Plusieurs dizaines de mètres sous terre, dans les laboratoires de la société NS, l’ambiance était on ne peut plus tendue, pour ne pas dire stressante.
Haruka et Shiho, sa supérieure, se tenaient côte à côte, debout derrière plusieurs opérateurs assis, surveillant des écrans dans une salle de contrôle.
— En forme ?
Haruka tourna la tête vers Shiho.
— Ça s’voit pas ?
Cela fit glousser sa collègue. Comment pouvait-elle ignorer les cernes et le regard presque sans vie de Haruka ? Cette dernière continua.
— J’ai à peine dormi et la douche ne m’a pas suffisamment réveillée. Ça va faire une semaine que je n’ai pas vu mon petit ami. Je veux des vacances et je les veux tout de suite.
— Je ne sais même pas si tu pourras te reposer après tout ça. Si ça marche.
— Si ça marche…
Haruka soupira. Elle allait ajouter quelque chose quand la porte de la salle de contrôle s’ouvrit.
— Ah, Ayase, Tôjô, vous êtes là.
Un homme, en blouse blanche comme le reste de l’équipe, entra. Il fut suivi par un autre en costume plus classique.
— M. Fukawa…
— Je suis venu voir comment ça se passait, et M. Kubo a tenu à m’accompagner.
Ce dernier salua silencieusement de la tête les employés présents. Haruka, elle, ne savait vraiment plus où se mettre.
— C…Chef ! M. le vice-président ! C’est un honneur de vous recevoir !
— Du calme, Ayase, ne vous en faites pas, nous sommes juste venus observer, rien de plus.
Il la regarda de haut en bas, puis commenta :
— Vous avez grise mine, tout va bien ?
Shiho décida de prendre la parole pour défendre sa collègue :
— Haruka s’est démenée pour que les tests se déroulent dans les meilleures conditions possible, et ce dans les délais qui nous ont été fixés.
Puis elle continua en s’adressant plus directement à son supérieur hiérarchique :
— C’est assez rare de vous voir par ici à une heure si matinale, chef.
— En effet, mais M. Kubo voulait que je lui montre comment avançaient les travaux du téléporteur. Comme vous le savez, la direction place beaucoup d’espoirs dans cette technologie.
Haruka sentait qu’elle pourrait s’évanouir à tout moment. Elle n’avait pas besoin d’encore plus de pression sur ses épaules.
— Il ne s’agit que des tests d’allumage et d’extinction pour le moment. Il reste encore des semaines d’expériences avant d’arriver à des tests plus concrets.
M. Fukawa hocha la tête.
— Bien sûr.
L’un des opérateurs tourna son siège vers Haruka.
— Madame Ayase, tout est prêt.
Haruka reprit ses esprits et regarda Shiho, avant de se tourner vers l’opérateur qui l’avait appelée.
— D’accord, nous commençons immédiatement.
— Entendu.
Les cinq opérateurs autour d’eux pianotèrent sur leurs claviers, ce qui fit défiler sur les écrans de nombreuses informations uniquement compréhensibles par le personnel scientifique présent dans la salle. Ils annoncèrent une par une chaque étape de l’allumage afin d’en vérifier le bon déroulement.
— Début de la séquence de démarrage.
— Ouverture des flux d’énergie.
— Activation de l’IFF.
Haruka et Shiho quant à elles supervisaient le tout avec attention. Plusieurs minutes s’étaient écoulées depuis le début des opérations. Tout semblait bien se passer, jusqu’à ce qu’un des voyants à l’écran vire à l’orange.
— Anomalies dans les circuits 2B et 9S.
— Faites voir !
Haruka s’approcha de la jeune femme qui venait de lui signaler l’erreur.
— Ils sont trop chargés ! Redirigez une partie de l’énergie sur le circuit 11B. On n’a pas besoin du tampon mémoriel pour le moment… et ajustez la dérivation d’énergie de 0.02 point.
— O-Oui madame.
Elle observa l’opératrice manipuler le clavier.
— Poussez-vous, vous êtes trop lente.
— P-Pardon !
La jeune femme, évidemment gênée, se leva et laissa Haruka s’asseoir. Celle-ci commença à entrer des commandes dans le terminal à toute vitesse.
— Ah, si ça ne marche pas, on sera bons pour reconstruire la salle !
Shiho et les autres spectateurs se raidirent, mais restèrent silencieux.
— Voilà… tout doux maintenant.
Les voyants repassèrent tous au vert sur les écrans, ce qui sembla soulager la pauvre Haruka.
— A-Allumage OK.
— Tous les indicateurs sont nominaux, le système signale qu’il est opérationnel.
Shiho s’approcha de Haruka, qui se leva de son siège. Cette dernière jeta un regard désolé à l’opératrice dont elle avait pris la place, et la laissa reprendre son poste.
— Il reste encore quelques réglages, on dirait.
— O-Oui, j’ai dû faire une erreur quelque part dans le schéma d’alimentation. On refera un second test demain…
C’était au tour de Haruka d’être embarrassée, surtout en présence de son chef et du vice-président de la société.
— Nous allons vous laisser travailler. Au moins le système semble avoir démarré, grâce à votre prise de décision rapide.
— M-Merci monsieur.
— Il reste encore les différents tests unitaires avant que l’on fasse un vrai premier essai n’est-ce pas ? Nous comptons sur vous, Ayase.
— Je ne vous décevrai pas !
Elle fit une courbette devant les deux hommes avant qu’ils ne tournent les talons et quittent la pièce. Le vice-président n’avait absolument pas ouvert la bouche de toute l’expérience, ce qui avait rendu Haruka d’autant plus mal à l’aise.
Lorsque la porte se referma automatiquement derrière eux, Shiho haussa les épaules.
— Je pense que ça s’est bien passé, ils sont simplement venus voir où était passé tout l’argent… Hé, Haruka, relève-toi, ils sont partis !
— Je veux rentrer chez moi dormir, par pitié…
* * *
Début septembre marquait la reprise des cours et la déception des élèves à cause de la fin des vacances. Les quelques mois qui les séparaient des examens de fin d’année ne faisaient qu’ajouter au désespoir de certains.
Akari et Satsuki marchaient côte à côte le long du chemin les menant au lycée Kirigaoka. La jeune sœur Ayase semblait inquiète par la mine déconfite de son amie.
— Ça ne va pas, Satsuki ?
— J’ai pas assez dormi… J’ai dû finir mes devoirs de vacances à la dernière minute.
Akari eut envie de lui sortir un « Je te l’avais bien dit » bien senti, mais se retint.
— Allons, le plus dur est derrière toi maintenant.
— Jusqu’aux examens…
— Akari ! Satsuki !
Une autre étudiante aux cheveux roux et au ruban rouge vif s’approcha d’elles pour les saluer.
— Nanami !
Avec ses yeux bleus et son sourire presque imprimé sur son visage, l’androïde offrit aux deux jeunes filles une courbette en guise de salutation.
— Contente de voir que ça va mieux, Nanami.
Alors qu’Akari souriait, Nanami lui fit un salut militaire exagéré de la main.
— Je suis de nouveau pleinement opérationnelle, Commandante Ayase ! Lieutenante Minami ! Je suis prête à affronter les profs, les devoirs et les examens !
Cela fit glousser Akari. Satsuki, elle, retourna le salut un peu maladroitement de sa main, d’une façon particulièrement mignonne.
— Parfait, soldat Nanami !
— Nanami !
C’était au tour de Hayate de les rejoindre. Le jeune garçon s’approcha des filles et les salua.
— Bonjour à toutes.
— Bonjour Sonoda, répondirent-elles en coeur.
— Vous avez pu finir vos devoirs de vacances ?
— Aucun problème, répondit Nanami.
— Aucun problème non plus ici, répondit Akari avec le sourire.
Bien sûr, Satsuki n’était pas aussi réjouie.
— J’aurais bien aimé une semaine de plus…
Cela fit bien rire le groupe, qui continua à marcher jusqu’au portail de leur école. Alors qu’ils allaient le franchir, une voiture de luxe s’arrêta à leur niveau. Il en sortit une domestique qui s’empressa d’ouvrir la porte arrière. Une grande fille aux longs cheveux bruns sortit du véhicule. Elle aussi en uniforme scolaire, elle s’adressa à la jeune femme l’accompagnant.
— Merci Maho.
La domestique lui offrit une courbette.
— Passez une bonne journée, maîtresse.
Puis elle se retira dans la voiture, avant de repartir.
Personne ne semblait particulièrement choqué, comme si l’arrivée de la présidente du conseil des élèves en voiture à l’école était devenue un spectacle habituel. En regardant autour d’elle, Mizuho aperçut le petit groupe et s’approcha.
— Salutations.
Elle se tourna alors vers la jeune androïde.
— Comment vas-tu Nanami ? J’ai cru comprendre que tu t’étais blessée cet été.
Akari eut un léger sursaut, se demandant comment Mizuho pouvait être au courant. Cela n’était techniquement pas sorti du groupe LINE de la classe.
— Oh, je vais mieux ! Merci de vous en inquiéter, présidente.
— Voilà qui est rassurant. N’hésite pas à venir me voir au bureau du conseil après les cours si tu as un quelconque souci. Sur ce…
Elle leur offrit un sourire, puis se dirigea vers le bâtiment principal de l’école. Tous les regards étaient portés sur elle. Il faut dire que la présidente jouissait d’une popularité peu commune au lycée. Elle intimidait les garçons et faisait rougir les filles par sa simple présence.
— Elle tient beaucoup à toi Nanami, fit remarquer Satsuki.
— Vous trouvez ?
Akari et Hayate hochèrent la tête. Cela laissa Nanami perplexe.
— Hum…
— Ah, au fait, Nanami, commença Hayate d’un air gêné, est-ce qu’on peut se voir après les cours ?
— Bien sûr, si tu veux ! Où ça ?
— Euh, sur le toit de l’école ?
— C’est noté !
Les yeux de Satsuki s’illuminèrent alors.
* * *
NODOKA : Vous pensez à ce que je pense ?
RITSU : Non.
SHOKO : Non.
NODOKA : Il va lui faire sa déclaration ! C'est obligé ! Je vais vite réindexer les mangas qu'on a lus pour étudier toutes les possibilités de dialogue ! Il faut que Nanami soit prête !
SHOKO : Qu'est-ce qui pourrait mal se passer ?
* * *
Sans que Nanami et Hayate s’en inquiètent, la nouvelle avait pratiquement fait le tour de la classe sitôt la première heure de cours terminée.
Lorsque vint la fin de journée, Hayate alla voir Nanami et l’invita à le suivre. Quelques secondes plus tard, un groupe de filles composé de Satsuki, Megumi, et Marika se leva. Akari rangeait ses affaires et allait se diriger vers son club quand elle comprit ce qu’il se passait.
— Vous n’allez quand même pas…
Les trois autres se retournèrent avec un sourire en coin.
— Bien sûr que si !
Akari soupira.
Nanami observait la ville à travers le grillage du toit de l’école.
— Tu voulais me parler ?
Hayate semblait bien silencieux, comme s’il avait du mal à trouver les mots justes pour lui parler.
— Je vois que tu t’es complètement rétablie.
Un peu plus loin, par l’entrebâillement de la porte, le groupe de filles s’était agglutiné, tentant de ne pas se faire remarquer. Elles cherchaient toutes un moyen d’y voir quelque chose.
— Vous croyez qu’il va lui dire ce que je pense qu’il va lui dire, demanda Megumi.
— Oh là là, j’espère ! Il n’a pas arrêté d’aller chez elle cet été !
— Il ne s’est rien passé vous savez, signala Akari, qui s’était incrustée dans le groupe, trop curieuse pour ne pas les suivre également.
— Arrêtez de parler, on n’entend rien, se plaignit Satsuki.
Nanami, n’avait pas entendu, ou ignorait peut-être volontairement, les filles qui les espionnaient.
— Tu as l’air un peu tendu, tu es sûr que ça va ?
Elle s’approcha de Hayate, qui se raidit quelque peu.
— Euh, Nanami, ton visage est trop près…
Du côté de la porte, les filles s’excitaient.
— Wow attendez ! Nanami est super entreprenante !
— J’en reviens pas !
— Elle va l’embrasser c’est sûr !
Nanami fit un pas en arrière et sourit.
— Ah ? Pardon, je ne voulais pas te mettre mal à l’aise.
— Je t’assure, tout va bien, c’est juste que… euh… j’ai une chose à te demander… Je voulais le faire cet été, mais comme tu étais convalescente j’ai attendu…
— De quoi s’agit-il ?
— Hé bien… Est-ce que tu voudrais qu’on sorte ensemble dimanche ?
— …
Nanami bloqua net lorsque Hayate lui posa cette question. Elle cligna des yeux, mais resta silencieuse pendant quelques secondes.
— N-Nanami ?
Alors que les filles s’extasiaient de plus belle, Akari sentit la poche de sa jupe vibrer. Elle sortit son smartphone où les messages affolés de Nanami se succédaient : « Homme à terre ! », « Akari, aide-moi ! » ou encore « Je fais quoi ? Je fais quoi ?! JE RÉPONDS QUOI ? », ce qui fit glousser cette dernière. Elle eut un petit pincement au coeur puis se ressaisit avant de tapoter sur son écran pour répondre.
— Si tu l’aimes bien, accepte. Il est sympa, non ?
Hayate semblait de plus en plus embarrassé devant le silence de Nanami, et commença à s’excuser.
— J-Je suis dé-
— Sortir ensemble ? C’est-à-dire que tu veux qu’on ait un rencard ? Mais quel genre de rencard ?
— Quel… genre ?
Le pauvre ne s’attendait pas à une telle réponse.
— Oui ! Il y a plusieurs genres de rencards ! Il y en avait plein dans les mangas que m’ont prêté Satsuki et Amane ! Par exemple, est-ce que c’est un rencard où on va se tenir la main tout du long sans se parler ? Ou bien est-ce qu’on va s’éviter du regard, ou encore juste manger un gâteau dans un café chic ? Ou alors s’amuser à un parc d’attractions ? Aller voir un film ? Je peux faire tout ça, même le love hotel1 si tu veux, même si j’ai ja-
Hayate l’arrêta tout de suite, la tête baissée.
— Stop, stop ! J’ai compris ! J-Juste un rencard normal. À vrai dire j’ai des billets pour aller à l’aquarium et je… enfin… je voulais juste passer un peu plus de temps avec toi.
Il détourna le regard.
— Plus de temps avec moi ?
— Oui…
La situation était bien sûr inédite pour l’androïde.
— Hum, d’accord.
Il releva la tête, surpris.
— C’est vrai ? Tu es sûre ?
Elle hocha la tête, toujours avec le sourire.
— Oui ! Je veux bien passer la journée avec toi ! Je ne suis jamais allée à un aquarium ! Et puis il y a tout le reste, je suis sûre que ça sera amusant !
— Oh ! Super ! On se retrouve à neuf heures dimanche devant Hachiko2 ?
— D’accord, j’y serai !
De l’autre côté de la porte menant au toit du lycée…
— C’était trop mignon !
— Beaucoup trop mignon !
— Nanami a vraiment trop de la chance.
Akari rit nerveusement, et fut la première à tourner les talons. Même si elle était un peu amère, elle décida de ne pas en parler aux autres pour ne pas gâcher leur moment. Elle les laissa baigner dans leur extase et se dirigea vers le club d’informatique.
Martyriser quelques garçons paresseux allait sans doute lui éviter de trop penser au fait qu’elle aussi aimerait bien avoir un petit ami.
* * *
— Jin, tu viens ? Il est déjà tard.
Ce dernier releva la tête de son écran d’ordinateur. Assis à son bureau, il hocha la tête lorsque Masaru Yasawa, son collègue, l’appela.
Jin jeta un coup d’oeil à sa montre.
— Je suppose que tu as raison.
Il éteignit son ordinateur et se leva de son bureau pour attraper sa veste.
— Toujours pas de nouvelles ?
— Hélas non…
Ils marchèrent jusqu’à l’ascenseur de l’étage, direction le rez-de-chaussée.
— Elle n’a pas essayé de te contacter ?
— Non… Je la connais, quand elle est à fond dans quelque chose, tu ne peux pas l’en sortir aussi facilement.
Masaru haussa les épaules. Sur le chemin, ils croisèrent d’autres collègues qui partaient. Il y en avait même qui revenaient, ayant peut-être oublié quelque chose, ou dont la pause était finie. Certains employés faisaient parfois du zèle ou étaient affectés à des projets demandant qu’ils restent tard.
— Bonne soirée, lança un homme les dépassant. Il semblait pressé.
— Bonne soirée aussi, répondirent Masaru et Jin machinalement.
Ils sortirent du bâtiment, et Jin lança un regard vers l’ascenseur principal menant au Bunker. C’était le surnom donné au sous-sol par les employés de la société. Le laboratoire de recherches de NS était bien gardé, avec de multiples caméras et capteurs biométriques, ce qui renforçait l’aura de mystère l’entourant.
— Ça va faire combien de jours là ?
— Dix.
— Ah oui… Et elle ne t’a même pas dit sur quoi elle travaille ?
Jin secoua la tête.
— Bien sûr que non.
— Hum…
Il savait très bien ce sur quoi elle travaillait, mais ne pouvait rien dire. Masaru observa son collègue dont les pensées étaient accaparées par Haruka, toujours au plus profond du complexe à travailler sur son invention. Jin laissa échapper un soupir, juste avant que les portes de l’ascenseur ne s’ouvrent. Il fut bien déçu qu’un homme seul en sorte, mais il alla tout de même à sa rencontre.
— Excusez-moi !
L’homme, un peu chétif, leva la tête. Il semblait plongé dans ses pensées.
— Euh, oui ?
— Est-ce que vous connaissez Haruka Ayase ? Vous l’avez vue ? Elle n’est pas remontée depuis plusieurs jours !
Son interlocuteur se sentit soudainement intimidé, et ne sût pas quoi répondre immédiatement.
— Répondez-moi, je vous en prie !
— Je-Je n’en sais rien ! Ayase, c’est pas celle qui travaille avec Tôjô ? Elles sont cloîtrées avec leur équipe au labo R1 !
— Cloîtrées ?
— Personne n’en sort à part les grands pontes qui viennent visiter. Il n’y en a que pour ce labo en ce moment, nous aussi on aimerait bien avoir du budget !
— Je…
— Maintenant, laissez-moi rentrer chez moi s’il vous plaît. La journée a été longue.
Jin fronça les sourcils et laissa l’homme s’en aller, ses yeux fixant toujours les portes de l’ascenseur, espérant voir quelqu’un d’autre en sortir. Il aurait bien voulu forcer les portes, descendre voir Haruka, se rassurer, mais pas moyen de passer les contrôles biométriques de toute façon…
Une grande tape dans le dos le fit alors sursauter.
— Hé !
— Allez, je te paye à boire.
Jin plissa les yeux.
— Pas encore dans un de ces bars à hôtesses j’espère ? C’est pas mon truc.
— Quoi ? Allez, j’ai promis à la petite Sora que je retournerais la voir ce soir pourtant ! C’est une Taïwanaise qui vit au Japon depuis trois ans, et tu sais que…
Il prit peur devant le regard noir de Jin.
— La dernière fois que tu m’as emmené dans un endroit pareil, tu as disparu d’un coup et j’ai dû payer ta part.
— Mais je t’ai remboursé après !
Jin jeta un dernier coup d’oeil à l’entrée du Bunker avant de tourner les talons et de se diriger vers le parking en compagnie de Masaru.
— Allez, tu as gagné, boire un peu me changera peut-être les idées.
— Ah, je le savais ! Tu vas voir en plus, ils ont une petite nouvelle, Asami, qui est vraiment chouette !
— On va dans un bar NORMAL.
— Oh non !
* * *
NODOKA : Jolis habits, check.
SHOKO : Argent, check.
RITSU : Batteries chargées, check.
NODOKA, SHOKO et RITSU : Système 100 % opérationnel pour le « rencard » !
* * *
En ce dimanche matin, Nanami avait ce que ses camarades de classe appelaient un rencard. Même si elle avait encore du mal à en concevoir les implications malgré les explications enjouées de Satsuki et les nombreux mangas qu’elle avait lus. La petite dessinatrice en herbe n’avait pu s’empêcher de croquer Hayate et Nanami ensemble dans diverses situations pour montrer à cette dernière à quoi s’attendre. Lorsqu’elle était motivée, elle pouvait dessiner à une vitesse incroyable.
Haruka n’étant pas là pour l’aider à choisir ses vêtements pour une telle sortie, Nanami avait dû demander l’aide de Jin. Lui qui pourtant détestait les sorties shopping que Haruka lui imposait parfois, il s’était retrouvé incapable de résister aux suppliques de l’androïde. Choisir comment s’habiller était l’un des points faibles de Nanami. Elle avait emmagasiné tellement de données contradictoires en cherchant sur Internet qu’elle ne comprenait pas comment s’adapter aux différentes occasions et hésitait en permanence. En particulier pour un rendez-vous avec un garçon.
Lorsque Hayate arriva à la sortie de la gare de Shibuya, devant la célèbre statue du chien Hachiko, il scruta les alentours, mais aucun signe de Nanami. Ce n’est que quand il eut fait un tour sur lui-même qu’il tomba nez à nez avec elle.
— Salut !
— Ah ! S-Salut Nanami ! Tu viens d’arriver ?
— Désolée ! Je suis arrivée en avance et il y a une mamie qui cherchait son chemin, alors je l’ai aidée, et ensuite il y avait un pickpocket après lequel j’ai couru pour le plaquer au sol en attendant que les policiers s’en occupent et…
Cela fit rire Hayate. Ce dernier était habillé d’un simple t-shirt noir avec marqué « I AM COOL GUY » dessus en lettres blanches, un jean bleu et une sacoche en bandoulière.
— Ça te correspond bien Nanami. On y va ?
— Oui !
Hayate tourna les talons et se dirigea vers la gare, mais il s’arrêta net lorsque Nanami s’approcha sur le côté pour lui tenir la main.
— N-Nanami !?
Celle-ci eut l’air interloquée.
— Qu’est-ce qui ne va pas ?
— Ta main…
Elle baissa les yeux, et ne vit rien d’anormal, selon elle. Pourtant, se tenir la main durant un premier rendez-vous était pour le moins direct. Cela indiquait, pour Hayate, un certain avancement dans leur relation.
— J’ai lu que c’était comme ça qu’il fallait faire, dit-elle le plus innocemment du monde, c’est pas bien ?
— Si, c’est juste… surprenant.
— Si ça te dérange, je peux arrêter.
Elle semblait tenir à ce qu’il se sente à l’aise. Hayate, lui, hésita quelques longues secondes. Nanami sentit la main de son partenaire se refermer doucement sur la sienne. Il lui sourit alors, l’air déjà plus détendu.
— Non, c’est bien. Allons-y !
* * *
Après avoir pris la ligne Yamanote, celle qui faisait un tour complet en passant par les plus grands quartiers de Tokyo, les deux adolescents s’arrêtèrent à Shinagawa pour aller à l’aquarium. C’était certes un peu banal, mais Hayate trouvait que cela faisait une bonne activité à faire le matin.
Nanami se retrouva pour la première fois dans un tel endroit. Elle semblait émerveillée devant les tortues, requins, et autres poissons qui nageaient autour d’eux. Pour elle, voir des animaux marins d’aussi près était inédit. Hayate passa plus de temps à contempler l’émerveillement de sa camarade qu’à vraiment apprécier l’endroit, y compris durant le spectacle de dauphins que l’aquarium organisait tous les matins.
Une fois sortis, durant l’heure du déjeuner, Hayate demanda à Nanami :
— Qu’est-ce que tu voudrais manger ? Je t’invite.
— Hum, on peut aller dans un family restaurant3 si tu veux. Il y en avait un près de la gare…
— Tu es sûre ? Il y a sûrement meilleur ailleurs…
— Oui ! Tant que je suis avec toi aujourd’hui, tout me va !
Hayate était un peu embêté. Ce n’était pas vraiment ce que le jeune garçon avait prévu. Cela allait certes lui coûter moins cher, mais ce n’était pas ce qu’il y avait de plus goûteux ni même de plus adapté pour leur journée ensemble. Sortir avec une androïde était décidément bien peu banal.
Une fois installés face à face et leur commande notée par la serveuse, Nanami et Hayate se remirent à discuter.
— Ça t’a plu, l’aquarium ?
— Oui, beaucoup ! C’était intéressant de voir ces animaux en vrai.
— Super, je suis content que tu aies aimé. J’ai eu du mal à me décider entre ça et un film.
— Au fait Hayate… tu m’as dit que l’après-midi serait une surprise, mais tu ne m’as pas dit ce que c’était encore.
Le garçon semblait fier de lui, mais chercha tout de même ses mots.
— Je ne sais pas si je dois te le dire maintenant ou garder la surprise pour plus tard.
— Oh, ça doit rester une surprise ? Je suis curieuse ! C’est quoi ?
— Tu verras quand on y sera.
— Mais ! T’es pas sympa !
Elle fit mine de bouder, ce qui fit rire Hayate. Leur repas arriva plutôt rapidement : une mini-pizza pour Nanami, et des nuggets de poulet avec quelques frites pour Hayate.
— Et si je te torturais, lança Nanami en plein milieu du repas.
Il leva la tête, surpris.
— N-Nanami !
— Je plaisante !
— Tu m’as fait peur !
Hayate exagéra son soulagement, ce qui fit rire Nanami en retour, et lui aussi.
* * *
NODOKA : Parler de torture n'était pas très adapté durant un rencard, je vous l'avais bien dit !
RITSU : Désolée, j'ai voulu essayer.
SHOKO : Visiblement, cela l'a quand même fait rire.
NODOKA : Heureusement que notre petit ami a de l'humour !
SHOKO : Notre ?
RITSU : Notre ?
* * *
La jeune fille observa le paysage défiler depuis le train. Elle semblait pensive, ce qui ne manqua pas d’intriguer son partenaire.
— Tu réfléchis ?
— Oui, j’essaye de deviner où tu m’emmènes.
Cela le fit sourire.
— Encore ? On est bientôt arrivés de toute façon. Tu vas être rapidement fixée.
Il semblait prendre un malin plaisir à la voir trépigner d’impatience. Une fois sortie à la gare de Kudanshita, Nanami regarda brièvement autour d’elle.
— Voyons, par ici il y a… un cimetière, un temple, un parc, une salle de concert, et un musée des sciences… Nous sommes déjà allés au musée Miraikan avec le reste de la classe, donc…
Hayate ne la laissa pas finir sa phrase. À la place, il agita devant elle deux bouts de papier plastifiés. Les yeux de Nanami les suivirent du regard comme un chat qui se concentre sur le mouvement d’un jouet devant lui.
— Ce sont…!
— Deux tickets pour le concert Love Encore de Teri Suzumiya. Il a lieu dans deux heures, on devrait peut-être aller faire la queue. Qu’en dis-tu ?
— Mais comment tu les as eus ? Megumi a essayé d’en acheter pour le club, et c’était déjà épuisé…
— Peu importe comment je les ai eus. Je sais que tu adores Teri, je voulais t’y emmener.
— Oh, c’est vraiment super, j’ai trop hâte !
Sa curiosité s’était changée en un bonheur radieux. Nanami était très expressive avec ses émotions, parfois peut-être trop, mais c’était cette forme de candeur qui faisait également son charme.
Elle contemplait le ticket dans sa main quand la voix d’un homme retentit aux abords de la gare.
— Reviens ici tout de suite !
L’androïde leva la tête au moment où une personne vêtue d’une casquette, de lunettes de soleil et d’un survêtement passa près d’elle en courant. Elle semblait vouloir échapper à quelqu’un ou quelque chose.
— Poussez-vous, lâcha-t-elle après les avoir dépassés.
— C’est-
Ce dernier fut quelque peu surpris lui aussi et vit un homme en costume poursuivre la personne qui venait de les dépasser.
— Je vais l’aider !
— Nanami !?
— T’inquiètes Hayate ! Je te dirai où me retrouver !
Elle se mit alors à courir pour rattraper le fugitif, sous le regard interloqué de son compagnon.
— Elle alors…
Nanami courrait vite. Elle faisait bien sûr attention à ne pas dépasser la vitesse qu’un être humain pouvait atteindre, mais slalomait avec grâce parmi les passants dans la rue et n’hésitait pas à monter sur les murets pour se frayer un chemin plus rapide et sans obstacle. Elle n’eut aucune peine à rattraper sa proie. Une fois à ses côtés, elle s’adapta à l’allure de sa course.
— Bonjour !
— Hein ?
— Je vais t’aider, ne panique pas !
Et avant qu’elle ne puisse répondre, Nanami se rapprocha d’elle soudainement et glissa son bras sous ses cuisses et son dos pour la porter telle une princesse portant son prince.
— On y va ! Accroche-toi !
— Quoi !? Lâchez-moi !
Transportant sa charge avec élégance, Nanami trouva un coin isolé pour sauter sur un muret, puis sur le toit d’une maison, prenant un raccourci vers un petit immeuble non loin.
Choqué, son protégé ne dit rien et s’agrippa.
— Wow !
Une fois qu’elle jugea être suffisamment loin, Nanami reposa le fugitif et regarda autour d’elle.
— Un café, excellent ! Je vais prévenir Hayate.
Nanami lui envoya sa position par mail pour qu’il les rejoigne, et amena son compagnon dans un petit café, dont l’enseigne était faite d’un dessin de nuage sur lequel était écrit « Café Yume ».
À l’intérieur, une femme se tenait derrière le comptoir, et observa les deux jeunes entrer. Le café était vide en ce début d’après-midi.
— Bienvenue au Café Yume ! Installez-vous à une table, je vais venir prendre votre commande.
La femme, dans la trentaine et aux cheveux longs noués en une tresse tombant par-dessus son épaule, laissa Nanami et son protégé s’asseoir et leur apporta la carte.
— Faites votre choix, je reviens dans quelques minutes.
Elle leur sourit chaleureusement, et retourna s’occuper de nettoyer des tasses derrière le comptoir. Le rouquin prit le temps d’observer Nanami, qui scrutait le menu.
— Euh merci… Ce que tu as fait était super cool et presque… irréel. J’ai pas tout compris à ce qu’il s’est passé. Et d’abord, pourquoi tu m’as aidé ?
Nanami releva la tête et lui répondit le plus naturellement du monde.
— Parce que tu avais besoin d’aide ! Qui est cet homme qui t’en voulait ?
— Oh euh lui…
Il chercha ses mots.
— C’est rien, juste un enquiquineur… Encore merci de m’avoir aidé à m’échapper.
Son interlocuteur semblait embarrassé, et il intriguait Nanami.
— Tu es-
Elle fut interrompue par la patronne, qui venait prendre leur commande.
— Un parfait à la fraise, s’il vous plaît.
Nanami n’avait pas encore réellement décidé. Elle se contentait de prendre la même chose qu’Akari ou Haruka les rares fois où elles avaient été dans ce genre d’endroit. Elle arrêta son choix sur ce qu’avait commandé son compagnon, finalement.
— Deux parfaits. Je vous apporte ça tout de suite.
La femme était très douce avec eux, sa voix au ton très maternel et bienveillant fit sourire le fuyard et le mit un peu plus à l’aise.
— Merci.
Il n’avait toujours pas retiré ses lunettes de soleil ni sa casquette, mais ça ne semblait pas choquer Nanami plus que ça. Il était un peu silencieux, mais l’androïde tenta de briser la glace.
— Il te voulait du mal ? L’homme qui te poursuivait. C’est ce que j’en ai conclu.
— Ah, c’est pour ça que tu m’as aidé… Tu n’es pas loin de la vérité. Je suis exploité du matin au soir par cet homme, c’est terrible !
Il laissa échapper un petit rire et se corrigea aussitôt.
— Non, je plaisante…
Sa blague n’avait visiblement pas atteint Nanami. À vrai dire celle-ci avait encore du mal avec l’humour. Les deux parfaits arrivèrent à leur table à ce moment.
— Comment tu t’appelles, demanda-t-il avant de commencer à manger.
— Nanami, et toi ?
Il avait la bouche pleine et semblait se régaler.
— Te-Tetsuya.
Nanami sembla un peu surprise, mais se reprit aussitôt
— Enchantée Tetsuya.
— Hum, ce parfait est trop bon !
Hayate entra dans le café peu de temps après. Nanami lui fit un signe de la main, et celui-ci vint s’asseoir à côté d’elle à la table.
— Vous n’êtes pas allés si loin que ça au final.
Nanami lui sourit.
— Désolée d’être partie comme ça…
— C’est rien, tu as fait ça pour protéger ce garçon ?
— J-Je m’appelle Tetsuya, enchanté.
Hayate hocha la tête et lui rendit la salutation.
— Ravi de te connaître. Je suis Hayate Sonoda.
Tetsuya les observa quelques secondes tout en dégustant son parfait. Il se rendit soudainement compte de la situation et fit un petit sourire en coin.
— Oh, j’ai interrompu votre petite sortie en amoureux, c’est ça ?
Hayate fut le premier à protester.
— N-Non, tu te méprends ! Je… Ando est une camarade de classe…
— Ah oui, vraiment ? Pourquoi elle rougit aussi alors ?
Nanami contemplait son parfait, et rougissait effectivement.
— C’est comme ça qu’on nous voit, Hayate ? Comme des amoureux ?
— Euh hé bien, peut-être, oui.
Résigné, il admit sa défaite. Il voulut ajouter quelque chose, mais Tetsuya l’interrompit.
— Relax, je vous taquinais juste. Mais je vous envie, ça doit être bien de pouvoir sortir un peu par un si beau dimanche.
Il soupira, et retourna à son parfait.
— Qu’est-ce que tu veux dire, demanda Hayate, assez curieux.
Hayate se disait que ce n’était pas le genre de paroles qu’on lançait comme ça. Son interlocuteur laissa reposer alors sa cuillère délicatement dans son dessert, et les regarda tous les deux.
— Comment vous faites quand vous avez des obligations qui vous pèsent ?
— Des obligations, demanda Nanami pour confirmer.
Leur interlocuteur hocha la tête.
— J’adore ce que je fais, mais parfois, c’est pesant. J’aimerais pouvoir respirer un peu, me détendre, comme, par exemple, manger un parfait avec des amis.
Il leur lança un petit sourire.
— Je ne suis pas sûr de savoir quoi te répondre. C’est vrai qu’on a beaucoup de devoirs, sans compter les activités de club…
— Moi je sais quoi répondre, ajouta Nanami. J’ai des obligations moi aussi. Mais chaque fois, je pense au bonheur que j’offre à ceux que j’aide. Que ce soit une vieille femme pour qui je fais des courses, les voisins pour qui je jardine, ou mes camarades de classe que j’aide avec leurs études… Je fais ça parce que je sens que je le dois, mais aussi… j’en tire une certaine satisfaction, car je rends des gens heureux. N’est-ce pas ton cas aussi, Tetsuya ?
Hayate sembla perplexe.
— J’ai manqué quelque chose ?
L’autre garçon secoua la tête.
— Le bonheur des autres… Je crois que je comprends ce que tu veux dire Nanami. Cela me remotive un peu.
— Attendez, mais de quoi vous parlez ?
Tetsuya s’éclaircit la gorge.
— En fait je-
Il n’eut pas le temps de finir. La porte du café s’ouvrit en grand, et l’homme qui poursuivait Tetsuya plus tôt entra. Il était essoufflé, et marcha jusqu’à leur table, les yeux braqués sur sa cible. Celle-ci jeta un coup d’oeil au nouvel arrivant, mais ne sourcilla pas.
— Hé, M. Satô, vous voulez de mon parfait ? Il m’en reste un peu.
— Dis donc toi…
Ce M. Satô, un grand brun, dévisagea Tetsuya.
— La comédie a assez duré, continua-t-il, tu as un concert dans un peu plus d’une heure, Teri Suzumiya !
Hayate écarquilla les yeux, et regarda la personne assise en face de lui.
— HEIN !?
Nanami, elle continuait à manger religieusement son parfait à la fraise comme si de rien n’était.
— Pffft, vous êtes pas drôle, M. Satô.
Teri enleva ses lunettes de soleil puis sa casquette, laissant échapper sa chevelure rousse reconnaissable entre mille. Elle apparaissait dans des publicités, sur des couvertures de magazines et sur des affiches. C’était impossible de ne pas la reconnaître une fois son petit déguisement retiré.
— Vous êtes…
— Teri Suzumiya. Je suis désolée de vous avoir menti, j’essayais juste d’échapper un peu à mon manager ici présent. Il est assez collant comme vous pouvez le voir.
— Hé ! J’ai couru partout pour te retrouver, petite peste.
Elle lui tira la langue en guise de réponse. Hayate lança un regard à Nanami, qui ne semblait pas vraiment surprise contrairement à lui.
— Tu le savais Nanami ?
— Bien sûr, je l’ai reconnue tout de suite quand elle est passée devant nous !
Cela fit sourire Teri, qui se leva de son siège et sortit de table.
— Monsieur Satô, vous payez pour les parfaits, bien sûr.
— Hé !
Elle l’ignora ensuite, et se tourna vers les deux jeunes encore assis.
— Hayate, Nanami. Vous veniez pour mon concert, non ?
Les deux jeunes hochèrent la tête.
— Parfait ! Passez me voir dans ma loge après. Je donnerai vos noms à la sécurité pour qu’ils vous laissent entrer. On se revoit tout à l’heure !
Elle s’en alla en laissant son manager payer. Hayate la regarda partir, sa casquette et ses lunettes remises en place pour rester incognito dans la rue.
— J’y crois pas, c’était Teri Suzumiya !
— Je sais, répondit Nanami.
— Ça n’a pas l’air de te secouer plus que ça.
— En face de moi, ce n’était pas elle. Elle voulait être quelqu’un d’autre. J’ai jugé bon de jouer le jeu. Je me doutais bien qu’elle ne voulait pas être reconnue.
Hayate sourit en entendant cela.
— Tu as bien fait, Nanami.
— Héhé ! Ce parfait est vraiment super bon, t’en veux Hayate ?
— Hum, pourquoi pas.
— Alors, fais « Aaaah » !
* * *
NODOKA : Pourquoi vous m'avez bâillonnée !?
SHOKO : Tu es trop fan de Teri Suzumiya, il fallait que je prenne le contrôle ou bien tu l'aurais mise dans l'embarras. C'était le comportement le plus logique à adopter.
NODOKA : Pffft… Je me rattraperai après le concert !
RITSU : Ça, c'est ce qu'on verra.
* * *
Satsuki ouvrit en grand les rideaux de la chambre qu’elle partageait avec Akari.
— Mmmmh…
— Debout la marmotte !
Celle-ci ouvrit péniblement les yeux. Sa colocataire était penchée au-dessus d’elle et observait son visage.
— Il est trop tôt, laisse-moi me rendormir.
Elle empoigna sa couette et tenta de se réfugier en dessous.
— Il est déjà quinze heures, Akari !
Cette dernière grogna sous sa couette.
— Quinze heures du matin, c’est trop tôt pour se lever un dimanche.
— À quelle heure tu t’es couchée cette fois ?
— Hum…
Elle mit quelques secondes à répondre, comme si elle n’arrivait plus très bien à s’en souvenir.
— Il devait être… six heures. Peut-être.
Satsuki soupira.
— Qu’est-ce qui te fait te coucher si tard en ce moment ? C’est au sujet de Nanami ?
— Hum, ouais… J’essaye de l’aider à recouvrer la mémoire, mais c’est pas évident. Je suis obligée de travailler de manière théorique et d’après les informations qu’elle m’a données sur son fonctionnement. La personne qui a créé son système est vraiment la pire des tordues au monde.
Elle bâilla sous sa couette.
— J’ai pas tout compris, mais si tu fais ça pour Nanami… On n’y peut pas grand-chose. Je vais sortir dessiner un peu, essaye quand même de te lever pour ne pas être trop décalée, on a école demain, et si elle te voit dans cet état, mam’zelle Nagi’ va encore se fâcher.
— Je sais, je sais… Je vais essayer d’aller jusqu’à la douche, ça va me réveiller…
Sous le regard amusé de Satsuki, Akari rampa hors de son lit avec la couette sur son dos, et grommela en se dirigeant vers la porte de la salle de bains.
— On dirait une tortue…
Elle prit alors son carnet à croquis et commença à gribouiller une tortue avec la tête d’Akari, ce qui la fit glousser intérieurement.
* * *
Avec leurs billets en main, Nanami et Hayate firent la queue avant de pouvoir entrer en salle et se placer. Ils n’étaient pas forcément les mieux installés pour profiter du concert, car ils n’avaient pas pu arriver plus tôt.
Mais Nanami avait des étoiles plein les yeux. Voir sa chanteuse préférée, cette fois dans son costume de scène, évoluer devant elle au son de la musique pop japonaise sucrée et si particulière… C’était une expérience qu’elle n’était pas prête d’oublier de sitôt. Teri enchaîna les chansons dont, paraît-il, elle écrivait elle-même les paroles, ce qui était assez rare dans le milieu.
Une fois le concert terminé, Nanami et Hayate se dirigèrent vers les coulisses et se présentèrent à un vigile qui tenait un talkie-walkie. Conformément à la promesse de Teri, ils purent passer. L’homme leur indiqua le numéro de la loge de la jeune célébrité.
Devant la porte, Nanami regarda Hayate avec un grand sourire, puis frappa à celle-ci.
— Entrez !
Ouvrant la porte, elle pénétra dans la loge avec son compagnon. Teri quant à elle était encore en costume et se reposait, une serviette sur les épaules et une canette de jus de fruits à la main. En les voyant entrer, elle se leva.
— Nanami ! Hayate ! Comment avez-vous trouvé le concert ? J’ai assuré, non ?
Hayate semblait un peu nerveux.
— C-C’était super, Suzumiya…
— Hé, tu peux m’appeler Teri. Encore merci pour tout à l’heure tous les deux, j’ai passé un super moment, ça m’a bien déstressée !
— Teri, dès que je t’ai vue je suis tombée sous le charme de tes chansons ! Je connais toutes tes chorégraphies par coeur, je suis vraiment une super fan !
Nanami, pour appuyer ses propos, reproduisit un des pas de danse que Teri avait effectué sur scène un peu plus tôt. Cette dernière fut quelque peu surprise par cette démonstration.
— Tu n’étais pas aussi enjouée tout à l’heure dans le café…
— C’est parce qu’alors, tu n’étais pas Teri.
Ce fut au tour de l’idole de sourire.
— Merci. Ça me touche vraiment, Nanami. Je rencontre plein de gens qui me traitent comme si j’étais différente, hors de portée, mais toi… non.
— C’est parce que tu as beau être Teri Suzumiya, tu es aussi une personne, non ?
Teri hocha la tête.
— J’aimerais bien que plus de gens pensent comme toi, ça m’aiderait vraiment tous les jours. Passer du temps avec vous c’était rafraichissant !
— Je suis très contente de te rencontrer pour de vrai Teri, je suis une grande fan, mais je ne veux pas que cela t’embarrasse.
— J’ai une idée, ça vous dit un selfie tous les trois ? Oh et je dois avoir quelques disques avec moi, je pourrais vous en dédicacer pour vous remercier.
Elle marqua une pause avant de continuer avec un grand sourire.
— Et je ne veux pas les retrouver sur les sites d’enchères, on est bien d’accord ?
— Bien sûr que non, s’exclama Hayate.
Ce dernier rougissait. Il était très intimidé, contrairement à Nanami qui semblait parfaitement à l’aise avec sa nouvelle amie.
— Super !
Après avoir pris un selfie à trois grâce au téléphone de Hayate, Teri s’apprêtait à ouvrir un feutre pour dédicacer les pochettes des disques pour Nanami et Hayate quand la porte de la loge s’ouvrit.
— Ma petite Teri ?
Tous les regards se portèrent sur la femme d’une trentaine d’années à la voix cristalline qui venait d’entrer. Elle portait une longue robe bleue claire et un gilet blanc. Ses cheveux noirs descendaient jusqu’au bas de son dos.
— Oh, Tata !
Nanami avait repéré la canne blanche qu’elle tenait dans sa main, et marcha immédiatement vers elle.
— Je vais vous guider madame, donnez-moi votre bras.
Elle lui toucha le bras sans attendre de confirmation, mais la femme ne fut pas si surprise.
— Oh, merci.
Les yeux fermés, la tante de Teri laissa Nanami l’amener jusqu’à un siège confortable.
— Je ne reste pas longtemps Teri… Tu vas bien ? J’ai écouté ton concert, c’était vraiment bien.
— Merci Tata. Tu n’étais pas obligée de venir jusqu’ici tu sais, répondit Teri.
— Je n’allais pas manquer le concert de ma nièce adorée. Tu nous présentes ?
— Oh oui bien sûr ! Voilà Nanami et Hayate, ce sont des amis que j’ai rencontrés avant le concert !
Hayate et Nanami se présentèrent chacun leur tour. Nanami prit soin de se décrire, puis de décrire Hayate pour la tante de Teri.
— Tu as des amis bien prévenants, Teri.
— Haha.
Nanami semblait très attentive aux besoins de la femme à la canne blanche, comme si aider une personne handicapée était devenue une priorité. Elle lui apporta de quoi boire et manger parmi ce qui se trouvait dans la loge.
— Ne t’en fais pas trop pour moi, je vais me débrouiller. Mon mari ne devrait plus trop tarder.
Teri soupira.
— Il doit être en train de s’occuper de la presse. Heureusement qu’il est là pour ça, j’arrive pas à supporter les journalistes.
— Dans notre métier, Teri, il faut parfois composer avec.
— Je sais, Tata, mais ils sont beaucoup plus lourds envers les idoles que les comédiennes de doublage, tu sais.
— C’est vrai.
Teri posa son regard sur les pochettes de disque sorties de leur boîtier.
— Ah, j’ai failli oublier ça.
Elle commença d’abord par signer celui pour Hayate, puis celui de Nanami, mais fût interrompue par cette dernière avant qu’elle n’ait le temps de poser son feutre sur le papier glacé de la pochette.
— Attends, Teri…
— Hum ?
* * *
Sur le chemin du retour, Nanami tenait fièrement le petit sac contenant le CD dédicacé de Teri Suzumiya. Il commençait à se faire tard et Hayate n’avait rien osé prévoir pour la soirée. Le soleil se couchait doucement, emplissant le ciel d’une couleur orangée si caractéristique. Ils discutaient du concert auquel ils venaient d’assister et de leur petit entretien avec Teri.
— Nanami, pourquoi tu n’as pas fait signer le CD pour toi ?
— Parce que ça fera beaucoup plus plaisir aux membres du club de Megumi qu’à moi. Je ne comprends pas vraiment le besoin d’avoir un disque dédicacé à mon nom…
— Hum, je vois.
Il se demandait si Nanami avait vraiment apprécié cette journée, et n’osait pas se le faire confirmer.
— Merci pour cette journée, Hayate.
Ayant visiblement anticipé sa question, Nanami continua néanmoins de marcher devant lui le long du chemin les ramenant à la gare.
— Ah, euh, de rien… Moi aussi j’ai passé une bonne journée.
Elle resta silencieuse quelques secondes avant de s’arrêter et se retourner pour lui sourire.
— Et puis… merci aussi de m’avoir traitée comme une humaine toute la journée. Ça m’a fait… vraiment très très plaisir.
Hayate ne s’attendait pas à cela.
— Nanami…
— Tu sais, à la maison… enfin même partout, j’ai l’impression d’être différente des êtres humains. Ce qui est vrai en soi, puisque je suis une androïde. J’ai été créé par quelqu’un, je ne suis pas née d’un père et d’une mère, j’ai été construite de toutes pièces.
Le jeune garçon ne sut pas trop quoi lui répondre immédiatement. Quelques secondes passèrent tandis qu’ils restaient là, silencieux tous les deux. Nanami continua alors.
— C’est difficile d’être différente. Je dois surveiller ma batterie, faire attention à ne pas faire quelque chose qui révélerait mon identité, j’ai vraiment l’impression de ne pas être comme les autres. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, j’étais une humaine pour toi, et ça m’a rendue très heureuse.
— À vrai dire…
Nanami leva les yeux en entendant Hayate commencer à parler.
— Je ne pense pas que tu sois différente. C’est nous, les humains, qui te traitons différemment.
— Différemment ?
— Oui… Je pense que tu es comme nous. Je suis peut-être le seul à le penser, mais pour moi, tu es vivante Nanami.
— Je suis vivante…
Elle hocha la tête.
— Je suis vivante, oui !
— J’y ai réfléchi un moment, et j’en suis arrivé à cette conclusion.
— Oui ! C’est ça que je veux. Être vivante !
Hayate se mit à sourire.
— On dirait que ça te plaît bien.
— C’est un sentiment très grisant ! Merci beaucoup Hayate !
Nanami marcha vers lui et approcha son visage du sien avant de coller ses lèvres contre sa joue quelques instants.
— N-Nanami !?
— C’est ce qu’on fait quand on veut remercier quelqu’un, non ?
— O-oui, mais…
— Mais ?
— C’est… un peu surprenant, venant de ta part. Pourquoi tu as fait ça ?
Nanami leva les yeux, pensive.
— Parce que c’était la meilleure chose pour te remercier. Pour cette super journée. Et puis… pour ce que tu m’as dit.
Elle ne le laissa pas répondre.
— Avant de rentrer chez Jin et Haruka, je vais m’arrêter quelque part… On se sépare ici ?
— D’accord… On se voit demain à l’école.
— Oui !
* * *
Dans un quartier non loin de chez Nanami, la porte arrière d’un fast-food s’ouvrit automatiquement pour laisser sortir Satoshi, en tenue de travail, armé de sacs-poubelle pleins. Il alla les jeter dans un conteneur à déchets avant de remarquer que quelqu’un l’attendait non loin.
— Toi… je sais que tu es là, montre-toi.
Nanami sortit de l’ombre qui la cachait.
— Je vois que vous avez l’oeil.
— Qu’est-ce que tu viens faire ici ?
Ema, qui portait également son uniforme du fast-food, rejoignit rapidement Satoshi qui l’avait appelée via leur linker, le canal de communication électronique qu’ils partageaient. Elle s’apprêtait à sortir une arme de sa jupe, mais Satoshi leva une main pour lui signaler de ne pas le faire.
— Du calme, je ne suis pas venue pour me battre.
— Comment ça ?
Elle s’avança vers eux, voyant qu’ils n’allaient pas l’attaquer.
— Je sais ce que j’ai fait. Vous comme moi, nous n’avons pas notre place ici. Mais aujourd’hui, j’ai réalisé que j’étais vivante. Peut-être pas humaine comme tous ces gens qui nous entourent, mais… je vis. Je suis quelqu’un. Je suis Nanami.
Bien qu’elle ne les menace pas, Satoshi et Ema restèrent sur leurs gardes face à la jeune androïde.
— Je comprends le crime que j’ai commis, et je souhaite me rendre…
— Quoi !?
— …mais pas avant d’avoir accompli ce pour quoi j’existe. Sinon, être Nanami n’aura servi à rien.
— Nanami, commença Ema, si tu comprends ce que tu as fait, comment peux-tu continuer à faire comme si de rien n’était ? Tu as probablement déjà causé d’énormes dégâts. Des gens savent que tu es une androïde, rien que ça, c’est déjà-
— Je sais, interrompit Nanami, mais je vous implore.
Elle s’agenouilla alors, et baissa sa tête pour se prosterner.
— Je vous suivrai une fois que j’aurai sauvé l’éternité.
— Encore cette histoire d’éternité ? Tu ne sais même pas ce que c’est !
— En effet.
Elle se releva alors, et les regarda tous les deux droit dans les yeux. Un air déterminé qui fit presque peur à Satoshi.
— Mais je compte bien le découvrir.