Chapitre 7 – Danse artificielle

Created on par Axel Terizaki

L’été était là et bien là. Le mois d’août était traditionellement un moment festif, particulièrement pour les étudiants dont c’était le seul mois complet de vacances dans l’année scolaire.

C’était aussi traditionnellement un moyen pour les jeunes de se retrouver à la plage, et pour ceux qui n’habitaient pas suffisament près, d’aller à la piscine.

Plusieurs élèves de la classe de Nanami avaient décidé d’une petite sortie de groupe en ce vendredi. Après avoir cassé la croûte près de la piscine à ciel ouvert, tout le monde se retrouva devant l’entrée. L’établissement proposait des piscines sportives mais également plusieurs bassins en extérieur, dont un avec des tobogans.

— La piscine !

Nanami semblait très enjouée à l’idée de tester une autre activité humaine. Elle portait un petit haut à bretelles et un short d’été. Derrière elle se tenaient Akari et Satsuki. Akari, elle, faisait un peu la tête : elle se demandait bien ce qu’elle fichait ici, et sans Satsuki qui la traînait de force hors de sa chambre, elle ne serait sûrement pas venue. Il ne fallait pas sous-estimer Satsuki lorsqu’elle avait une idée derrière la tête. Elle pouvait être très dangereuse, selon Akari.

— Ah vous voilà !

Les autres membres du groupe leur firent un signe de la main, depuis l’intérieur du bâtiment servant d’entrée. Il y avait Megumi, la présidente du fanclub de Teri Suzumiya auquel Nanami participait avec beaucoup d’entrain, mais aussi ses deux amies, Marika et Rin.

Ce n’était néanmoins pas qu’une sortie entre filles, puisqu’Hayate et ses trois amis Hikaru, Yusuke et Keiichi étaient également déjà arrivés. Keiichi avait pu se libérer de ses obligations familiales pour une journée. Aider au temple de ses parents en plein été n’était pas de tout repos, et le pauvre avait cru jusqu’à aujourd’hui qu’il n’allait pas pouvoir profiter de son été du tout.

Hayate, Hikaru et Yusuke se connaissaient depuis le collège. Le groupe d’amis s’était retrouvé embarqué dans cette invitation à la piscine par Megumi.

Lorsque Nanami et son groupe s’approchèrent, Megumi la tira sur le côté.

— Nanami, ne me déçois pas.

— Hein ?

— Toi et Hayate vous allez passer un peu de temps ensemble aujourd’hui, tu as intêret à sortir le grand jeu.

— T-Tu veux dire… ?

— Je les ai invités pour que lui et toi puissiez passer un peu de temps ensemble alors profites-en ! Ça aurait été louche s’il avait été le seul à venir et à se retrouver parmi un groupe de filles, le pauvre.

Elle jeta un coup d’oeil aux autres qui se saluaient discutaient, échangeant sur ce qu’ils avaient fait jusqu’ici pendant les vacances.

— Je vais essayer ! Même si je ne comprends pas très bien.

Megumi soupira.

— C’est pas bien grave, l’important c’est que vous vous amusiez !

Elle ramena alors Nanami auprès du groupe, et ceux-ci allèrent au comptoir puis au vestiaire pour se changer.

— Waouh !

Nanami avait revêtu le maillot que Megumi et Satsuki l’avaient aidée à choisir : un maillot rouge deux pièces rêvelant son corps sans être particulièrement osé. Elles étaient encore lycéennes après tout. Seule Marika avait opté pour quelque chose d’un peu plus tape à l’oeil. Satsuki, elle, avait choisi un ensemble bleu clair des plus mignons qui tranchait nettement avec le reste.

Et Akari…

Akari n’avait pas envie d’être là. C’était la seule à porter un hoodie à manches courtes fermé par dessus son maillot..

— Akari, tu es sûre que ça va, demanda Nanami, inquiête. Tu ne retires pas ton haut ?

— Non, j’ai pas l’intention de me baigner.

Elle soupira avant de continuer.

— Je serais plus efficace chez moi à coder.

Satsuki, non loin, s’approcha.

— Allez Akari, enlève ça et viens ! On va bien s’amuser, en plus il y a moins de monde que prévu aujourd’hui !

Akari réajusta ses lunettes de soleil et haussa les épaules.

— Pas tout de suite en tous cas.

Un peu déçue, Satsuki ne baissa néanmoins pas les bras. Elle finit même par faire un petit sourire en coin.

— Tu vas finir dans l’eau avant la fin de la journée Akari, je le jure !

Akari, elle, n’avait pas entendu son amie marmonner toute seule.

— Hmm, tu disais quoi ?

Nanami rit doucement. Elle, elle avait entendu. Hayate s’approcha alors d’elle, attendant patiemment que la conversation soit terminée.

— Ça va aller Nanami avec l’eau ?

Elle se tourna alors vers le garçon, puis l’observa dans son short de bain.

— Oui ! Je suis parfaitement amphibie !

Les gens aux alentours ayant entendu l’androïde prononcer ces mots pourraient légitimement trouver cela étrange, mais pour elle, c’était on ne peut plus naturel de se qualifier d’amphibie ou même d’étanche.

— Bon alors allons-y ! On commence par le grand tobogan ?

— D’accord !

Akari les observa partir, et trouva un coin où s’installer avant de sortir son portable et de faire bande à part.

Au bout d’une heure, alors que les autres l’avaient laissée tranquille, elle finit quand même par être attirée par l’eau et s’assit au bord d’un des bassins pour y laisser tremper ses jambes. Il faisait chaud, et l’eau était suffisament rafraichissante. Elle passa en revue une enième fois ses réseaux sociaux sur son portable, n’ayant pas grand-chose de mieux à faire.

Sous le soleil du mois d’août, son hoodie lui tenait quand même trop chaud, et elle baissa la fermeture éclair, jusqu’à l’enlever complètement.

Quelques minutes plus tard encore, Satsuki l’accosta.

— Ah, Akari, je peux t’emprunter ton portable un instant ? Les garçons font les pitres et je voudrais les prendre en photo. Ton appareil est super alors…

— Euh, d’accord…

Megumi également de l’autre côté.

— Je t’emprunte ça aussi.

La binoclarde leva les yeux vers sa camarade qui attrapa délicatement les lunettes de cette dernière pour les retirer.

— Hein ?

Une autre voix se fit entendre derrière elle. C’était Nanami.

— A l’eau !

Et Akari fut poussée dans l’eau d’un coup sec par Nanami.

— Wah !



* * *

Après une bonne partie de la journée passée à la piscine, le groupe s’était plus ou moins dissout. Akari, Nanami, Megumi et Satsuki avaient décidé d’aller manger un bout à un fast-food américain très populaire près de la gare.

— Encore pardon Akari !

Akari, elle n’était pas du tout jouasse. Les quatres filles étaient assises autour d’une table, leur menus sur la table. Megumi joignit ses mains devant Akari, impassible, qui sirotait sa boisson gazeuse par une paille.

Megumi continua.

— C’était mon idée, haha, en te voyant toute seule là, je voulais que tu en profites un peu… Je n’imaginais pas que tu ne savais pas nager…

— Hmmph.

— Allez Akari, fais pas la mauvaise tête, on s’est bien amusés au final.

— Roh et tu aurais dû voir la tête de Marika quand Yusuke a plongé pour te repêcher Akari… Je crois qu’elle en pince pour lui, commenta Megumi.

Satsuki écarquilla les yeux.

— Quoi c’est vrai !? Oh il faut que je dessine ça en rentrant !

Akari lâcha sa paille du bout des lèvres.

— Tu ne vas rien dessiner du tout, toi. Pour vous faire pardonner vous me payez mon repas ce soir.

Les filles étaient d’accord. Nanami n’avait guère pipé mot depuis leur entrée dans le fast-food.

— Ça ne va pas Nanami ? Tu ne t’es pas amusée ?

— Oh si ! Si ! Beaucoup même, c’était vraiment super ! Il faut qu’on refasse ça avant la rentrée !

Satsuki et Megumi acquissèrent. Puis leur regard se posa sur le plateau que Nanami avait devant elle.

— Tu as pris trois grands burgers et deux portions de frites !?

— Ah euh, c’est que je me suis beaucoup dépensée !

— La chance… pouvoir manger autant sans grossir.

Megumi éclata de rire. Elle était assise à côté de Nanami et lui tapota l’épaule.

— Ne dis surtout pas tout ce que tu as mangé à Rin ou Marika. Elles ont du mal à perdre du poids, tu les mettrais en rogne !

— D-d’accord !

Le groupe continua de papoter. Nanami avait néanmoins prévu des desserts, et l’une des employées du restaurant lui apporta.

— Vos desserts, mademoiselle.

Elle portait une paire de lunettes rondes et ses cheveux étaient coiffés en une tresse retombant devant elle. Nanami leva les yeux vers elle, curieuse.

— Ah, merci.

— Bon appétit !

Puis elle s’en alla. Nanami continua à l’observer.

— Et des desserts en plus, s’exclama Megumi.

— Je peux goûter ?

Nanami redirigea son attention vers ses amies.

— Ah, bien sûr Satsuki.

Akari leva un sourcil. Elle avait remarqué que l’androïde qui les accompagnait semblait quelque peu préoccupée.

— Un truc qui va pas, Nanami ?

— Hmm ?

Nanami avala une bouchée de son dessert, un milkshake à l’odeur fort appétissante.

— Non, rien du tout, ne t’inquiête pas.



* * *

Nanami referma la porte de chez elle en entrant.

— Je suis rentrée, annonça-t-elle, son sac de sport à la main.

Jin passa la tête dans le couloir, depuis la cuisine.

— Ah, Nanami, tu tombes bien. Je vais manquer de quelques trucs pour le dîner, tu veux bien aller à la superette ? Haruka devait faire les courses mais elle a complêtement zappé avec son travail.

— Oh ! Oui, pas de problème. J’ai déjà mangé par contre.

Elle n’avait pas encore retiré ses chaussures, et déposa son sac dans l’entrée.

— On est revenus tard du travail… On a juste besoin de quoi faire du riz au porc pané ce soir. Il faudrait des oignons aussi. Si tu ne trouves pas de porc pané, prends des bento ou des plats préparés pour ce soir, j’irai faire des courses moi-même demain, d’accord ?

— C’est noté ! Je me débrouillerai !

Il sortit son portefeuille de sa poche de veste et donna deux mille cinq cents yens1 à Nanami pour les courses.



* * *

Après avoir choisi quelques plats préparés et des boissons, Nanami passa les portes automatiques de la supérette et marcha silencieusement à travers les rues. La nuit était déjà tombée sur la ville, et si les grands axes étaient plutôt bien éclairés, il n’en était pas de même pour les petites rues zigzaguant entre les maisons du quartier résidentiel de Den-en-chofu.

Alors qu’elle tourna au coin d’une rue, Nanami vit une personne, visiblement une jeune femme, s’avancer vers elle depuis l’autre bout de la rue. Elle portait une casquette, une veste légère, un t-shirt sombre et un pantalon.

— Bonsoir, Ichika, dit-elle, tout en continuant de s’approcher. Ou bien devrais-je dire Nanami ?

— Ichi… ka ?

Nanami ne savait pas trop comment le prendre. Ichika ? Elle n’avait jamais eu, ni même entendu ce nom-là auparavant.

— Excuse-moi, c’est comme ça qu’on t’appelle, dit la jeune femme avec sa voix douce, mais certaine.

Elle s’arrêta sous un lampadaire non loin de l’androïde. Sous la casquette, Nanami pouvait voir ses lunettes rondes et ses cheveux retombant sur sa poitrine.

— Je me présente, je suis Ema Hoshizora.

— Vous êtes l’employée du fast-food.

— Ah tu m’avais remarquée, mais je m’en doutais un peu. Je n’étais pas tranquille lorsque je t’ai vue débarquer sur mon lieu de travail, héhé.

— J’ai tout de suite vu que vous n’étiez pas d’ici. Et vous n’êtes pas 100 % organiques.

Nanami l’étudia quelques instants, et voulut se présenter, mais Ema ne lui en laissa pas le temps et continua, tout sourire.

— Je sais qui tu es et ce que tu as fait, Nanami. Tu te rends compte des dégâts que tu as causés ?

— Vous venez de…

— Peu importe d’où je viens.

Nanami commença à se sentir menacée. Ema pouvait le lire sur son visage.

— Tu as peur ? Tu comprends pourquoi je suis là, hein ?

— Non ! Je ne repartirai pas ! Je dois rester ici !

Nanami secoua la tête et avait presque eu une réaction de panique à cette idée, ce qui surprit Ema. Celle-ci s’avança vers l’androïde et essaya de la prendre par la main.

— Ça va aller, nous ne te ferons aucun mal. Nous allons te poser des questions, puis tu repartiras avec nous.

Elle gardait sa voix douce, presque rassurante, mais ses intentions étaient claires. Nanami fit un pas en arrière et retira la main qu’Ema voulait attraper.

— Non, j’ai dit ! Je ne peux pas ! Je n’ai pas fini ce que je suis venue faire ici ! C’est important, vous ne comprenez pas !

Nanami sursauta quand, à force de reculer, elle heurta quelqu’un qui lui prit fermement le bras. Elle pouvait également sentir quelque chose pressé contre son dos. Le bout d’une arme probablement. La surprise lui fit lâcher le sac de courses qu’elle portait. La jeune fille se rendit compte qu’Ema n’était pas venue seule. L’homme dit alors à sa partenaire :

— On dirait que la manière douce ne va pas fonctionner, Hoshizora…



* * *

E²A : Désactivation des limiteurs L00 à L03



* * *

Dans une petite rue bordée de maisons se tenaient trois êtres avec un différend à régler. Les habitants des environs n’avaient bien sûr aucune idée de ce qui se jouait juste à l’extérieur de leurs murs. Les vacances d’été aidant, nombre de maisons étaient vidées de leurs occupants, et à cette heure tardive, ceux qui restaient sur Tokyo étaient pour la plupart déjà couchés.

Ema et Satoshi se faisaient face, la jeune Nanami entre eux. L’androïde pouvait sentir le canon de l’arme à travers la faible épaisseur de son haut.

— Maintenant, Ichika, tu vas nous suivre bien gentiment, c’est compris ?

— Et si je refuse ?

Nanami restait pour le moment immobile, son sac de courses à ses pieds.

— Nous n’aurons pas d’autre choix que d’utiliser la force, répondit Ema. Ne nous y oblige pas, Nanami.

Cette dernière soupira, et ferma les yeux.

— Vous ne me laissez pas le choix non plus…

Elle se pencha alors vers l’avant et Satoshi sentit ses pieds se détacher du sol. Nanami, par la seule force de son bras, venait de le faire passer par-dessus son épaule. Elle le désarma ensuite d’un rapide coup de pied puis le plaqua à terre avec sa jambe. Libérée, déterminée, elle regarda Ema.

— Je ne veux pas vous faire de mal ! Je ne dois pas faire de mal aux humains !

— Espèce de… jura Satoshi.

Ema eut un semblant de doute en entendant cela, mais ce qui la choqua le plus fut le regard de Nanami, comme si cette dernière les suppliait.

Satoshi essayait de se désengager tant bien que mal, mais Nanami s’était agenouillée pour le tenir au sol. Il déployait beaucoup d’énergie pour se libérer, ce qui surprit quelque peu l’androïde. Celle-ci gardait néanmoins le dessus sans grands efforts.

— Hoshizora !

— Oui !

Tirée de sa stupeur, Ema atteignit aussitôt sa propre arme à l’intérieur de sa veste et la pointa vers Nanami.

— Relâche-le Nanami, ou je tire !

— Vous bluffez, votre arme n’est pas chargée. Il n’y a aucune balle à l’intérieur !

La personne qui la tenait en joue laissa se dessiner un petit sourire sur son visage.

— Je bluffe ?

Elle dévia légèrement son arme pour viser le bras de Nanami et pressa la détente. Plutôt qu’un coup de feu classique, le pistolet laissa échapper un léger vrombissement. Une boule de lumière se forma à l’extrémité du canon, avant de se transformer en un faisceau lumineux. Nanami écarquilla les yeux et tenta d’éviter le tir. Elle fit un bond sur le côté l’amenant plusieurs mètres plus loin. Le tir fut bref, et laissa une marque de brûlure sur le bitume.

— Qu’est-ce que…

Elle baissa les yeux vers son bras, dont il manquait un bout de peau là où le tir l’avait éffleurée. Une partie du métal avait même fondu, exposant sa mécanique à l’air libre.

Satoshi se releva aussitôt et alla ramasser son arme.

— La prochaine fois vise moins près de ma tête, Hoshizora, commenta-t-il.

— Désolée !

Elle dirigea son regard de nouveau vers l’androïde.

— Je te le redis une dernière fois Nanami. Viens avec nous, tu n’as pas ta place ici ! Tu sais que c’est interdit !

— Non !

Elle secoua la tête, puis sauta sur l’un des murs du voisinage, puis sur le toit d’une maison.

— Elle s’enfuit !

Ema et Satoshi rangèrent leur arme et la suivirent, par-dessus les toits et les murs.

Nanami les emmena jusqu’à un parc situé non loin, puis s’arrêta pour les attendre. Il n’y avait personne à cette heure tardive. Autour d’eux se trouvait un espace de jeux pour enfants, et quelques lampadaires allumés.

Les deux agents ne tardèrent pas à la rejoindre et se postèrent devant elle.

— Pourquoi nous a-t-elle amenés ici ? demanda Satoshi plus à lui-même qu’à sa coéquipière.

Nanami, elle, semblait on ne peut plus déterminée.

— J’ai des choses à accomplir ! Je dois sauver l’éternité ! J’ai été construite pour ça ! Vous ne m’empêcherez pas de donner un sens à mon existence !

Ces paroles prirent Ema quelque peu au dépourvu, mais Satoshi, lui, garda son sang-froid.

— Sauver l’éternité ? Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Je dois…

Nanami s’arrêta net dans ses explications.

— Je dois sauver…

Satoshi recula au niveau d’Ema, qui semblait confuse.

— Elle a un bug ?

— On dirait bien.

— Je ne…

Nanami baissa les yeux vers ses pieds, comme si elle se sentait soudainement perdue.

— Je ne sais pas. Je n’arrive pas à… atteindre l’information. Qu’est-ce qui m’arrive ? Pourquoi je ne peux pas y accéder dans ma mémoire interne !?

Tout en l’écoutant, Satoshi vérifia que son arme était toujours en état de marche.

— Le voyage a dû perturber ses systèmes. Ce n’est pas très étonnant vu qu’elle a utilisé un prototype.

— Tu as un plan, Koizumi ?

— Pas trop le choix, il va falloir avoir recours à la force et faire en sorte qu’elle s’arrête. Passe ton arme en mode IEM.

— D’accord.

Ema prépara de nouveau son arme. En appuyant sur un bouton situé près de la crosse, un petit écran holographique s’afficha, lui permettant de changer de mode de tir. Après avoir sélectionné le mode d’impulsions électromagnétiques, l’écran se dissipa et elle pointa son arme vers Nanami.

Satoshi jeta de nouveau un œil à une Nanami toujours aussi confuse, qui répétait inlassablement ne pas savoir, ne pas comprendre, comme si sa logique avait soudainement rencontré un défaut l’empêchant d’aller plus loin.

— Je vais attirer son attention et te créer une ouverture, Hoshizora.

— Bien compris !

Satoshi quant à lui se décala de quelques pas avant de foncer sur Nanami pour tenter de la maîtriser. Elle prit son premier coup de poing dans le ventre, ce qui la sortit de sa torpeur.

— Aaah !

Elle fut projetée de quelques mètres derrière elle. Elle réussit tant bien que mal à garder l’équilibre.

— Quelle force !

L’homme devant elle ne sourcilla même pas alors qu’il venait de heurter son poing contre la paroi métallique de son ventre.

Il fonça de nouveau sur elle sans même commenter ce qu’elle venait de dire, mais cette fois-ci, elle arrêta ses coups sans problème. Satoshi tenta de passer derrière elle, ou tout du moins de la retourner face à Ema pour qu’elle puisse tirer, mais Nanami ne l’entendait pas de cette oreille. Dans une chorégraphie digne des meilleurs films de combats à mains nues, Nanami et Satoshi échangèrent des coups et des mots pendant de longues secondes.

— Cesse de résister Ichika, ça ne sert à rien.

Si Ema l’appelait Nanami, Satoshi semblait ne vouloir utiliser que le nom que son organisation avait trouvé pour elle.

— Je m’appelle Nanami ! Et je ne peux pas repartir !

Se battre n’empêchait ni l’un ni l’autre de discuter.

— Si tu ne voulais pas qu’on t’arrête, tu aurais retiré ton bracelet !

— Non ! Personne d’autre que moi ne doit s’en servir ! Je connais les risques !

— Ah oui ? Si tu les connaissais réellement, alors pourquoi as-tu attaqué le laboratoire S2 ? Pourquoi avoir détruit leur matériel et effacé leurs données ? Pourquoi t’es-tu enfuie ici sachant que c’était formellement interdit !?

— Je…

Les coups de Satoshi devenaient de plus en plus rapides et puissants, forçant Nanami dans ses derniers retranchements. Ne sachant pas bien comment répondre à toutes ces questions, elle se laissa distraire, ce qui permit à Satoshi de viser la tête. Il projeta Nanami contre un grillage derrière elle, qui céda immédiatement sous la force de l’impact. L’androïde se retrouva à terre, un peu plus loin.



* * *

NODOKA : Les systèmes indiquent d’énormes dégâts structurels ! Ça va prendre des jours à réparer !
SHOKO : On ne peut pas continuer comme ça, cet humain est modifié ! Il n’a ni une force ni une vitesse standards !
NODOKA : Ce n’est pourtant pas un androïde non plus. Des implants mais lesquels…
SHOKO : On n’a pas le temps, Nodoka ! Ritsu, je demande à ce qu’on l’utilise !
NODOKA : Je te le demande aussi Ritsu ! Si on continue ainsi, Nanami va être arrêtée ! Tu sais qu’on ne peut pas laisser faire ça tant que sa mission n’est pas accomplie !
RITSU : Vous connaissez les risques autant que moi.
SHOKO : Oui !
NODOKA : Oui !
RITSU : Très bien.



* * *

Nanami se releva lentement. Satoshi et Ema s’avancèrent vers elle.

— Tu y es allé un peu fort, non ?

— Je ne l’ai pas trop endommagée, je pense.

L’androïde attrapa le pendentif autour de son cou et découvrit le métal au niveau de sa poitrine.

— Qu’est-ce qu’elle fait ?

Un emplacement apparut au centre, de la taille du pendentif qu’elle tenait entre ses doigts.

— Vous ne me laissez pas le choix.

Elle arracha d’un coup sec le bijou autour de son cou, et le posa fermement contre sa poitrine. Le pendentif fusionna avec son corps et Nanami leva la tête, fronçant les sourcils.



* * *

E²A : Désactivation des limiteurs L04 à L09
E²B : Activation Eternity Engine B en cours
E²B : Fusion froide enclenchée
E²B : Accroissement de la fréquence : 50 % de la fréquence nominale
PWS : Activation du système d’armement portable
E²B : Accroissement de la fréquence : 70 % de la fréquence nominale
SYS : Danger – Température interne en hausse
E²B : Accroissement de la fréquence : 100 % de la fréquence nominale
SYS : Activation des systèmes de refroidissement d’urgence
E²B : Accroissement de la fréquence : 150 % de la fréquence nominale



* * *

Satoshi fit un pas en arrière en voyant les vêtements de Nanami s’évaporer littéralement, et sa peau disparaître sur tout son corps, excepté son visage.

— Hoshizora, recule !

— Hein ?

Nanami fondit sur elle et la regarda droit dans les yeux l’espace d’une seconde. Un regard presque terrifiant qu’Ema n’eut même pas le temps de voir avant de se faire attraper le bras droit et projeter sur le côté. Elle s’écrasa contre un toboggan de la zone de jeux non loin qui fut renversé sous le choc.

— Argh !

— Hoshizora !

Celle-ci s’écroula et lâcha son arme. Le temps que Satoshi regarde de nouveau en direction de Nanami, cette dernière avait déjà disparu.

— Vous l’avez voulu ! Vous ne m’avez pas laissé le choix ! Je dois accomplir ma mission !

La voix de Nanami avait changé. Robotique, distordue, presque glaçante. Comme si les systèmes présents dans son corps pour la rendre humaine ne fonctionnaient plus.

— Je ne veux pas faire ça !

Elle apparut soudainement derrière Satoshi, et ce dernier eut à peine le temps de se retourner pour pointer son arme vers elle. Il tira, mais Nanami n’eut aucun mal à éviter la décharge. Ses yeux étaient ronds, fixes, sans vie. Artificiels.

— Je dois sauver l’éternité… Je mettrai tout en œuvre pour y arriver. Je dois… faire…

Satoshi vit Nanami lever son bras droit. Tout l’avant-bras fut recouvert d’une lame d’énergie bleue.

— Une lame chromo !? Comment…

— Vous allez me laisser tranquille pour que j’accomplisse ma mission !

Elle s’apprêtait à foncer sur Satoshi, sa lame à la main.

— Nanami !

La voix de Jin au loin arrêta Nanami dans son élan, ce qui surprit les deux agents.

— Jin…

La lame de Nanami se rétracta. Au volume de sa voix, Jin n’était pas loin, mais pas encore suffisamment proche pour voir ce qu’il se passait.

— Nanami !

Il continua de l’appeler, sa voix se rapprochant. Cela sembla terroriser la jeune fille. Sans même le toucher, celle-ci repoussa Satoshi d’un mouvement de la main. Ce dernier sentit une énorme vague de chaleur le projeter près d’Ema. Elle les dépassa et sans même les regarder, s’enfuit dans la direction opposée à la voix de Jin.

Satoshi se releva et aida Ema à en faire autant.

— Elle a encore fui, commenta-t-elle.

— Nous aussi on ferait bien de filer pour le moment.

— Oui…

Il jeta un dernier coup d’œil dans la direction où Nanami était partie.

— Allez, viens.

Satoshi attrapa sa collègue et son arme, et se réfugia dans des buissons non loin. Lorsque Jin atteignit le champ de bataille, l’endroit était désert. Il ne restait guère que le bracelet et le ruban de Nanami tombés au sol durant l’échange de coups, mais surtout, des impacts sur le sol, le grillage, le toboggan… Quelque chose venait de se passer ici, de toute évidence.

— Où…

Il vit des traces de brûlure au sol ressemblant à des pieds, et décida de les suivre à l’aide de la torche de son téléphone, après avoir ramassé ce qui traînait. Quelques dizaines de mètres plus loin, il atteignit le bord de la rivière. L’herbe de la rive avait brûlé sous les pas de l’androïde.

— Elle a traversé ?

Jin leva la tête vers le ciel et vit qu’un nuage de vapeur s’était formé au-dessus de l’eau, tout près de son côté de la rive.

— Nanami ? Tu es là n’est-ce pas ?

Il s’accroupit au bord et scruta l’eau de la rivière à l’aide de sa lampe de fortune. À un moment, ses yeux tombèrent sur la chevelure rousse de Nanami, ou tout du moins, un bout de sa chevelure qui dépassait de l’eau. Celle-ci émergea le reste de sa tête et regarda Jin avec un air si désolé qu’on aurait pu tout lui pardonner.

— Nanami ?

— J…Jin.

Sa voix avait retrouvé son timbre naturel d’adolescente.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Qu’est-ce que tu fiches sous l’eau ? Tu t’es battue ?

Il avait des tonnes de questions à lui poser. Comme lors de leur première rencontre, Jin avait du mal à satisfaire sa curiosité envers Nanami.

— Je suis désolée ! Ne me punis pas s’il te plaît !

— Te punir ? Pourquoi je devrais faire ça ?

— Je… Je ne sais pas, j’ai l’impression que tu dois me punir…

— Mais pourquoi ? Qu’est-ce que tu as fait ?

— J’ai…

Sa voix tremblait.

— J’ai blessé des êtres humains.

— Tu t’es battue ? Contre qui ? De ce que j’ai constaté en te suivant jusqu’ici, ça ne ressemblait pas à une bagarre de rue.

Nanami resta silencieuse et continua d’observer Jin.

— Jin, j’ai blessé des êtres humains, répéta-t-elle. J’ai transgressé la première loi.

— Calme-toi… Tu as blessé qui ? Quelqu’un qui te voulait du mal ? Sors de l’eau qu’on parle.

— Je…

— Qu’est-ce qu’il y a ?

Elle détourna le regard.

— Je ne peux pas sortir, c’est embarrassant.

— Hein ?

Nanami soupira, et marcha pour remonter sur la rive, vers Jin. Celui-ci vit alors le corps tout entier de Nanami, nu, sans même sa peau. Elle n’avait jusqu’ici jamais montré son corps en entier, juste les parties que Jin avait réparées quand elle était arrivée. Il put l’admirer dans toute sa froideur robotique. Un corps de métal, artificiel. Un corps à l’aspect si inhumain, et pourtant habituellement plein de vie.

— Nanami, ton corps…

— Mes vêtements ont fondu et ma peau s’est détruite lorsque j’ai désactivé tous mes limiteurs.

— Tes limiteurs ?

Il voulut s’approcher pour la toucher, mais Nanami l’arrêta et fit un pas en arrière.

— Non ! Ne me touche pas ! Je suis encore trop chaude, tu risques de te brûler !

Ses doigts étaient tout près, il pouvait sentir la chaleur émanant encore de son corps. Elle continua :

— Je me suis plongée dans la rivière pour me refroidir avant de rentrer…

— Mais attends, tu parles de limiteurs, ça veut dire que tu as été conçue pour… le combat ?

— C’est une de mes fonctions, oui. Dans les cas extrêmes, je peux me servir de ça.

Elle ouvrit l’orifice au niveau de sa poitrine pour en sortir le pendentif et le montrer à Jin.

— C’est un catalyseur pour mon réacteur à fusion froide.

Jin marqua une pause.

— …à fusion… HEIN ?



* * *

SYS : Retour du système à une température de fonctionnement acceptable

E²B : Séquence d’arrêt terminée. À bientôt~



* * *

Jin demanda à Nanami de se cacher encore un moment dans l’eau le temps qu’elle refroidisse et qu’il puisse la porter. Dans son état, il était hors de question qu’elle déambule à ses côtés, au risque de se faire voir. Tout le monde aurait compris immédiatement qu’il s’agissait d’un robot. Aucun cosplay n’arrivait à la cheville de son corps métallique.

Il mit à profit ces quelques minutes pour demander à Nanami ce qu’il s’était passé. Il eut le sentiment que l’androïde ne lui avait pas tout dit, et beaucoup trop de questions se bousculaient dans sa tête. Pourquoi deux personnes en voudraient-elles à Nanami ? Quelle force a bien pu causer de tels dégâts ?

Après qu’elle soit sortie de l’eau, Jin lui tendit le ruban rouge attachant habituellement ses cheveux.

— Merci Jin, j’ai cru qu’il avait été détruit dans le feu de l’action.

— Tu y tiens beaucoup, non ?

— Oui, c’est un cadeau de Haruka.

Elle prit le ruban dans ses mains métalliques et commença à le nouer dans ses cheveux, créant une queue de cheval. Jin lui tendit également son bracelet.

— Tu as également fait tomber ça.

— Ah… Je l’ai abandonné dans la panique…

Elle le prit et l’attacha autour de son poignet métallique. Le cadran s’alluma et indiquait toujours « Lien établi », sans plus de précisions.

— J’ai tellement de questions, Nanami…

— Je sais, je vais essayer d’y répondre.

— Essayer ?

Jin s’accroupit alors pour que Nanami puisse grimper sur son dos.

— Tu es encore très chaude.

— Pardon…

— Ne bouge surtout pas, contente-toi de me parler doucement. Si on nous regarde, tu dois avoir l’air d’une poupée ou d’un mannequin que je transporte.

— D’accord.

Le silence s’installa quelques instants avant que Jin ne continue.

— Tu as parlé de deux personnes, un homme et une femme. La femme avait une tresse et des lunettes ?

— Oui… Comment tu le sais ?

— J’en étais sûr…

— Jin ?

Il soupira.

— Ils sont venus me voir l’autre jour pour me parler de toi. Ils voulaient te parler, te rencontrer. C’était évident qu’ils étaient louches, mais je ne me doutais pas qu’ils puissent faire ça… Je voulais en parler à Haruka mais avec le boulot, je n’ai jamais eu le temps… Bref, que voulaient-ils ?

— Me ramener là d’où je viens.

— Ils travaillent pour l’entreprise qui t’a créée ?

— C’est plus compliqué que ça. Fais-moi confiance, Jin. Je te dirai tout quand j’y verrai plus clair.

Jin eut envie de la secouer et de la forcer à lui en dire plus, mais il avait l’impression que cela n’allait le mener nulle part.

— Tu as aussi parlé d’un bug tout à l’heure.

— Oui, je…

Nanami eut du mal à trouver ses mots, ce qui était déjà loin d’être normal en soi. Son porteur continua de marcher silencieusement dans les rues. Celles-ci étaient pour la plupart désertes à cette heure-ci, mais Jin ne put s’empêcher de grimacer lorsqu’il finit par croiser quelqu’un.

— Je crois que je suis victime d’une corruption mémoire. Je n’arrive pas à savoir ce qui m’est devenu inaccessible. C’est très frustrant !

— Oui, comme un être humain qui n’arrive pas à se souvenir de quelque chose, mais qui est à deux doigts de s’en souvenir.

— Ah, ça arrive aussi aux humains ! Me voilà rassurée !

Jin haussa les épaules.

— Je ne sais pas si tu dois être rassurée ou non. Il n’y a que ça d’endommagé ? Ça ne se répare pas avec ce qu’on peut trouver dans la malette ?

— Non, c’est interne, purement logiciel… À part ça, je ne peux plus me servir de mon camouflage optique depuis que je suis arrivée ici.

Jin tourna la tête vers Nanami.

— Attends, tu pouvais te rendre invisible !?

— Oui… mais ça n’a pas tenu le choc très longtemps. Je ne m’en suis pas beaucoup servie.

— Et tu as un… réacteur à fusion froide. Nanami, tu te rends compte de ce que c’est ?

— C’est un réacteur miniature, l’utiliser trop longtemps endommage mon corps, et la chaleur détruit ma peau, et bien sûr mes vêtements…

— Pourquoi as-tu été faite au juste ? Tu as des fonctions de combat que j’ignorais jusqu’à maintenant, tu n’es définitivement pas un robot ménager ou d’aide à la production, ni même de compagnie.

— Mais je peux très bien faire le ménage ou porter de lourdes charges !

Jin allait perdre son calme.

— Nanami, je ne plaisante pas !

Elle voulut lever la tête par surprise, mais Jin lui avait ordonné de rester tranquille, sans vie pour passer pour une poupée grandeur nature.

— Je suis désolée…

— Tu l’as dit toi-même, tu as blessé des êtres humains. Tu as menti quand tu as dit obéir aux lois de la robotique.

— Je n’ai pas menti… Je possède une loi zéro.

— Une loi zéro ?

Jin avait déjà lu dans certains romans de science-fiction l’existence de ce type de loi. Une loi à laquelle les robots étaient censés obéir et qui était prioritaire par rapport aux trois lois traditionnelles d’Isaac Asimov.

— Quelle est cette loi ?

— Je… je n’arrive pas à la relire. Je sais juste qu’elle est déclenchée dans certains cas, quand quelque chose m’empêche d’accomplir mon objectif.

— Quel objectif ?

— Sauver l’éternité.

— Sauver l’éternité ?

Cela n’avait aucun sens pour Jin, ni même pour Nanami visiblement.

— C’est quoi au juste l’éternité ? C’est un nom de code pour quelque chose ? Un concept ? Un pays, une personne ? Un objet ?

— Je ne sais pas, j’aimerais le savoir, tout deviendrait plus clair. Tout ce que je sais, c’est que c’est la chose la plus importante pour être heureux…

Jin soupira.

— Si on m’avait dit un jour que les robots souffriraient d’amnésie…

— Je suis désolée Jin… Mon système d’exploitation me dit qu’il est incapable de monter le bloc mémoire sur mon système de fichiers… Peut-être que-

Jin soupira, ne laissant pas à Nanami le temps de continuer son explication.

— On arrive… On reprendra cette conversation une autre fois. Il va falloir trouver quoi dire à Haruka.

La maison était à quelques mètres de là.

— Je m’en occupe, Jin ! Ne t’en fais pas !



* * *

NODOKA : Bon, qu’est-ce qu’on peut imaginer comme histoire ? Oh, je sais ! Des extra-terrestres ? Des voyageurs temporels ? Des détenteurs de pouvoirs extra-sensoriels ?
RITSU : Tu lis trop de mangas, Nodoka.
SHOKO : Ceci dit, quitte à mentir...



* * *

Haruka tapota ses doigts contre son autre bras, l’air visiblement exaspéré.

— Donc, des voyageurs du futur sont arrivés en 2022, de nos jours, et ont voulu te maîtriser, car tu es une menace pour leur époque ?

— C’est ça, Haruka !

Jin était assis à côté de Nanami sur le canapé du salon. Haruka, debout devant eux, ne semblait pas d’humeur à rire.

— Haruka, écoute, intervint Jin.

— Vous me prenez tous les deux pour une idiote c’est ça ? On dirait un scénario de mauvais manga ou de mauvais light novel !

Nanami, voyant que son histoire ne fonctionnait pas, tenta de calmer le jeu.

— Je… je suis désolée.

— Jin, dis quelque chose !

Jin s’éclaircit la gorge, il tenta d’expliquer ce qu’il avait vu à Haruka. Celle-ci l’écouta attentivement, les bras croisés contre sa poitrine.

— …et j’ai trouvé Nanami dans la rivière en train de refroidir.

— Et ses agresseurs ?

— Je ne les ai pas vus.

Jin se mordit la lèvre. Il avait bien une idée de qui cela pouvait être, mais décida de ne pas aggraver la situation pour le moment. Il se tourna vers Nanami.

— Je… Je vais vous les montrer.

Nanami regarda le mur du salon, et y projeta grâce à son œil des images de ses assaillants. Jin et Haruka purent y voir Ema et Satoshi distinctement.

— Ils vont probablement venir ici, commenta Haruka.

L’androïde secoua la tête.

— Non, je te rassure. Ils ne veulent pas être vus, je doute qu’ils viennent ici, rectifia-t-elle.

— Tu en es sûre ?

— Oui ! Je vous mettrais en danger en restant ici tout en sachant qu’ils pourraient revenir.

Elle baissa alors la tête vers ses mains métalliques reposant sur ses genoux

— Et ça, je ne le veux pas…

— Soit. Jin, pourquoi as-tu essayé de me cacher ça à ton arrivée ? Tu ne me fais pas confiance ?

Jin eut l’air embarrassé et ne savait pas quoi répondre. Il s’éclaircit la gorge de nouveau.

— Nanami, quand est-ce que ta peau sera reconstituée ?

— D’ici trois semaines si je reste branchée au courant continuellement. J’aurai besoin que Jin répare quelques pièces qui ont été endommagées pendant le combat.

— Bien, alors tu vas te mettre dans ta chambre, fermer les rideaux et ne plus en sortir. Si tu dois réellement sortir, tu devras te mettre des bandages là où ta peau ne s’est pas régénérée, c’est compris ?

— D’accord Jin, je ferai comme tu voudras.

Elle s’inclina vers l’avant.

— Je suis désolée de vous avoir inquiétée avec mes problèmes…

Jin et Haruka se regardèrent un instant.

— L’important c’est que tu ailles bien, mais ça ne résout pas ton souci pour autant. J’aimerais bien parler à ces deux personnes qui te cherchent, admit Jin.

— Quant à ton problème de mémoire, continua Haruka, tu vas devoir me promettre de nous aider à le résoudre, c’est d’accord ? Tu dois nous faire confiance, Nanami.

— Oui !

Elle regarda ses pieds avant d’ajouter :

— Merci.

— Merci ?

— Merci de me faire confiance malgré ce que j’ai fait. Je suis désolée. Je ne suis là que depuis quelques mois et je vous cause des soucis. J’ai été faite pour aider les gens… enfin, je crois… et je ne fais que vous embêter.

Jin, qui était assis à côté d’elle, ébouriffa ses cheveux tendrement.

— Notre vie a bien changé depuis que tu es là, mais ce n’est pas pour me déplaire maintenant.

— Jin a raison, tu fais partie de notre famille maintenant.

Nanami se mit à sourire elle aussi.

— Une famille…



* * *

À l’autre bout de la ville, dans un petit appartement situé au sein d’une résidence à deux étages, Satoshi s’était assis à un bureau pour paramétrer un ordinateur portable.

— Comment va ton bras, Hoshizora ?

Il ne regardait même pas sa partenaire, allongée sur un futon non loin. Celle-ci se tenait le bras gauche et n’avait pas l’air au mieux de sa forme.

— Pas terrible. Je me suis injecté des nanomachines tout à l’heure, ça devrait bientôt aller mieux… Elle n’y est pas allée de main morte.

— On entre dans une fenêtre de communication, je devais pouvoir contacter Central.

— J’écouterai, je te laisse faire le rapport à ma place.

Il hocha la tête. Après avoir tapoté quelques commandes, il brancha sur l’ordinateur un appareil. Celui-ci émit d’abord une lumière bleuâtre clignotante. Puis elle se figea et une fenêtre apparut à l’écran, indiquant « SOUND ONLY ».

— Central, ici Satoshi Koizumi, vous me recevez ?

Une voix féminine se fit entendre au bout d’un moment.

— Ici Central. Je vous reçois cinq sur cinq ! Comment ça va ?

Satoshi reconnut la voix de sa collègue.

— Ça peut aller, Mirai. Je te transmets les données recueillies, et je te fais mon rapport.

— D’accord ! Ema est là ?

Ema, ne voulant pas être laissée pour compte, se plaignit depuis son futon.

— J’ai mal.

— Qu’est-ce qui vous est arrivé ? demanda Fumiko à l’autre bout de la ligne, l’air inquiète.

— On a failli mettre la main sur Ichika. Je commence mon rapport tout de suite, comme nous n’avons pas beaucoup de temps.

— Très bien, je note les points importants et je transmettrai l’enregistrement, comme d’habitude.

— Bien. Neuf jours se sont écoulés depuis notre dernière communication avec Central. Nous avons déterminé où se situait Ichika et nous avons repéré les lieux avoisinants. Comme elle se déplace rarement seule, il nous a été difficile de l’approcher. Cependant elle est sortie de chez elle vers vingt-trois heures dix et s’est dirigée vers une supérette avant de repartir avec un sac. Lorsqu’elle est passée par une ruelle dont les maisons avoisinantes étaient inoccupées, nous avons décidé d’agir. Comme prévu, Ichika ne s’est pas laissée faire et nous a menacés. Hoshizora a sorti son arme et tenté de la neutraliser, sans succès malgré nos améliorations biomécaniques. Elle a fait preuve d’une grande force et de beaucoup d’agilité.

— Vous n’avez pas réussi à la neutraliser ?

— En effet… Elle s’est enfuie vers un parc à proximité avant de se défendre, loin de toute présence humaine. Celui qui l’a construite savait très bien qu’elle allait devoir se battre. Cependant, la suite a été bien plus intéressante malgré notre défaite. Hoshizora ?

— Non, fais-le à ma place, je peux pas me lever. L’injection ne me fait pas d’effet !

— Bien… Hoshizora a donc essayé de parlementer avec elle afin que l’on connaisse ses motivations, mais elle n’a pas su s’expliquer. Sa mémoire a été, semble-t-il, corrompue. À croire que le prototype du laboratoire S2 n’était pas parfaitement fiable. Elle n’a pas pu nous dire pourquoi elle est ici, à part qu’elle doit « sauver l’éternité. »

— Sauver l’éternité… Je vais noter ça et voir si on ne peut pas trouver une référence quelconque. Il doit s’agir d’un nom de code.

— Elle doit forcément penser qu’une menace ou un danger existe, si elle est là pour « sauver l’éternité », peu importe ce que c’est.

— Que s’est-il passé ensuite ?

— J’ai profité de son hésitation pour tenter de la neutraliser, mais elle a activé un second générateur bien plus puissant et a dégainé une lame chromodynamique de son bras droit. Elle a projeté Hoshizora au loin, ce qui lui a cassé le bras gauche.

Satoshi entendit un grognement venant du futon et continua.

— Elle ne cherchait absolument pas à nous tuer, sinon elle l’aurait fait dès le départ. Plus intéressant encore, lorsque Jin Ichinose est arrivé et l’a appelée par son nom, elle s’est arrêtée net et s’est enfuie.

— Jin Ichinose ?

— Il s’agit de l’une des personnes chez qui elle loge. Tout est dans le rapport en cours de transfert.

— Il vous a vus ?

— Non, je ne pense pas, nous avions activé nos camouflages optiques. Il a ramassé les effets personnels d’Ichika, dont son bracelet, et a cherché à la rejoindre. Nous sommes partis immédiatement, étant donné que Hoshizora était blessée.

— J’ai très mal, grogna-t-elle de nouveau.

Satoshi l’ignora et conclut :

— C’est tout pour cette fois. Nous allons continuer d’enquêter. Ichika semble tenter de vivre normalement parmi les civils ici. Il est difficile de l’approcher sans se faire voir de la population. D’ailleurs Mirai, j’aurais une requête à formuler…



* * *

SYS : Système connecté à une source électrique
SYS : Etat des lieux des réparations
SYS : Début de la reconstruction cutanée
SYS : Fin prévue : 22 jours, 7 heures, 19 minutes, 15 secondes



* * *

Jin et Haruka eurent du mal à dormir ce soir-là, et le soir suivant aussi à vrai dire. Nanami avait interdiction de sortir étant donné son état. En attendant, Haruka avait pris soin de recouvrir de bandages toutes les parties où le métal était exposé. Jin commenta qu’elle avait presque l’air d’une momie, mais la pauvre Nanami n’avait pas vraiment envie de rire de sa situation.

Akari avait tenté de questionner Nanami en discutant avec elle par Internet, mais elle n’en avait pas plus dit qu’à Jin le soir même.

Ce dernier avait finalement décidé de rester à la maison pendant les trois premiers jours de la convalescence de Nanami. Un luxe qu’Haruka ne pouvait se permettre.

Alors qu’il était en train d’effectuer des recherches sur son ordinateur à la table de la cuisine, il entendit la sonnette de la maison retentir. Cela le fit sursauter, lui qui n’attendait pas de visite de sitôt. Ou plutôt, il espérait ne pas recevoir de visite tout court. S’il était resté avec Nanami, c’était parce qu’il s’imaginait que ses assaillants viendraient de nouveau la chercher, directement chez lui, contrairement à ce qu’elle lui avait assuré.

Sur ses gardes, il se leva de sa chaise et regarda à travers la lucarne de la porte. Là où il s’attendait à voir deux personnes, il n’y en avait qu’une : un jeune lycéen. Il ouvrit lentement la porte.

— Bonjour. Hum… Est-ce que… Andô est là ?

Jin avait peut-être l’air un peu austère et méfiant à ce moment, tel un papa poule, ce qui mit Hayate, le camarade de classe de Nanami, un peu mal à l’aise. Ce dernier était habillé d’un simple t-shirt blanc et d’une paire de jeans.

— Tu es ?

— Pardon ! Je ne me suis pas présenté !

Il se gratta l’arrière de la tête, l’air un peu bête.

— Je suis Hayate Sonoda. Je suis dans la même classe qu’Andô…

— Oh, Hayate, donc.

— Oui, je… j’ai cru comprendre qu’elle avait eu quelques soucis et je voulais lui rendre visite, pour, euh… hé bien, prendre de ses nouvelles.

C’était une première pour Jin. Akari avait probablement dû lui donner son adresse.

Le garçon avait l’air un peu timide, ceci dit. Cela fit baisser sa garde à Jin.

— Je vois. Entre, alors. Je suis Jin Ichinose, son tuteur.

— Oui, je me souviens de vous, je vous ai vu en classe quand vous étiez venu pour désinscrire Andô…

— Ah, oui, bien sûr…

Jin le laissa entrer. Hayate retira alors ses chaussures.

— Nanami est à l’étage, indiqua Jin.

Hayate leva les yeux. Il pouvait entendre du piano venant d’en haut.

— C’est elle qui joue ?

— En effet. Angel, de Alexis Ffrench, commenta Jin.

— Vous vous y connaissez en musique classique ?

— En musique en général, c’est mon hobby.

— Oh, d’accord.

— Viens, je vais t’accompagner.

À l’étage, Nanami avait les yeux fermés, et jouait un morceau sur le synthétiseur de Jin. Elle portait un haut orange découvrant ses bras encore bandés, et une jupe verte tout ce qu’il y a de plus classique. Elle ne savait souvent pas quoi porter à part son uniforme scolaire, mais en l’absence d’école, c’était Haruka qui lui dictait comment se vêtir la plupart du temps. À part pour des besoins fonctionnels, choisir comment s’habiller était encore un concept un peu vague pour la jeune androïde. Sa peau avait à peine commencé sa reconstruction et seuls son cou et ses épaules apparaissaient déjà comme humains, deux jours seulement après son altercation avec Satoshi et Ema.

Pour atteindre une telle vitesse de régénération, Nanami était restée branchée presque constamment à une prise de courant, de jour comme de nuit.

Ses doigts, tout aussi bandés que le reste de son corps, pianotaient sur le clavier au rythme de la partition qu’elle n’avait pas besoin de lire.

Elle tourna la tête quand Jin ouvrit la porte de l’étude, laissant entrer Hayate.

— Tu as de la visite, Nanami.

— Ah ?

Elle vit alors Hayate et s’arrêta net de jouer.

— S…Sonoda !

— B…Bonjour Andô…

Il lui sourit timidement, ce qui provoqua un petit rire étouffé chez Jin.

— Je vais vous préparer du thé.

— J…Je vais le faire !

Nanami se leva et voulut l’aider, comme si elle ne souhaitait pas se retrouver seule avec Hayate.

— Non, non, toi tu restes ici. Hayate est venu te voir, tu restes avec lui.

— Mais… !

Jin referma la porte et descendit à la cuisine préparer du thé.

— Je… je peux repartir, si je dérange…

— Euh… non, non, reste !

Nanami était très embarrassée de l’arrivée surprise de Hayate, et regarda le canapé, avant de tourner son regard vers son camarade de classe.

— Tu peux t’asseoir si tu veux.

— Merci. Désolé du dérangement…

Lorsque Jin remonta avec un plateau contenant deux tasses de thé et quelques biscuits, il frappa avant d’entrer, et constata que Nanami et Hayate étaient assis l’un à côté de l’autre sur le canapé et avaient l’air tendus. L’androïde, toujours branchée à sa rallonge, avait fait passer le câble au-dessus du canapé.

— Je laisse ça ici, dit-il doucement en déposant le plateau sur la table basse.

— M…Merci, laissa échapper Nanami.

Les mains sur ses genoux, elle regarda Jin refermer la porte derrière lui, puis soupira.

— Tu es sûre que je ne te dérange pas Andô ?

— Hein, quoi ? Moi ? Non non, pas du tout ! P…Prends du thé !



* * *

NODOKA : Aaah ! Nanami est seule avec Hayate ! Kyaa ! Je ne tiens plus en place !
SHOKO : Ritsu, prépare les sédatifs.
RITSU : Nous sommes des programmes informatiques, Shoko. Les sédatifs ne fonctionnent pas sur nous.
SHOKO : Ton absence de sens de l’humour est un vrai problème, Ritsu.



* * *

Akari, seule dans sa chambre de dortoir, était en train de tapoter le côté de son ordinateur portable d’un air impatient. Assise à son bureau, les cheveux détachés, vêtue d’un short et d’un simple débardeur, elle prit une gorgée d’une canette posée sur son bureau lorsqu’une notification se fit entendre sur son smartphone.

— Envoie des secours ! Je suis seule avec Sonoda ! Qu’est-ce que je dois faire !?

La jeune Ayase esquissa un léger sourire.

— Hé bien, hé bien…

Elle commença à taper une réponse, mais en voyant les messages paniqués de Nanami se succéder avant même qu’elle n’ait le temps de finir d’écrire, elle laissa apparaître un sourire menaçant et changea d’avis. Elle effaça tout et écrivit « Bon courage ! » suivi d’un smiley clin d’œil mignon, puis coupa ses notifications.

— Comment est-ce que je peux me concentrer avec tous ces messages ?

Akari reprit alors ses très importantes activités de pianotage sur son clavier.



* * *

NODOKA : Nous voilà désormais seules sur ce champ de bataille ! Il faut sauver le soldat Nanami !
SHOKO : Tu es seule sur ce coup Nodoka.
RITSU : En effet, je ne comprends pas ce que tu trouves à ce Hayate Sonoda.
NODOKA : orz
RITSU : ( ͡^ ͜ʖ ͡^ )
SHOKO : Non, Ritsu, tu es flippante là.



* * *

— Tu es sûre que ça va Andô ? Tu as l’air contrariée…

Difficile pour Nanami de ne pas montrer sa déception face à la lâche trahison d’Akari, qui l’avait laissée seule face à l’adversité.

— Oui, oui, ne t’inquiète pas ! Mais pourquoi es-tu venu me voir aujourd’hui ?

— Hé bien, tu as dit sur le LINE de la classe que tu avais eu quelques soucis, du coup j’ai demandé au délégué de me donner ton adresse… J’aurais peut-être dû te demander avant, mais je n’ai pas osé, je me suis dit qu’une surprise serait plus sympa.

— Ah, euh, en effet, c’est une surprise…

Elle regarda ses mains bandées, posées sur ses genoux. Hayate suivit son regard et commenta.

— Tu t’es blessée ?

— On peut dire ça, oui.

— Est-ce que tu as eu mal ? Tu ressens la douleur, non ? Quand je t’ai blessée durant le match de baseball…

— En fait, je ne ressens pas exactement la douleur… Elle est simulée, je comprends juste que mon corps subit une agression, mais ça ne fait pas mal. Je réagis juste comme si cela faisait mal, car ça me rend plus humaine.

— Ah… Ça paraît logique, quand on y pense.

Il se tut et réfléchit à ses paroles avant de reprendre.

— Tu es très humaine, Andô.

— Merci. T…Tu peux m’appeler Nanami, si tu veux.

— D’accord ! Appelle-moi Hayate, alors.

— D’accord !

Ils échangèrent un léger sourire. Nanami ne savait vraiment pas comment traiter le jeune garçon. Il était très gentil et s’intéressait à elle d’une façon inédite pour la jeune fille.

— Si tu veux, je peux te montrer…

— Me montrer… ?

Elle lui sourit, et retira les bandages autour de sa main gauche et de son bras, exposant des parties de son corps où la peau ne s’était pas encore régénérée.

— C’est à ça que je ressemble.

— Oui, je m’en souviens. On avait vu ton bras, dans le car.

— Tu as bonne mémoire !

— C’est drôle, je t’ai dit exactement la même chose à l’infirmerie, je m’en rappelle encore.

Cela les fit rire tous les deux.

— Ma peau agit comme une protection, mais quand elle est trop endommagée, elle disparaît. Comme pour les humains, elle se reconstruit avec du temps et de l’énergie. C’est pour ça que je reste branchée au courant depuis deux jours, expliqua-t-elle.

— Est-ce que je peux… ?

Il approcha sa main, par curiosité. Celle-ci confirma d’un hochement de tête qu’il pouvait toucher. Il hésita encore un peu, puis plaça ses doigts contre ceux, métalliques, de Nanami.

— C’est froid.

— D…Désolée… Je dois me maintenir à basse température.

Il semblait très curieux et prit doucement sa main dans la sienne.

— C’est froid, mais c’est bien vivant. Je sens les vibrations à l’intérieur.

— C’est un peu embarrassant…

Nanami baissa la tête, mais ne retira pas sa main.

— À vrai dire, je ne m’intéressais pas aux robots avant que ton identité soit révélée. Mais depuis, j’ai commencé à me passionner pour le sujet. Tu es vraiment unique, je me suis dit que j’avais beaucoup de chance d’être dans ta classe.

Il relâcha sa main. Nanami releva alors les yeux vers lui.

— C’est vrai ? Tu t’intéresses aux robots ?

— Oui. Je te trouve géniale, Nanami. Tu nous as tous protégés l’autre fois, tu es gentille, tu fais attention aux autres…

— Ah je… ça fait beaucoup de compliments, dit-elle en riant doucement.

— Je le pense vraiment !

— Merci…

— Attends, je vais t’aider à remettre tes bandages.

Ils continuèrent à discuter alors que Hayate s’occupait de son bras gauche.

— Dis, Nanami, hum…

— Oui ?

— Est-ce que tu veux bien que je vienne te voir plus souvent cet été ?

— Ah euh…

Elle devint silencieuse et baissa les yeux de nouveau.

— Tu as peut-être mieux à faire… Et je ne peux pas sortir d’ici jusqu’à la rentrée…

— Ce n’est pas grave. Je n’ai rien de prévu ces jours-ci.

— Dans ce cas, ça me plairait, oui.

— Tu es sûre ?

Nanami releva la tête et offrit un sourire à Hayate.

— Certaine ! Oh, je sais, je pourrai te jouer quelques morceaux si tu veux !

— Super ! En plus, ça sera parfait pour faire mes devoirs de vacances !

Nanami eut presque l’air surprise.

— C’est vrai qu’il y a des devoirs de vacances !

— Mais j’imagine que pour toi cela sera très facile, non ?

— Bien sûr, je suis une jeune fille très intelligente !

Cela les fit rire de bon cœur tous les deux. Bien qu’elle comme lui ne savaient pas toujours bien comment traiter l’autre, l’atmosphère s’était détendue. Après avoir discuté encore un peu tout en buvant du thé, Hayate décida qu’il était temps de partir.

— Je peux revenir demain ?

Elle se tenait debout dans le hall d’entrée et le regardait mettre ses chaussures.

— Oui, bien sûr que tu peux !

— Super !

Une fois ses chaussures lacées, il se releva et tourna la tête vers elle.

— À demain alors !

— Oui, à demain. Désolée, je ne peux pas sortir comme ça.

— C’est pas grave.

Il referma la porte derrière lui. Nanami regarda dans le vide un long moment, le sourire aux lèvres, en direction de la porte d’entrée avant que Jin ne la sorte de sa rêverie.

— Tu devrais retourner te brancher, Nanami.

— Oui, tu as raison.

Jin l’observa remonter les escaliers vers l’étude. Il s’installa de nouveau devant son ordinateur portable, toujours posé sur la table de la cuisine.



* * *

Hayate continua sa route vers la gare pour repartir vers chez lui. Sans le savoir, il croisa le chemin d’Ema et de Satoshi, habillés de costumes noirs. En omettant le bras dans le plâtre d’Ema, et en ajoutant des lunettes noires, ils auraient pu passer pour des Men In Black.

Une fois arrivés, Satoshi jeta un œil à Ema.

— Ça va aller ?

— Oui, je suis prête.

— Parfait.

Voyant la porte d’entrée fermée, il approcha sa main pour l’ouvrir, mais sursauta lorsque la fenêtre de la cuisine s’ouvrit, laissant apparaître la tête de Jin.

— Vous cherchez Nanami, c’est ça ?

— Tch !

Satoshi sembla particulièrement agacé. Jin, lui, avait l’air particulièrement sérieux, et observa les deux personnes à sa porte.

— J’ai fait du thé, vous en voulez ?

— Koizumi, on fait quoi ?

Les deux avaient semble-t-il un moyen de communiquer sans se parler.

— Pas le choix, lui répondit-il. Coupe ton linker, on ne sait jamais.

Ema hocha la tête, et sourit à Jin.

— Merci de nous accueillir, dit-elle à haute voix.

Jin leur ouvrit la porte, et les observa attentivement. Ils prirent le temps d’enlever leurs chaussures dans l’entrée avant d’être guidés vers le salon. Il les fit alors s’asseoir sur le canapé avant de leur apporter le thé promis et de s’installer en face d’eux, sur le fauteuil.

— Avant que vous ne me racontiez ce que vous allez bien vouloir me raconter, je tiens à vous prévenir que si jamais il arrivait quelque chose, à moi ou à Nanami, vos visages seront envoyés sur le Net.

D’après ce que Nanami avait pu lui dire, Jin en avait déduit que ces deux personnes tenaient à leur anonymat. Ema et Satoshi restèrent cependant calmes. Ce dernier haussa même les épaules.

— Nous ne nous attendions pas à vous trouver chez vous, expliqua-t-il.

— Je me doutais que vous reviendriez à la charge après ce qu’il s’est passé la dernière fois.

Jin semblait posé, et maîtrisait la situation. Du moins, c’est ce qu’il pensait.

— Nanami… est très importante pour nous, nous souhaitons la récupérer. Sa place n’est pas ici, expliqua Ema.

— Qui êtes-vous au juste ? demanda Jin.

Il pensait pouvoir obtenir des réponses à toutes les questions qu’il se posait concernant Nanami depuis qu’elle était arrivée. Ema prit la parole pour répondre.

— Je suis Ema Hoshizora, et voici Satoshi Koizumi. Ce sont nos vrais noms cette fois. Nous appartenons à une entreprise de haute technologie étrangère dont nous ne pouvons pas divulguer le nom. Ichika… pardon, Nanami est l’un de nos prototypes les plus avancés, mais elle s’est échappée. Monsieur Ichinose, vous qui travaillez dans le même secteur, vous devez bien comprendre les enjeux, n’est-ce pas ?

Jin garda ses jambes et ses bras croisés tout en les fixant du regard à travers ses lunettes.

— Vous entendez cette musique qui vient d’en haut ?

— Oui ?

— C’est Nanami qui joue. C’est joli, n’est-ce pas ?

Ema et Satoshi se regardèrent, ne comprenant pas tellement où il voulait en venir.

— Pour le moment, Nanami n’a représenté aucun danger. Je dirais d’ailleurs que pour une machine, elle est particulièrement intelligente et dotée d’une conscience capable de déterminer ce qui est bien et mal, à quelques exceptions près. Ça me fait mal de l’admettre, mais ma société n’a probablement pas les connaissances pour réaliser quelque chose d’aussi proche de la perfection que Nanami.

Il marqua une pause pour boire une gorgée de son thé.

— Je fais très attention à ce qu’elle fait et je lui ai bien fait comprendre que si elle voulait s’immiscer dans notre vie, elle ne devrait causer aucun remous et faire particulièrement attention à paraître humaine. Elle n’a enfreint cette règle qu’une seule fois. C’était pour sauver ses camarades de classe lors d’une prise d’otage. J’ai estimé qu’elle avait bien agi et j’ai senti dans sa réaction qu’elle était prise de regrets parce qu’elle avait enfreint les règles. Pour moi, elle a fait preuve de bien plus d’humanité que de nombreuses personnes dans ce pays.

— M. Ichinose, je comprends ce que vous voulez dire, mais Nanami est dangereuse et nous devons la récupérer immédiatement.

— Vraiment ? Dangereuse, alors qu’elle est capable de jouer et d’apprécier de la musique et de sauver des vies ? Qu’elle aide mes voisins tous les jours, qu’elle participe aux tâches ménagères, aide ses camarades de classe pour leurs études, et j’en passe ?

— Vous savez qui d’autre aimait la musique ? Adolf Hitler, répondit Satoshi froidement.

Jin fronça les sourcils, mais ne se sentit pas décontenancé pour autant.

— Il va falloir plus que ça pour me convaincre. Quand bien même, je ne crois pas que Nanami soit une menace. Je lui fais confiance. J’aimerais bien que vous m’expliquiez en quoi elle est dangereuse.

Ema et Satoshi ne savaient pas quoi répondre à ce moment, ou peut-être gardaient-ils simplement le silence pour laisser parler Jin. Voyant que la voie était libre, il continua :

— Ou bien, est-ce parce qu’elle vous a mis une bonne raclée l’autre soir ?

— Vous ne prenez pas de gants, M. Ichinose.

— Non, mais j’ai quelque chose à vous proposer…

Cela surprit Ema et Satoshi, qui écoutèrent Jin attentivement.



* * *

Nanami s’arrêta de jouer lorsqu’elle eut fait le tour des partitions disponibles sur la pile que Jin lui avait préparée. Elle éteignit l’installation audio avant de sortir de la pièce.

— Hum ? Jin parle avec quelqu’un ?

Elle ne tarda pas à reconnaître les voix des personnes avec lesquelles Jin s’entretenait, et bondit en bas des escaliers, avant d’entrer dans le salon.

— Vous !

Satoshi et Ema s’apprêtaient à se lever et riposter. Le regard de Nanami était noir. Elle était folle de rage de les voir ici, chez elle et s’avança d’un pas décidé.

— Nanami ! Stop, ordonna Jin fermement.

Elle s’arrêta net.

— Calme-toi immédiatement et écoute.

Ema eut l’air étonnée de voir Nanami obéir aussi aveuglément à Jin.

— Non, je veux qu’ils s’en aillent. Je ne veux pas qu’ils s’attaquent à toi ou à Haruka, ou à personne d’autre !

Ema tenta de la raisonner :

— Nanami, crois-tu que nous serions venus nous battre alors que mon bras est cassé ?

Satoshi continua avant que l’androïde ne puisse répondre.

— Nous allons te laisser continuer ta petite vie seulement si tu te tiens tranquille et continues de te fondre parmi les humains. Nous allons t’observer continuellement, et si tu dérapes à un moment, nous userons de tous les moyens à notre disposition pour te ramener avec nous.

Nanami se calma immédiatement.

— Hein ?

— Tu nous as bien entendu.

Satoshi la dépassa, avec Ema qui le suivit de près.

— Merci pour le thé, M. Ichinose, ajouta Satoshi.

Ce dernier hocha la tête en les voyant remettre leurs chaussures et sortir de la maison. Une fois qu’ils furent partis, Nanami se tourna vers Jin :

— C’était…

— Ils mentent très mal. Je suis certain qu’ils ne sont pas ce qu’ils prétendent être. Ils doivent avoir une bonne raison de m’avoir menti, cependant. Une raison que je ne comprends pas encore.

— Je ne veux pas repartir avec eux !

— Je sais ça, Nanami. Je nous ai juste fait gagner du temps.

Il s’approcha d’elle.

— Tu es venue chez nous pour accomplir une tâche, n’est-ce pas ? On va t’y aider jusqu’à ce que ça soit fait. Je te le promets.

— Jin…

— Tu as entendu Haruka hier, tu fais partie de notre famille après tout.

Sans réellement réfléchir, elle vint blottir sa tête contre le torse de Jin.

— Merci. Je vais tout faire pour retrouver la raison de ma présence ici… Le sens de mon existence. Je sais que c’est enfoui quelque part en moi.

— On a tout le temps pour ça Nanami.

— Oui. Mais… J’ai peur.

— Hein, mais de quoi ?

Qu’est-ce qui pouvait lui faire peur ? Et d’abord, comment une androïde pouvait-elle avoir peur, s’interrogea Jin.

— J’ai peur de ne plus être la même une fois que je saurai. J’ai peur de ne plus vouloir vous protéger. J’ai peur de changer et de vous mettre en danger.

— Nanami…



* * *

Ema et Satoshi semblaient ennuyés en sortant de chez Jin et Haruka.

— Quel échec, se plaignit Satoshi.

Sa partenaire hocha la tête.

— Oui, on n’avait pas pensé qu’il prendrait un jour de congé.

— Il se doute qu’on lui a menti, c’est évident.

Ema soupira, et le plus calmement du monde, défit son attelle, avant de retirer son bras du plâtre. Sa main tenait une arme similaire à celle qu’elle avait utilisée sur Nanami quelques jours auparavant.

Elle jeta ce qui maintenait son bras en place dans une poubelle voisine.

— Au moins je n’aurai pas eu à me servir de ça, dit-elle en rangeant son arme dans sa veste.

— Le plâtre était une bonne idée pour lui faire croire qu’elle nous avait mis en difficulté.

Elle soupira de nouveau.

— Vu comme elle s’est avancée vers nous, elle a clairement vu ce qu’il y avait à travers. Il faut qu’on cesse de la sous-estimer… Enfin, Central a approuvé ton plan, Koizumi. On a plus qu’à le suivre.

Satoshi hocha la tête et continua à marcher à ses côtés. Sa coéquipière finit par rompre le silence qui s’était installé.

— Ça te dit un restaurant de ramen ce soir ?

Il hésita à répondre, puis haussa les épaules.

— Oui, pourquoi pas.



* * *

Un homme dans la cinquantaine observait la ville depuis sa fenêtre. Il avait une vue imprenable sur celle-ci depuis son bureau. Il se retourna alors et regarda un autre homme, en costume tout comme lui, assis dans un canapé au milieu de la pièce.

— Je suis au courant pour les agents que vous avez envoyés pour enquêter, fit l’homme près de la fenêtre.

— Je vois qu’on ne peut rien vous cacher…

— Laissez-moi vous dire que si jamais cela s’ébruite, je ne donne pas cher de votre peau.

— J’en suis parfaitement conscient. Mais au vu des circonstances, nous nous devons, pour la sûreté de la nation, d’avoir l’œil sur tout ce qui peut nuire à la supériorité technologique de ce pays. Tout comme ce qui peut nous être bénéfique.

— Je dois admettre que votre réseau d’information est particulièrement efficace.

— Votre sécurité l’est tout autant.

L’homme à la chevelure grisonnante et aux lunettes rondes qui était assis dans le canapé laissa échapper un petit rire.

— Cela ne me fait pas rire, continua l’autre homme. J’ai beau avoir des comptes à vous rendre, je ne travaille pas pour votre gouvernement. Je travaille pour le futur de ce pays, et même du monde.

L’homme sur le canapé se leva.

— Je comprends. L’important est que nous soyons sur la même longueur d’onde, M. Uchida. Au moins, vous savez maintenant à quoi vous en tenir. Sur ce, le devoir m’appelle. Je ne vais pas vous déranger plus longtemps.

Et sur ce, il quitta la pièce, laissant l’autre homme seul. Ce dernier regarda de nouveau la ville s’étendre devant lui à perte de vue.

— J’espère que je me trompe…



Commentaires fermés.