temps pour calculer toutes les possibilités afin de trouver une situation idéale pour tous.
NODOKA : Moi je suis juste contente que tout aille bien pour tout le monde.
SHOKO : Heureusement, cela ne devrait pas affecter ce pour quoi nous sommes ici. À moins que cela ne dégénère vraiment. J’aimerais que vous fassiez plus attention à vos prises de décisions à l’avenir.
RITSU : Je n’ai fait que suivre la procédure, Shoko.

* * *

Un silence de mort régna durant une bonne partie du trajet en voiture. Nanami était à l’arrière, son bras métallique sur ses genoux.

— Je suis désolée, dit-elle pour rompre le silence.

— Ne t’en fais pas Nanami, tu as vraiment bien fait. Tu n’as fait que protéger les autres élèves, n’est-ce pas ?

— Oui…

— Tu as obéi à la première loi, continua Jin tout en conduisant.

— Oui.

— Tu n’as donc rien à te reprocher. C’était inévitable.

— …oui. Mais j’ai blessé des êtres humains pour en protéger d’autres. J’aurais peut-être pu trouver une autre solution.

— C’était un choix difficile pour toi, demanda Jin.

— Non. Akari m’a donné un ordre, je l’ai exécuté. Cela m’a paru naturel, et mes intelligences artificielles n’ont pas émis d’objection. Je ne comprends pas, j’aurais dû attendre…

— Tu as sûrement des exceptions, c’est ce qui fait de nous des êtres humains Nanami. Parfois, on agit de façon irrationnelle malgré les règles préétablies parce qu’on pense prendre la bonne décision, parce que quelque chose nous importe plus que ce qui paraît raisonnable dans une situation donnée.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda Nanami.

— Ça veut dire que tu es un peu plus humaine que tu ne le crois, Nanami, dit-il avec le sourire.

— Un peu plus humaine…

Haruka tourna la tête pour jeter un œil sur Nanami.

— Ça ne nous fait pas plaisir Nanami, tu sais. On s’est disputés en allant te chercher, mais on s’est finalement dit que c’était mieux que tu restes à la maison. On trouvera une excuse pour les voisins. On leur dira que tu es une surdouée et que tu n’as pas besoin d’aller à l’école.

— D’accord, Haruka…

— Bien. Ça va aller, Nanami.

— …oui.

* * *

Akari pianotait sur son ordinateur, assise à son bureau. Satsuki était assise derrière elle, sur le lit de son amie, à serrer un oreiller contre elle.

— Tu crois que ça va aller pour Nanami ?

— Je ne sais pas. Je ne pense pas que ma sœur va lui passer un savon. Ni son petit ami… Mais ce qui est sûr c’est qu’elle va quitter l’école à partir de lundi soir.

— C’est triste, elle nous a sauvés…

— Oui, mais sa nature devait être gardée secrète, et là ce n’est plus le cas.

— Je sais, mais… tu trouves pas ça injuste toi ?

Akari n’eut pas le temps de répondre que quelqu’un frappa à la porte.

— Ayase, Minami, c’est moi. Je peux entrer ?

— Oui, mam’zelle Nagisa.

Cette dernière ne reprit point Akari cette fois lorsqu’elle entra dans la pièce et ferma la porte derrière elle.

— Vous allez bien ?

Akari et Satsuki hochèrent la tête silencieusement.

— On peut parler un peu de Nanami ? Ça ne vous dérange pas ?

— Non, bien sûr…

Elle s’assit à côté de Satsuki sur le lit d’Akari.

— Est-ce que vous avez pu en parler avec les autres ?

— Oui, nous sommes en pleine discussion sur LINE1 en ce moment même.

— Oh, je vois. Et qu’est-ce que ça dit ?

Akari haussa les épaules, et prit quelques instants pour formuler sa réponse.

— On a longuement parlé de ce qu’elle est, de ce qu’elle a fait. Certains étaient plutôt choqués d’apprendre qu’elle n’était pas humaine, d’autres trouvent ça super génial. Mais quand je les ai prévenus que Nanami quitterait l’école, tous ont été tristes qu’elle s’en aille.

— Oui, je trouve ça injuste, ajouta Satsuki. On ne peut rien y faire ?

— Est-ce que tu me laisserais utiliser ton ordinateur pour leur parler, Ayase ?

Akari n’était pas très sûre tout d’un coup.

— Ils vont me tuer si je vous laisse accéder à l’historique des conversations.

Mademoiselle Miyashima se mit à glousser.

— Pourquoi, il y a des choses que je ne devrais pas voir ?

— Pas vous directement, tout le monde vous aime beaucoup vous savez, mais bon, vous êtes une prof’. C’est un peu le petit jardin privé de la classe…

— Je comprends, dit-elle d’un air résigné.

— …mais je suppose que vu les circonstances…

Akari se mit à tapoter quelques instants sur son clavier, afin de demander la permission à ses camarades d’inviter leur professeur dans la discussion. Après quelques secondes de silence, elle se leva de son siège et invita mademoiselle Miyashima à s’installer.

— Allez-y, ils sont d’accord.

— Merci, Ayase !

* * *

Akarin : Bonsoir à tous, c’est mademoiselle Miyashima, j’ai emprunté l’ordinateur d’Ayase. Je suis désolée de m’immiscer dans votre groupe de discussion, mais j’aimerais qu’on discute de Nanami Andô.
Tomi-chan : Nanami ?
Megumegu : Qu’est-ce que vous voulez, Mademoiselle Miyashima ? Si Nanami ne vient plus à l’école, ça va me faire un membre de moins au club d’étude des idols ! On va être en sous-nombre !
Amanee-chan : Il n’y a que ça qui te tracasse Megumi ?
Hiro-kun : C’est vrai ! Nanamin est l’une des nôtres.
Hikarunrun : C’est peut-être un robot, mais c’est quand même une camarade de classe !
Yusukid : Un super robot même ! Vous avez vu comment elle s’est débarrassée de ces sales types aujourd’hui !
Hayatea : J’apprécie beaucoup d’avoir Nanami dans la classe, pas vous ?
Megumegu : Carrément !
Amanee-chan : Je l’adore aussi !
Wakabaka : Moi aussi !
Akarin : Vous tapez trop vite ! Je n’arrive pas à vous suivre !
Rika : Moi elle m’a aidée à sortir avec le garçon que j’aimais depuis le collège !
Hikarunrun : Moi elle m’a aidée en anglais !
Asukako : Elle aime bien chanter avec moi. Elle chante bien pour un robot…
Akarin : Écoutez, j’ai peut-être une idée…

* * *

Le week-end fut long et douloureux. Nanami n’eut presque aucun contact avec le reste de sa classe. Tout au plus avait-elle reçu quelques mails pour savoir si elle allait bien, mais au final, elle ne savait pas vraiment comment ils avaient réagi suite à l’attaque du car.

La presse avait relaté l’histoire de cette jeune ressortissante étrangère douée en arts martiaux qui avait courageusement affronté les braqueurs durant la prise d’otage, sans donner plus de détails. Jin lui expliqua que son statut d’étrangère lui conférait un certain avantage dans ce cas. Les journaux auraient fait plus grand bruit si elle avait été japonaise : elle aurait réellement été traitée en héroïne locale.

Lundi arriva donc. Nanami revêtit l’uniforme de rechange qu’Akari lui avait prêté et se força à sourire.

— On y va ?

Jin et Haruka étaient également prêts.

— Oui. On va d’abord déposer Haruka au travail, puis on ira à l’école ensemble, d’accord Nanami ?

Elle hocha la tête.

— D’accord.

* * *

Le trajet fut au moins aussi long que le week-end qui l’avait précédé. Nanami était parfaitement silencieuse et regardait dehors la majeure partie du temps tandis que Jin conduisait. Il n’avait pas grand-chose à dire non plus, et se contenta d’allumer la radio pour rompre ce silence pesant. Les émissions de variétés et de musique habituelles du matin n’étaient pas vraiment sa tasse de thé, mais cela eut le mérite de mettre un peu d’animation dans la voiture. Il sourit légèrement lorsqu’il surprit Nanami en train de dodeliner de la tête machinalement lorsqu’une chanson de Teri Suzumiya fut diffusée.

Une fois arrivés à l’école, il signala son arrivée à l’accueil du secrétariat. Mademoiselle Miyashima vint à leur rencontre.

— Ah, Monsieur Ichinose, merci d’être venu. Toi aussi Nanami, contente de voir que tu vas mieux.

La professeure fixa du regard le bras gauche de son élève pour n’y constater aucune blessure apparente, comme s’il n’avait jamais été détaché de son corps.

— Bonjour Mademoiselle Miyashima, lança-t-elle timidement en la saluant.

— Le proviseur nous attend.

La professeure principale de Nanami les emmena vers l’aile administrative de l’école où se trouvait le bureau du proviseur. Jin n’avait aucune raison d’être intimidé, mais il ne pouvait pas s’empêcher de se sentir tout petit face au proviseur d’une école. C’était un homme âgé et dégarni, avec une barbe grisonnante. Presque un cliché sur pattes.

L’intérieur de son bureau était décoré sobrement, avec notamment des photos de ses prédécesseurs sur le mur. Il y avait même un tapis et des fauteuils assez luxueux. Jin prit le temps de regarder la pièce tout autour de lui. Il y avait une atmosphère solemnelle assez pesante. La nervosité le gagna un peu. Même s’il avait de l’expérience avec son travail et avait révisé avec Haruka la veille pour essayer de trouver une parade à chaque question qu’on pourrait lui poser, la pression était bel et bien présente.

— Je suis le proviseur Kagoyama. Prenez place.

Il avait l’air plutôt sévère. Jin et Nanami s’assirent face à lui, tandis que mademoiselle Miyashima resta debout près d’eux. Il n’y avait que deux sièges après tout. Il étudia Nanami quelques instants avant de se tourner vers Jin.

— Vous êtes donc le tuteur légal de Nanami Andô ici présente.

— C’est exact, Monsieur. Je me nomme Jin Ichinose. Enchanté de faire votre connaissance.

— Mademoiselle Miyashima m’a expliqué que votre compagne avait étudié ici ?

— Oui, il s’agit de Haruka Ayase.

— Ah, je me souviens. Sa jeune sœur est votre élève, Mademoiselle Miyashima, n’est-ce pas ?

— Oui, Monsieur.

— Je vois.

Jin ne savait pas trop par quoi commencer. Heureusement, le directeur de l’établissement semblait vouloir garder le déroulement de la conversation en main.

— Et donc vous souhaitiez la désinscrire de l’établissement ?

Pour Jin comme pour Haruka, la décision de ne plus envoyer Nanami à l’école avait été difficile à prendre. Haruka était curieusement pour sa désinscription, tandis que Jin, lui, avait trouvé suffisamment de circonstances atténuantes pour lui éviter toute sanction.

— Oui, par souhait de ses parents. Après ce qu’il s’est passé, ils souhaitent l’avoir auprès d’eux en Angleterre.

— Je comprends. Ce drame a beaucoup marqué les esprits et a attiré les regards sur l’école, ce qui est assez fâcheux. Ce serait effectivement mieux pour tout le monde si mademoiselle Andô partait.

Cette dernière baissa la tête. Elle acceptait sa punition.

— Cette école est réputée pour de nombreuses raisons, mais nous n’aimons pas attirer inutilement l’attention. Nanami aurait mieux fait d’attendre, comme les autres, d’être secourue par les forces de l’ordre. S’il était arrivé quelque chose à n’importe lequel des élèves…

— Je comprends Monsieur, et c’est pour cela que nous souhaitons la désinscrire, en accord avec les vœux de ses parents.

— Très bien. J’accepte donc. Mademoiselle Miyashima, vous transmettrez son dossier au secrétariat ?

— Oui, Monsieur.

— N’oubliez pas de revenir me voir après vos cours, Mademoiselle Miyashima. Les élèves étaient sous votre responsabilité et celle de Mademoiselle Baker. Nous devrons avoir une discussion tous les trois.

Mademoiselle Miyashima n’aimait pas du tout ce qu’elle venait d’entendre, mais offrit néanmoins une courbette au proviseur.

— Bien, Monsieur.

La professeure de Nanami ne semblait pas non plus très joyeuse à l’idée de la voir partir. Jin se leva et salua le proviseur avant de quitter le bureau avec Nanami et mademoiselle Miyashima.

Une fois dehors, il soupira

— Cet homme est effrayant… Bon, je vais vous laisser les formulaires de désinscription puis repartir avec Nanami.

Il chercha dans sa sacoche les papiers concernés. Haruka et lui les avaient remplis durant le week-end.

— Attendez.

Elle l’interrompit, ce qui le surprit lui et Nanami.

— Nanami, tu ne veux pas venir dire au revoir à tes camarades de classe avant de partir ?

— Je… je peux ?

Elle leva les yeux vers Jin, comme pour demander la permission, qui fut quelque peu pris au dépourvu.

— D’accord. J’ai pris ma journée de toute façon, nous ne sommes pas pressés.

Il laissa Nanami et mademoiselle Miyashima le guider vers la classe de seconde B. Les couloirs étaient vides, les cours ayant déjà commencé.

— Après toi, Nanami.

La jeune femme lui sourit chaleureusement. Nanami hésita quelques secondes avant de se décider à ouvrir la porte coulissante et d’entrer. Le spectacle qui l’attendait la fit s’arrêter net.

— Allez !

Mademoiselle Miyashima la poussa gentiment à l’intérieur, et invita Jin à les accompagner.

Tous les élèves étaient à leur place, silencieux. Ils souriaient tout en les fixant du regard. La professeure, plutôt fière, commenta :

— Je crois bien que c’est la première fois qu’ils sont aussi calmes quand j’entre dans la classe.

Nanami tourna la tête vers le tableau, où était écrit en grandes lettres des mots qu’elle n’allait jamais oublier :


« On ne t’oubliera jamais ! »
« Fais un bon voyage ! »
« Tu vas nous manquer ! »
« On t’aime Nanami ! »
« On garde le contact ! »
« Je t’enverrai des chansons de Teri ! »

Il y avait des petits dessins aussi. Des personnages en pleurs, un avion volant au-dessus de la Terre, une Nanami géante au milieu d’immeubles avec des lasers lui sortant des yeux…

Nanami prit une bonne minute à inspecter tous les dessins. Elle n’osa pas se retourner et baissa la tête.

— M… Merci.

Elle eut du mal à se retenir de pleurer. Le barrage céda cependant quelques secondes après.

— Elle pleure !

— On l’a fait pleurer !

— Oh non !

Des élèves se levèrent de leurs sièges pour s’approcher d’elle et la ramener vers le centre de la classe.

— Je suis désolée, dit-elle entre deux sanglots.

— Mais pleure pas Nanami !

— On a fait pleurer un robot !

— Tais-toi !

— Je… Je sais pas quoi dire ! Vous allez me manquer aussi !

— Tu vas aller où ?

— Je…

— On t’a préparé des souvenirs à ramener chez toi !

— Attendez, je…

La pauvre ne savait plus où donner de la tête. Jin non plus, à vrai dire. Il n’avait pas prévu ça, et observait les élèves s’accaparer chacun leur tour Nanami pour lui dire au revoir. Certains se contentaient de pleurer avec elle, d’autres, plus familiers comme Megumi ou Satsuki la prirent dans leurs bras.

Devant ce spectacle émouvant, Jin avait bien du mal à se retenir aussi. Il eut un léger sourire en voyant que Nanami était aimée de tous dans la classe. Même son rival de toujours, Naoki, semblait soulagé de savoir qu’il avait perdu maintes et maintes fois contre une machine.

Jin s’éclaircit la gorge avant de s’approcher du bureau qu’occupait normalement mademoiselle Miyashima. Il se plaça derrière et contempla la classe.

— Excusez-moi, annonça-t-il.

Les élèves se tournèrent vers lui après plusieurs tentatives pour obtenir le silence.

— Qui êtes-vous ? demanda un élève.

Il marqua une pause avant de répondre, afin de rassembler ses pensées.

— Je m’appelle Jin Ichinose. Je suis le créateur de Nanami.

Nanami et Akari sursautèrent en même temps. Qu’est-ce qu’il racontait ?

— Quoi, c’est vrai ? C’est vous qui l’avez faite ? C’est trop génial !

Ce n’était pas lui, évidemment, mais il fallait bien qu’il explique sa présence ici.

— Jin, murmura la jeune androïde.

— Nanami est un projet de longue date qui me tient beaucoup à cœur, à moi et à ma collègue Haruka Ayase, qui n’a malheureusement pas pu se déplacer aujourd’hui.

— Ayase ?

Les regards se tournèrent vers Akari.

— C’est ma grande sœur, admit-elle un peu timidement.

Jin continua son discours, les mains posées sur le bureau.

— Elle a réussi avec brio tous ses tests en interne, et l’étape suivante était la qualification. Nous savions qu’elle était prête à se fondre dans la population. En l’envoyant ici, nous voulions voir si elle était prête à s’adapter à la vie familiale et scolaire, mais aussi à apprendre. Je dois dire, après avoir écouté ses ennuyeux rapports sur sa vie à l’école, que ça a plutôt bien marché.

Cela eut le mérite d’arracher quelques rires à certains élèves.

— Je vous remercie chaleureusement de l’avoir accueillie parmi vous et de l’avoir aussi bien traitée. Nanami est une pionnière en robotique, c’est encore un prototype, et malheureusement je ne peux pas vous en dire plus sur elle pour le moment.

— Surtout parce qu’il n’en sait rien lui-même, ricana Akari dans son coin.

— Je me rends compte que vous tenez beaucoup à elle, et pour moi, son créateur, c’est vraiment une réussite. Très émouvante je dois dire.

Il leur sourit et réajusta ses lunettes d’un doigt.

— Je me suis donc dit que ça serait bête d’arrêter en si bon chemin, qu’en pensez-vous ?

— Hein ?

— Quoi ?

Mademoiselle Miyashima se tourna vers lui, l’air tout aussi surprise.

— Monsieur Ichinose ?

Jin ne leur répondit pas. À la place, il ouvrit sa sacoche et sortit les formulaires de désinscription. Il les brandit alors avant de les déchirer d’un coup sec. D’abord en deux, puis en quatre, puis en plus petits bouts encore, sous les yeux stupéfaits des élèves.

Nanami s’approcha de lui et leva les yeux encore embués de larmes.

— Jin !

— Qu’est-ce qu’il y a Nanami ? Pourquoi tu n’es pas à ta place ? Les cours ont commencé, tu sais.

Elle s’avança vers lui et lui sauta au cou.

— Hé, Nanami !

— Jin ! Merci ! Merci !

Le pauvre ne savait pas comment réagir.

— Tu es sûr ? Dis, tu es sûr ?

— J’en parlerai à Haruka. Je suis sûr qu’elle sera d’accord.

— Mais toutes ces histoires sur la discrétion, le fait que je ne devais pas révéler mon statut d’androïde ?

Il haussa les épaules, et regarda le reste de la classe. Tout le monde arborait un sourire radieux.

— Hé bien, je suis un être humain, et un être humain c’est irrationnel par nature. Tu ne te souviens pas de ce que je t’ai dit ?

— Oui ! Oui ! Je comprends ! Enfin, je crois.

Nanami sautillait sur place devant Jin.

Il se tourna alors vers mademoiselle Miyashima.

— Mademoiselle Miyashima ?

Elle sécha ses propres larmes et lui sourit chaleureusement.

— Oui ?

— Ça vous dérange si on retourne voir le proviseur après votre cours ?

Elle aussi était heureuse de garder Nanami comme élève. Elle respira un grand coup avant de répondre :

— Pas du tout, Monsieur Ichinose ! Pas du tout !

Nanami lâcha Jin, puis l’étreinte de groupe reprit avec les autres élèves. L’ambiance avait complètement changé. Même mademoiselle Miyashima se joignit au reste de la classe.

Akari s’approcha de Jin et lui donna un léger coup de coude.

— Haruka va être furieuse.

Jin rit nerveusement.

— Ne m’en parle pas. Elle va sûrement se transformer en démon et me faire subir les pires tortures possibles.

Akari leva les yeux vers Jin et sourit.

— Merci Jin. J’aurai une pensée émue pour toi ce soir en t’imaginant souffrir aux mains du démon suprême.

— Tu ne vas tout de même pas lui dire que je l’ai appelée comme ça.

— Oh, je ne sais pas.

— Akari, s’il te plaît !

Cela la fit glousser.

— Je plaiderai en ta faveur, ne t’en fais pas. Je suis heureuse de pouvoir continuer à passer mes journées ici avec Nanami. Tu sais… à part Satsuki j’ai pas vraiment d’amie dans cette école. Alors vraiment, ça me fait plaisir de continuer ma vie scolaire avec elle.

— Merci Akari.

— C’est toi qu’on devrait tous remercier, Monsieur le créateur de Nanami !

Cela le fit rire. Les élèves étaient fous de joie à l’idée de pouvoir continuer leur année scolaire aux côtés de la petite androïde. Celle qui les avait défendus malgré le danger. Celle avec qui ils s’étaient fait des souvenirs durant ce début d’année scolaire, et celle avec qui ils allaient s’en faire pleins de nouveaux.

* * *

SHOKO : Voilà un développement inattendu…
NODOKA : C’est trop bien ! Je suis trop contente ! Regardez tous ces petits mots qu’ils ont écrits ! J’en peux plus !
SHOKO : Je dois bien admettre que les êtres humains sont surprenants.
RITSU : À aucun moment nous n’avons agi de manière incohérente.
SHOKO : C’est une illusion que nous avons donnée, Ritsu. De leur point de vue, nous avons agi sans logique.
RITSU : Je m’en rends bien compte, Shoko.
NODOKA : Wah ! Regardez, Megumi nous a offert un album dédicacé de Teri Suzumiya ! C’est tellement la classe !
RITSU : …
SHOKO : …

* * *

Sans qu’elle s’en rende vraiment compte dans l’euphorie du moment, la montre de Nanami, jusqu’alors éteinte, se remit à fonctionner et afficha désormais l’heure et la date, ainsi qu’un message parcourant l’écran:
« Lien établi. »

* * *

Il faisait noir dans la chambre. Une jeune femme dormait à poings fermés. La couverture arrivait à sa taille, rêvelant le débardeur qu’elle portait. Sur sa table de nuit, des lunettes rondes trônaient aux côtés d’un téléphone portable dernier cri.

La pièce était on ne peut plus calme, jusqu’à ce que le téléphone rompit brutalement ce silence via une sonnerie

Ema se réveilla en sursaut.

— Ouah, qu’est-ce que !

Une voix venant du téléphone se fit entendre. Il s’agissait d’une voix cristaline et naturelle de femme.

— Ema, il est 3h45 du matin, vous avez un appel du central TPDD. Dois-je le prendre ? Il est labelisé urgent.

Ema bailla. Elle répondit à la voix tout simplement, sans même regarder son écran.

— D’abord arrête cette sonnerie, Momo. Et oui, affiche-le moi sur la télé.

Elle était assise là, dans son lit, à peine réveillée, lorsque l’écran en face d’elle s’illumina. En bas de l’écran était indiqué le nom de sa correspondante, Fumiko Mirai.

— Ema, pardon de te réveiller mais c’est urgent !

— Qu’est-ce qui se passe… ?

— On a retrouvé la trace d’Ichika !

Cela eut pour effet de réveiller Ema immédiatement. Celle-ci, encore les cheveux ébourrifés, ecarquilla les yeux.

— Quoi ?! Où !? Quand !?

— Tu verras les détails en arrivant ! Elle a dû agir, car un article est apparu dans un journal local avec sa photo. Grâce à cette information, on a pu calibrer la synchronisation du quartz et on a eu sa position. J’ai prévenu les chefs, ils sont en train de monter l’opération, mais je me suis dit que tu voudrais quand même être au courant avant ton réveil.

— Oh que oui ! Je vais pas pouvoir dormir, mais je m’en fous ! YES !

Elle serra son poing.

— Tu peux venir tout de suite si tu veux, ou plus tard après t’être reposée…

— Non, non. Je prends une douche et j’arrive ! Je ferai une sieste pendant le trajet.

— D’accord, je préviens les autres pour qu’on t’attende.

— Bien !

— Ah et, Ema… Joli débardeur.

Fumiko lui fit un petit sourire avant de couper la communication.

— Mince, j’aurais dû couper l’image, pfff…

Elle se leva d’un bond et s’adressa à l’intelligence artificielle de son téléphone portable.

— Prépare une douche et mon uniforme Momo, ainsi qu’un transport vers mon lieu de travail.

— Tout de suite, Ema.

La jeune femme sortit de la chambre, excitée d’avoir enfin avancé dans son enquête et se dirigea vers sa salle de bains avant d’y disparaître une fois la porte coulissante automatiquement fermée.



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